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Med Sci (Paris). 2009 August; 25(8-9): 661–663.
Published online 2009 August 15. doi: 10.1051/medsci/2009258-9661.

Une thérapie prometteuse contre les souches ultrarésistantes de M. tuberculosis

Jean-Emmanuel Hugonnet*

Inserm UMRS 872, LRMA, équipe 12, Centre de recherche des Cordeliers, 15, rue de l’École de Médecine, 75006 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Acide clavulanique, Résistance bactérienne aux médicaments, Humains, Souris, Mycobacterium tuberculosis, Tuberculose, bêta-Lactames

 

La tuberculose est une maladie humaine persistante et ré-émergente causée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis isolée par Koch en 1882. Plus de 2 milliards d’individus sont contaminés par le bacille, soit un tiers de la population mondiale, et, après une primo-infection, chez une personne contaminée sur dix la maladie évoluera vers une forme active. La mortalité liée à cette pathologie reste élevée : entre 1,6 et 2 millions de décès par an, malgré l’introduction d’une thérapie efficace dans les années 1960 [ 1]. Pour la tuberculose pulmonaire, cette multithérapie associe le plus souvent quatre antibiotiques : la rifampicine (RIF), l’isoniazide (INH), la pyrazinamide (PZ) et l’éthambutol (ETH) sont administrés pendant deux mois, puis RIF et INH pendant quatre mois. La durée de ce traitement est justifiée par la capacité que possède la bactérie à entrer en phase latente ou dormante et à échapper ainsi à l’action des antibiotiques qui sont plus efficaces sur les bacilles en phase de réplication active [ 2]. Cette thérapie pose souvent des problèmes d’observance qui ont favorisé l’émergence de souches multirésistantes, principalement dans les pays en voie de développement. La multirésistance est définie par la résistance aux antibiotiques de première ligne (RIF + INH). Plus inquiétante est l’émergence de souches ultrarésistantes, définies par la résistance aux antibiotiques de première et de seconde ligne (RIF + INH + une fluoroquinolone + amikacine ou kanamycine ou capréomycine) [ 3]. Dans une étude réalisée en Afrique du Sud sur 53 patients chez lesquels le diagnostic de tuberculose ultrarésistante a été posé, 52 sont morts, la durée de vie moyenne étant de 16 jours après le diagnostic [ 4]. En 2007, dans les républiques de l’ex-Union Soviétique, on estime que 20 % des cas de tuberculose impliquent des souches multirésistantes, dont 2 % de souches ultrarésistantes [1]. La menace liée à l’augmentation du nombre de foyers infectieux ainsi que l’impasse thérapeutique secondaire à l’émergence de souches ultrarésistantes ont fait de l’éradication de M. tuberculosis un enjeu de santé mondial. L’urgence de trouver de nouvelles thérapies [ 13] se heurte à la lenteur de mise sur le marché de nouveaux antituberculeux, et au coût prohibitif des nouvelles molécules pour les pays en voie de développement.

Inhibition de la β-lactamase de M. tuberculosis

Depuis la découverte de la pénicilline en 1929 [ 5] et les premières utilisations thérapeutiques en 1941, les β-lactamines restent les antibiotiques les plus importants utilisés en clinique. Pourtant, cette famille n’a jamais été utilisée dans le traitement de la tuberculose, à cause de la résistance intrinsèque du bacille. En effet, Mycobacterium tuberculosis produit une β-lactamase à spectre étendu (BLSE), BlaC, capable d’hydrolyser toutes les classes de β-lactamines. La cible des β-lactamines est la famille des protéines de liaison à la pénicilline (PLP), responsables de la polymérisation d’un constituant essentiel de la paroi bactérienne : le peptidoglycane. Dans le laboratoire du professeur John Blanchard au collège Albert Einstein de médecine de New York (États-Unis), nous avons tout d’abord caractérisé BlaC en détail d’un point de vue enzymatique [ 6]. Cette étude a montré d’une part que BlaC hydrolysait de façon peu efficace les β-lactamines de la famille des carbapénèmes (imipénème et méropénème), mais surtout qu’il existait déjà sur le marché un puissant inhibiteur de l’enzyme : l’acide clavulanique. Parmi les inhibiteurs classiques de β-lactamases (tazobactam, sulbactam et acide clavulanique), seul l’acide clavulanique inhibe l’enzyme de façon irréversible, grâce à un réarrangement de la molécule au niveau de son site actif observé par l’analyse de la structure cristallographique de la protéine [ 7]. L’inhibition de l’enzyme par l’acide clavulanique pourrait donc permettre de restaurer l’activité des β-lactamines.

Une association efficace contre les souches de M. tuberculosis ultrarésistantes

Nous sommes partis de ces observations portant sur l’efficacité relative de BlaC pour différentes β-lactamines et sur l’inhibition de cette enzyme pour identifier une combinaison de molécules comprenant l’acide clavulanique et une β-lactamine active sur deux souches sensibles de M. tuberculosis (H37Rv et Erdman). L’analyse a ensuite été étendue à une série de 13 isolats cliniques ultrarésistants provenant du Korean Institute of Tuberculosis à Séoul (Corée du Sud) [ 8]. Les concentrations minimales inhibitrices (CMI) ont été déterminées par la méthode de microdilution en utilisant des concentrations fixes d’acide clavulanique [ 9]. Des variations de réponse aux pénicillines et aux céphalosporines (données non montrées) sont observées entre les souches mais la combinaison comprenant le méropénème est active sur toutes les souches (Tableau I). Les CMI du méropénème en présence de 2,5 µg/ml d’acide clavulanique sont inférieures à 1 µg/ml. Nous avons ensuite déterminé les courbes de bactéricidie (définie comme la mort cellulaire induite par les antibiotiques) de la souche Erdman en réponse à son exposition à différentes concentrations de méropénème et d’acide clavulanique. Chaque dose d’antibiotique a été ajoutée une fois par jour pendant cinq jours, afin de compenser l’hydrolyse spontanée rapide de ces composés et de mimer les doses journalières administrées aux patients. Les bactéries ont été comptées quotidiennement à partir de l’inoculation pendant 14 jours (Figure 1A). Le nombre d’unités formant des colonies (bactéries survivantes) diminue de façon rapide jusqu’à une stérilisation complète du milieu de culture entre 9 et 12 jours. Enfin, nous avons aussi évalué cette bactéricidie sur les bacilles en phase dormante (Figure 1B) en utilisant le modèle de Wayne [ 10]. Ce modèle mime la dormance induite par l’hypoxie. Dans ce modèle, nous avons compté les bactéries survivantes et dosé l’adénosine triphosphate (ATP), un indicateur de viabilité. L’isoniazide n’a aucun effet en conditions hypoxiques, ce qui reflète la résistance des formes non réplicatives à l’antibiotique in vivo. Le métronidazole, actif uniquement en conditions anaérobies, sert de contrôle positif. Le méropénème seul possède une activité bactéricide sur les bacilles dormants et l’addition d’acide clavulanique renforce cet effet, permettant d’atteindre une efficacité semblable à celle du métronidazole.

Les L,D-transpeptidases, une cible du méropénème chez les formes dormantes

En conclusion, nous avons d’abord montré que la combinaison du méropénème et de l’acide clavulanique est efficace in vitro contre les souches sensibles et les souches ultrarésistantes lorsqu’elles se multiplient en aérobiose. Cela s’explique par l’action inhibitrice de l’acide clavulanique sur la β-lactamase BlaC combiné au fait que le méropénème est un mauvais substrat de l’enzyme [9]. Le méropénème peut donc atteindre sa cible, avec pour conséquence l’interruption de la polymérisation du peptidoglycane, entraînant un arrêt de la croissance des bactéries et leur mort. Nous avons également montré que cette combinaison est bactéricide sur les bacilles en phase dormante dans le modèle de Wayne. Notre laboratoire a par ailleurs fait une autre observation : la paroi de M. tuberculosis cultivé en phase stationnaire est polymérisée par un membre d’une classe d’enzymes particulière : les L,D-transpeptidases [ 11, 12], qui remplacent les polymérases classiques du peptidoglycane (PLP). Parce que cette L,D-transpeptidase est surexprimée lors de la latence et est inhibée par les carbapénèmes [11], elle pourrait être la cible du méropénème lors de la dormance.

Premiers essais cliniques

Le méropénème est commercialisé par AstraZeneca (Meronem®) et l’acide clavulanique est disponible en combinaison générique avec l’amoxicilline. Ces deux médicaments, utilisés depuis plus de dix ans, peuvent être administrés aux enfants de plus de 3 mois. Face à l’impasse thérapeutique liée aux souches de M. tuberculosis ultrarésistantes, cette solution a l’avantage de sa disponibilité immédiate. De plus, l’action du méropénème contre les formes non réplicatives de M. tuberculosis suggère une possibilité de stérilisation des foyers infectieux relativement rapide, rendant son utilisation dans les pays en voie de développement particulièrement prometteuse. Cette découverte offre une perspective thérapeutique pour les patients infectés par des souches ultrarésistantes. Les essais cliniques ont débuté cette année en Corée du Sud, en collaboration avec Clifton Barry du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (Washington, DC, États-Unis), ainsi qu’en Afrique du Sud, en collaboration avec Brian Currie du Centre médical Montefiore (New York, États-Unis) (détaillé dans [9]).

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
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