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Med Sci (Paris). 2009 November; 25(11): 888–890.
Published online 2009 November 15. doi: 10.1051/medsci/20092511888.

Inactivation du chromosome X et pluripotence

Pablo Navarro*

Unité de génétique moléculaire murine, Département de biologie du développement, Institut Pasteur, 28, rue du Docteur Roux, 75015 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Chromosomes X humains, Développement embryonnaire, Femelle, Humains, Mâle, Souris, Chromosome X, Inactivation du chromosome X

 

L’inactivation d’un chromosome X (ICX) chez les femelles (XX) est le processus qui permet de compenser le niveau d’expression des gènes du chromosome X entre les mammifères mâles (XY) et femelles (XX) [ 1]. Chez la souris, il existe deux formes distinctes d’ICX : la première caractérise les cellules de l’embryon préimplantatoire et des annexes extraembryonnaires, et affecte exclusivement le chromosome X d’origine paternel (Xp) ; en revanche, dans les cellules de l’embryon post-implantatoire ainsi que dans les cellules adultes, le deuxième processus d’inactivation peut cibler aussi bien le chromosome X d’origine paternelle (Xp) que d’origine maternelle (Xm). À un certain moment de l’embryogenèse précoce, les mécanismes d’inactivation de l’X doivent donc être reprogrammés pour passer d’une inactivation systématique de l’Xp à une inactivation aléatoire (Figure 1).

Cette transition s’effectue dans les cellules pluripotentes de la masse cellulaire interne (MCI) du blastocyste, où le Xp inactif est réactivé [ 2, 3]. Ceci aboutit à la présence de deux chromosomes X actifs dans chaque cellule de la MCI. L’inactivation aléatoire se met en place lorsque ces cellules engagent leur processus de différenciation pour former les trois lignages primordiaux de l’embryon (ectoderme, endoderme, mésoderme). Par la suite, toutes les cellules issues des premières cellules ayant inactivé soit le Xp soit le Xm conservent ce profil d’inactivation, générant ainsi des individus femelles mosaïques composés de clones cellulaires ayant inactivé soit l’un soit l’autre des deux chromosomes X [ 17]. La seule exception à cette stabilité de l’inactivation aléatoire intervient dans la lignée germinale femelle (Figure 1) : la ré-acquisition de propriétés de pluripotence nécessaire à la génération des gamètes s’accompagne à nouveau d’une réactivation de l’X inactif [ 4]. Hormis les cellules pluripotentes de la MCI et de la lignée germinale, toutes les cellules femelles sont donc caractérisées par la présence d’un chromosome X inactif. Cette observation a été consolidée par l’étude in vitro de différents modèles de cellules pluripotentes (Figure 1) : ainsi, la différenciation des cellules souches embryonnaires (cellules ES) s’accompagne d’une ICX aléatoire ; réciproquement, lorsqu’une cellule somatique est reprogrammée en cellule pluripotente par différentes techniques (iPS ou induced pluripotent stem cells), alors l’X inactif est réactivé [ 5, 6].

Bien que le premier modèle proposant un contrôle au cours du développement du chromosome X, qui associait son inactivation à la perte de la pluripotence, ait été énoncé dès 1978 [ 7], les mécanismes sous-jacents sont longtemps restés mystérieux. Pour les comprendre, il a tout d’abord fallu élucider les facteurs moléculaires clés contrôlant chacun de ces processus, ICX et pluripotence.

Xist, un acteur incontournable

Concernant l’inactivation du chromosome X, la découverte fondamentale du gène Xist en 1991 a représenté une avancée majeure dans le domaine [ 8, 9]. Lié au chromosome X, le gène Xist produit un ARN non codant de grande taille possédant la propriété unique de recouvrir le chromosome X qui le produit pour enclencher le processus de répression [1]. Dans les cellules pluripotentes femelles de l’embryon, issues de la MCI et de la lignée germinale, ainsi que dans les cellules ES, l’expression de Xist est réprimée à partir des deux chromosomes X actifs. En revanche, lorsque la pluripotence est perdue au cours des processus de différenciation, l’expression de Xist se met en place à partir d’un seul chromosome X, le futur X inactif (Figure 1). Déterminer les mécanismes responsables de l’extinction de Xist dans les cellules pluripotentes semble donc important pour appréhender la régulation développementale de l’ICX.

L’état de pluripotence, quant à lui, est atteint et maintenu par l’action concertée de trois facteurs de transcription, Nanog, Oct4 et Sox2, dont l’expression simultanée est spécifique des cellules pluripotentes [ 10]. D’une part, ils agissent de concert pour réprimer les gènes du développement et donc pour maintenir l’état indifférencié ; d’autre part, ils activent simultanément les gènes nécessaires à l’autorenouvellement de cet état indifférencié et pluripotent. Selon le scénario communément admis jusqu’en 2008, la régulation de Xist et de l’ICX apparaissait comme un effet secondaire de l’action de Nanog, Oct4 et Sox2 lors de l’établissement du phénotype pluripotent. En effet, l’acquisition de la pluripotence s’accompagne d’une reprogrammation épigénétique à grande échelle qui pourrait prendre en charge la régulation de l’ICX, sans qu’aucun facteur spécifique n’y soit directement impliqué.

Xist : une cible directe des gènes clés de la pluripotence

Contrairement à cette idée, il a tout d’abord été montré que Xist est transcriptionnellement inactif dans les cellules ES indifférenciées [ 11], et que cette répression semble indépendante de la structure chromatinienne de ce gène [ 12]. Il y aurait donc des régulateurs spécifiques responsables de l’extinction de Xist dans les cellules ES. Par ailleurs, dans la lignée germinale, la répression de Xist s’instaure avant même la reprogrammation épigénétique globale [ 13], et tout comme lors de la formation de la MCI [2], l’extinction de Xist suit de très près l’expression de Nanog. Ce facteur de transcription pourrait donc être directement impliqué dans la répression transcriptionnelle de Xist. La démonstration de la fixation de Nanog au niveau de l’intron 1 du gène Xist dans les cellules ES, ainsi que celle de la perte de cette fixation lors de l’initiation de l’ICX [ 14], semble confirmer cette hypothèse. Cette interaction directe a été également observée entre Xist et Oct4 et Sox2, les deux autres piliers de l’état pluripotent [14]. Ces résultats révèlent donc vraisemblablement l’existence d’un lien moléculaire intime entre pluripotence et régulation de Xist (Figure 2), bien au-delà de ce qui avait été anticipé. De plus, dans des cellules mâles transgéniques où la perte de ces trois facteurs peut être induite, une surexpression rapide et importante de l’expression de Xist, compatible avec la mise en place de l’ICX, a été démontrée [14]. Puisque dans les cellules mâles Xist n’est jamais surexprimé, c’est la preuve d’un lien direct entre l’expresssion de Nanog, Oct4 et Sox2 et le maintien de Xist à l’état silencieux, leur extinction au cours de la différenciation représentant le signal moléculaire qui couple l’ICX à la perte de la pluripotence [17, 18]. Néanmoins, ces conclusions devront être confirmées par des expériences analysant les conséquences de la délétion génétique de l’intron 1 du gène Xist.

Deux X actifs, nécessité ou conséquence de la pluripotence ?

Ces résultats font de Nanog, Oct4 et Sox2 les répresseurs majeurs de Xist dans les cellules ES indifférenciées (Figure 2). Ils constituent en cela le premier élément de réponse aux diverses observations qui, depuis 30 ans, ont mené à ces deux constats : l’absence d’inactivation du chromosome X est une caractéristique intrinsèque des cellules pluripotentes, et l’ICX aléatoire s’instaure par défaut au cours de la différenciation cellulaire [ 15]. Ils permettent aussi de proposer un scénario moléculaire permettant d’expliquer la dynamique de régulation de l’inactivation lors des différentes transitions développementales mettant en jeu l’acquisition et la perte de la pluripotence (Figure 1).

Le couplage moléculaire mis en évidence entre pluripotence et inactivation du chromosome X (Figure 2) soulève des questions importantes et parfois provocantes, dans le domaine de la pluripotence. En effet, il est admis que seuls les gènes nécessaires au phénotype pluripotent sont contrôlés directement et simultanément par le triumvirat de facteurs Nanog, Oct4 et Sox2. Ceci suggère que l’extinction de Xist, et donc la présence de deux X actifs dans les cellules femelles pourrait être une nécessité, plutôt qu’une conséquence, de la pluripotence. Ce serait là une différence inattendue entre cellules mâles et femelles, à moins qu’un deuxième système de compensation n’agisse, qui permette la surexpression du seul chromosome X chez les mâles [ 16].

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Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article

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