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Med Sci (Paris). 2009 November; 25(11): 912–914.
Published online 2009 November 15. doi: 10.1051/medsci/20092511912.

Le monoxyde d’azote dans l’hématopoïèse
NO dit-il oui aux cellules souches hématopoïétiques ?

Fawzia Louache*

Inserm U790, Institut Gustave Roussy, Pavillon de recherche 1, 39, rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Vitesse du flux sanguin, Hématopoïèse, Cellules souches hématopoïétiques, Hémodynamique, Homéostasie, Humains, Monoxyde d'azote

 

La formation des cellules du sang commence chez l’embryon dans le sac vitellin. Cette hématopoïèse est transitoire (on la dit « primitive ») et est relayée par la prolifération et la différenciation de cellules souches hématopoïétiques (CSH) dites « définitives » émergeant dans la paroi ventrale de l’aorte dans une région comprenant l’aorte, les gonades et le mésonéphros, appelée AGM. Ces cellules vont ensuite coloniser le foie fœtal, le thymus, la rate et la moelle osseuse où elles s’installent de manière définitive chez l’adulte [ 1]. Les mécanismes qui contrôlent les étapes clés du développement des CSH (détermination, migration et domiciliation séquentielle) restent à définir mais on sait depuis longtemps que la majeure partie de ces étapes a lieu en interaction étroite avec l’endothélium bordant les vaisseaux sanguins. Comment ces interactions et la proximité des vaisseaux sanguins contrôlent elles la biologie des CSH vient enfin de trouver des éléments de réponse grâce aux travaux de deux groupes. Ces travaux publiés récemment dans Cell [ 2] et Nature [ 3] montrent, dans deux modèles différents et par des stratégies très élégantes, que le flux sanguin et les forces biomécaniques créées par les premiers battements cardiaques jouent un rôle déterminant dans l’émergence de l’hématopoïèse définitive chez l’embryon.

Le flux sanguin est initié chez l’embryon quand le cœur commence à battre [ 4]. En plus d’assurer le transport des éléments nutritifs et l’oxygénation des tissus, le flux sanguin génère diverses forces hémodynamiques dont on connaît depuis quelques années l’impact sur l’organogenèse et plus particulièrement sur le développement du système cardiovasculaire [ 5, 15]. Il faut maintenant ajouter les CSH à la liste des types cellulaires et tissus dont le développement est régulé par les forces hémodynamiques.

« De battre mon cœur… »

Se basant sur la conservation fonctionnelle de l’AGM du poisson à l’homme, l’équipe de Leonard I. Zon [2] a testé les effets de plus de 2 400 petites molécules chimiques issues de trois chimiothèques différentes sur l’induction de l’hématopoïèse dans l’AGM dans le modèle des embryons de poisson zèbre [ 16]. Le développement rapide et extrautérin des embryons et la facilité des analyses phénotypiques due à leur transparence optique font en effet de ce modèle un outil fabuleux pour le criblage à grande échelle de molécules bioactives [ 6]. Ce criblage montre que les composés qui induisent la dilatation des vaisseaux et augmentent le flux sanguin induisent une augmentation du nombre de cellules coexprimant les gènes Runx1 et Cmyb, caractéristiques de CSH. Inversement, les composés vasoconstricteurs entraînent une diminution de cette expression, indiquant que le flux sanguin et le tonus vasculaire régulent positivement la formation des cellules souches hématopoïétiques dans l’AGM. En accord avec cette hypothèse, le nombre de cellules coexprimant Runx1 et Cmyb est diminué chez les embryons de poisson zèbre rendus incapables de battements cardiaques. Ces résultats sont cohérents avec le fait que la mise en place de la circulation et l’émergence de l’hématopoïèse sont des évènements étroitement liés.

La deuxième équipe [3] est partie de résultats déjà publiés dans le modèle des embryons de poissons zèbre qui montraient le rôle essentiel des forces hémodynamiques dans l’organogenèse [5]. L’équipe a donc testé in vitro l’hypothèse d’une régulation de l’hématopoïèse par les forces biomécaniques en exposant des cellules souches embryonnaires de souris à des forces de cisaillement contrôlées. Des forces de cisaillement comparables à celles qui peuvent être mesurées le long de l’aorte dorsale chez l’embryon de souris à 10,5 jours de gestation entraînent une augmentation de l’expression des marqueurs de l’hématopoïèse (Runx1 et Myb) et de la fréquence des progéniteurs hématopoïétiques dans les cultures. La pertinence de ces observations a été vérifiée chez des embryons de souris incapables d’initier les battements cardiaques en raison de l’invalidation du gène Ncx1 (transporteur Na+/Ca2+). Comme dans le modèle des embryons de poisson zèbre, les embryons dépourvus de circulation sanguine ont une diminution de l’expression de Runx1 et un nombre réduit de précurseurs hématopoïétiques. La stimulation biomécanique des cellules mutantes permet de restaurer l’expression de Runx1 et l’activité hématopoïétique. Ces résultats suggèrent que des forces mécaniques appropriées sont nécessaires au développement de l’hématopoïèse dans l’AGM.

La part belle au NO, molécule de l’année

Comment les forces hémodynamiques générées par le flux sanguin et les agents régulant la vasodilatation et la vasoconstriction artérielle contrôlent-elles le nombre de CSH au cours du développement ? Au début des années 1990, trois groupes ont montré que l’activité capable de réguler le tonus vasculaire, activité alors connue sous le nom de endothelium-derived relaxing factor, est le monoxyde d’azote (NO) [ 7, 8]. NO ou monoxyde d’azote est un gaz produit naturellement dans l’organisme à partir de L-Arginine et d’oxygène par trois enzymes distinctes dites NO synthases (NOS) [ 9]. Depuis ces découvertes majeures couronnées par l’attribution à Robert F. Furchgott, Louis J. Ignarro et Ferid Murad du prix Nobel de physiologie et de médecine en 1998 [ 10], le monoxyde d’azote s’est révélé être aussi un facteur de signalisation fascinant capable de réguler directement de nombreux processus physiologiques et physiopathologiques. Compte tenu du rôle de NO dans la régulation du tonus vasculaire, les deux équipes de L. Zon [2] et G. Daley [3] ont donc cherché l’implication de ce gaz dans l’émergence de l’hématopoïèse. Les conclusions de leurs expériences sont sans ambiguïté : l’inhibition de la production de NO bloque l’induction de l’hématopoïèse par le flux sanguin tandis que l’addition de NO stimule la formation des CSH à la fois chez le poisson zèbre et chez la souris. Chez le poisson zèbre, la formation des CSH dans l’AGM coïncide avec les premiers battements cardiaques et la mise en place de la circulation. L’addition de NO dans ce modèle suffit à induire l’expression de Runx1 même en l’absence de battements cardiaques. Ces résultats montrent que l’apparition des CSH dans l’AGM et le foie fœtal n’est pas simplement le reflet de la migration par voie hématogène des précurseurs issus des tissus extraembryonnaires. En revanche, ils plaident pour l’hypothèse d’un rôle actif et direct de la circulation dans la production des CSH. La mise en place de la circulation et les forces mécaniques qui y sont associées généreraient des signaux capables de réguler l’émergence de l’hématopoïèse au niveau de l’endothélium vasculaire embryonnaire.

Ayant montré que le monoxyde d’azote est le médiateur de la stimulation de l’hématopoïèse par le flux sanguin, le groupe de Leonard I Zon va plus loin et montre que la NOS endothéliale (NOS3) est exprimée dans les CSH de l’AGM et dans l’endothélium bordant l’aorte dorsale. Son invalidation chez la souris entraîne une diminution des précurseurs hématopoïétiques dans l’AGM. Pour le poisson zèbre chez lequel il n’existe pas de séquence génomique correspondant à NOS3, c’est l’invalidation de la NOS neuronale (NOS1) qui provoque la diminution de l’expression de Runx1 et du développement des CSH.

L’histoire n’est pas finie

Au total, ces deux études démontrent le rôle crucial du monoxyde d’azote dans le développement du système hématopoïétique. La stimulation de la production de NO par le flux sanguin et les conséquences de cette production sont observées aussi bien chez le poisson zèbre que dans le modèle murin montrant encore une fois à quel point les modes de régulation d’hématopoïèse sont conservés au cours de l’évolution des vertébrés.

La découverte des fonctions biologiques du monoxyde d’azote fut une grande surprise dans les années 1980 [ 11]. Cette molécule fut décrétée molécule de l’année par le journal Science en 1992 [ 12]. En 2009, NO confirme sa position en tête de liste des molécules majeures contrôlant de nombreux processus biologiques. Au niveau des CSH, les effets de NO restent à éclaircir. Le monoxyde d’azote est produit de manière constitutive par les cellules du microenvironnement médullaire et plus particulièrement par l’endothélium vasculaire. Le fait qu’une partie des CSH adultes soit domiciliée dans les niches vasculaires de la moelle osseuse laisse présager des effets majeurs de NO. Des travaux le confirment d’ores et déjà : il intervient dans la capacité des cellules stromales de soutenir l’hématopoïèse suggérant un rôle dans les propriétés à long terme des CSH adultes [ 13], et nous avons montré que c’est un régulateur puissant de l’expression de CXCR4 dans les progéniteurs hématopoïétiques humains CD34+ [ 14]. CXCR4 joue un rôle majeur dans le homing, la domiciliation et la prolifération des CSH. Sa régulation positive par le monoxyde d’azote suggère une possible stratégie de modulation de la migration des CSH dans des protocoles de greffe des CSH. Cet effet sur la migration pourrait s’ajouter à une action potentielle sur l’induction de l’hématopoïèse dans les cellules souches embryonnaires ouvrant ainsi de nouvelles possibilités thérapeutiques.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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