Cependant, le protéome est une entité hautement dynamique. De ce fait, un enjeu majeur pour la protéomique consiste aujourd’hui à développer la protéomique quantitative et les outils et méthodes qui permettront d’appréhender cette nouvelle dimension de l’analyse. Le décryptage systématique des variations d’abondance du protéome en réponse à divers facteurs (hormone, stress, délétion de gène, pathologie, etc.) constitue en effet un moyen puissant pour approfondir notre connaissance des mécanismes cellulaires ou rechercher de nouveaux marqueurs de maladies. Ces techniques présentent un avantage sur les techniques de transcriptomique puisqu’elles s’intéressent aux protéines, les principaux acteurs du vivant et non à leurs précurseurs, les ARNm dont le niveau d’expression n’est pas toujours corrélé à l’abondance des protéines correspondantes.
- Les techniques sans marquage
Elles incluent l’électrophorèse 2D (2D-GE) (GE pour gel electrophoresis) [ 5], la comparaison de traces MS (MS pour spectrométrie de masse) [ 6] et le spectral count (ou comptage de spectres MS/MS) [ 7] (Figure 1 et Encadré 1).
La 2D-GE est une méthode très résolutive qui permet de repérer les protéines qui sont différentiellement exprimées entre deux ou plusieurs échantillons. Cependant, cette technique affiche certaines limites : en particulier, elle s’applique très difficilement aux protéines membranaires et aux protéines présentant des points isoélectriques extrêmes. De plus, cette méthode est difficilement adaptable à une stratégie analytique « haut débit » et est limitée à l’étude des protéines les plus abondantes.
Avec le développement de spectromètres de masse couplés à des systèmes de chromatographie liquide, il est devenu possible d’analyser rapidement l’abondance des protéines issues d’échantillons biologiques complexes en comparant directement les intensités de signal de chaque peptide entre différents échantillons. La comparaison de traces MS s’appuie sur la correspondance qui existe entre l’intensité du pic détecté par le spectromètre de masse en mode MS et la quantité de l’espèce correspondant à ce pic MS dans le mélange analysé. D’autre part, le comptage de spectres est une méthode récente qui permet de relier l’abondance d’une protéine au nombre de spectres MS/MS qui ont permis d’identifier cette protéine.
Toutes ces méthodes demandent une parfaite maîtrise et de la rigueur, à la fois dans les étapes de préparation des échantillons en amont et dans le traitement bio-informatique et statistique des données en aval de l’analyse en masse. Elles ont cependant l’avantage de pouvoir être appliquées à tout type d’échantillons biologiques, que ce soit des cellules en culture ou des échantillons cliniques (biopsies, fluides biologiques, etc.), de permettre la comparaison d’un grand nombre d’échantillons et de représenter un faible coût de mise en Ĺ“uvre.
- Les techniques de protéomique comparative avec marquage
Elles sont nombreuses et variées. Basée sur la 2D-GE, la technique 2D-DIGE (differential in gel electrophoresis) [ 8] permet l’analyse sur un même gel de deux échantillons protéiques préalablement marqués avec des fluorophores distincts. Toutefois, aujourd’hui, la majorité des techniques de protéomique quantitative avec marquage s’appuient sur l’utilisation d’isotopes stables pour une analyse différentielle en spectrométrie de masse. Pour comparer deux échantillons, les protéines de l’un sont marquées avec des isotopes lourds (protéines « lourdes ») alors que les protéines du deuxième échantillon sont marquées avec des isotopes légers (protéines « légères »). L’analyse en spectrométrie de masse permet de repérer des paires de peptides lourds et légers dont l’abondance relative peut être calculée. Le marquage isotopique dans les échantillons à étudier peut se faire de différentes manières : marquage métabolique [ 9– 12], marquage chimique (ICAT ou isotope coded affinity tags, iTRAQ ou isobaric tag for relative and absolute quantification) [ 13– 15], marquage enzymatique [ 16] ou marquage post-enzymatique [ 17, 18].
Chaque méthode présente ses avantages et ses inconvénients. Toutefois, il est très important d’introduire l’étape de marquage isotopique le plus précocement possible dans le processus de préparation des échantillons. Ceci permet en effet de limiter les erreurs de quantification inéluctables liées à la manipulation en parallèle des échantillons à comparer (Figure 2). Cette étape de marquage précoce peut passer par un marquage métabolique des protéines comme c’est le cas pour le marquage 15N et pour la technique SILAC (stable isotope labelling by amino acids in cell culture).
Le traitement informatique des données issues de marquages métaboliques au 15N est délicat car l’écart de masse introduit par le marquage entre un peptide léger et un peptide lourd est fonction du nombre d’azotes présents dans le peptide alors qu’il est fixe dans le cas du SILAC. Ceci rend les données plus faciles à traiter. Ainsi, à l’heure actuelle, la stratégie SILAC est l’une des méthodes de protéomique quantitative les plus fiables et les plus performantes. Ces atouts sont d’ailleurs reflétés par la bibliométrie qui révèle que, comparativement aux autres techniques de protéomique quantitative avec marquage, on a observé au cours des six dernières années un véritable « décollage » du nombre d’articles utilisant le SILAC. D’un seul article en 2002 nous sommes passés à une soixantaine en 2008. Cette supériorité de la technique SILAC est d’autant plus flagrante si l’on compare les facteurs d’impact des journaux dans lesquels ces articles sont publiés.