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Med Sci (Paris). 2009 October; 25(10): 798–801.
Published online 2009 October 15. doi: 10.1051/medsci/20092510798.

Pluripotence : une définition à géométrie variable

Laure Coulombel*

Médecine/Sciences et Inserm U935, Hôpital Paul Brousse, 94817 Villejuif Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Techniques de culture cellulaire, Différenciation cellulaire, Division cellulaire, Fibroblastes, Humains, Souris, Cellule souche pluripotente

 

Affirmer la pluripotence d’une cellule n’est pas chose simple ; de multiples critères existent (Tableau I), qui n’ont pas la même valeur, ce qui entretient un certain « laxisme » dans la définition de cette propriété [ 1]. Les puristes n’accorderont ce label qu’aux cellules capables de former, à elles seules, un individu entier viable et fertile, et du bout des lèvres à celles qui contribuent « uniquement » à la formation de chimères post-natales fertiles. Critères impossibles à valider chez l’homme, et, de fait, beaucoup se refusent à qualifier de pluripotentes les cellules souches embryonnaires (CSE) humaines ou les cellules reprogrammées humaines de type iPS (induced pluripotent stem cells). Les moins exigeants se satisferont de critères phénotypiques : pour eux, une cellule qui, dans différentes conditions de culture, exprime des marqueurs de tissus dérivés des trois feuillets embryonnaires (ectoderme, endoderme, mésoderme) sera déclarée « pluripotente ». Ce n’est évidemment pas suffisant compte tenu de l’expression souvent « aberrante » de beaucoup de protéines en culture ; il faudrait au minimum démontrer que la cellule exprimant ces marqueurs phénotypiques d’un tissu in vitro est capable d’effectuer une fonction caractéristique de ce tissu dans un modèle in vivo ; chez l’homme, on se heurte à nouveau aux limites des systèmes xénogéniques, la transplantation de cellules humaines à des souris, aussi immunodéprimées soient-elles (modèle le plus fréquemment utilisé), étant loin de refléter leur fonction physiologique chez l’humain. Cela pose avec acuité la question du choix de modèles précliniques acceptables pour l’évaluation de cellules pluripotentes humaines dans une perspective thérapeutique. Actuellement les essais les plus probants sont faits chez le singe, en situation allogénique, avec toutes les contraintes qu’impose le développement de cellules pluripotentes dans cette espèce [ 2].

Dans le cas des CSE (ou iPS), murines ou humaines, la formation de tératomes chez la souris immunodéficiente est un compromis acceptable pour définir la pluripotence d’une population. Mais il faut que l’analyse histologique et histochimique reconnaisse dans ces tumeurs des structures tissulaires caractéristiques (épithélium, glandes, vaisseaux, etc.) issues de la différenciation des 3 feuillets embryonnaires [ 3]. La capacité de créer une organisation tissulaire complexe, même anarchique, représente en effet un argument supplémentaire de pluripotence par rapport à la seule expression cellulaire d’un potentiel de différenciation dans une boîte de culture.

Une étape supplémentaire, inapplicable aux cellules humaines, exploite la capacité qu’ont ces CSE et iPS, greffées dans un blastocyste préimplantatoire, de contribuer, une fois les blastocystes « chimères » réimplantés dans des femelles pseudo-gestantes, à l’établissement d’animaux chimères viables et fertiles (Figure 1) [ 46]. Remises dans leur environnement d’origine, la masse interne des blastocystes, ces CSE reprennent en quelque sorte le cours de leur histoire naturelle là où elle s’était arrêtée lorsqu’on avait dissocié ces blastocystes pour l’établissement des lignées. Dans le cas des cellules somatiques reprogrammées (iPS), beaucoup d’eau a passé sous les ponts, depuis le stade blastocyste, et c’est une histoire complètement nouvelle qu’entament ces cellules. Dans ces chimères, la plupart des tissus, y compris les cellules germinales, contiennent des cellules différenciées issues des CSE (ou iPS) ; mais cette stratégie ne prouve pas que ces cellules peuvent assurer, seules, sans le support des cellules du blastocyste hôte, le développement d’animaux viables, entièrement dérivés des CSE ou iPS. Le croisement de souris chimères certes aboutira à des souriceaux entièrement dérivés des CSE ou iPS, mais dans ce cas, on analyse le potentiel des gamètes plus que celui des CSE ou iPS.

On peut aussi obtenir le développement complet d’une souris indépendamment de la transmission germinale via des expériences dites de « complémentation d’embryons tétraploïdes », ce qui représente le gold standard des tests de pluripotence. Cela consiste à agréger les cellules à tester avec des embryons tétraploïdes (obtenus par électrofusion d’embryons au stade 2 cellules), et à réimplanter l’agrégat dans l’utérus d’une femelle gravide [ 7]. On peut aussi injecter les cellules à tester dans l’embryon tétraploïde après l’avoir cultivé jusqu’au stade blastocyste in vitro. A. Nagy a montré il y a vingt ans que les cellules embryonnaires tétraploïdes ne pouvaient pas (ou dans une très faible proportion et transitoirement) se développer en un embryon et contribuaient exclusivement aux annexes. Dans ces conditions, l’embryon est entièrement issu des cellules diploïdes (et seulement de 2 à 3 sur les 10-15 injectées [ 8]), et l’on avait envisagé dans les années 1990 que cette technique pourrait permettre d’analyser les conséquences de manipulations génétiques des CSE plus rapidement que par la stratégie des chimères transgéniques [ 9]. Seuls deux types de cellules embryonnaires murines étaient jusqu’à maintenant capables de complémenter des embryons tétraploïdes démontrant sans ambiguïté leur complète pluripotence : les CSE dérivées de la masse interne du blastocyste (épiblaste précoce), et les CSE obtenues par transfert de noyaux somatiques dans l’ovocyte. L’efficacité était d’environ 20 % de nouveau-nés entièrement dérivés des CSE injectées dans l’embryon 4n. En revanche, les cellules EpiSC (epi pour epiblast) dérivées de l’épiblaste tardif (et dont les propriétés ont été suggérées proches mais pas identiques à celles de CSE humaines [ 10]) sont incapables de complémenter un embryon tétraploïde, confirmant probablement déjà la perte d’un certain potentiel, en accord avec le fait que l’epiblaste tardif in vivo a perdu le potentiel à générer l’ectoderme.

Dans le cas des cellules iPS, l’interrogation persistait : s’il est maintenant démontré que les iPS (murines) contribuent bien à des chimères post-natales viables et fertiles [ 1114], les essais de complémentation d’embryons tétraploïdes avaient toujours échoué, les embryons ne survivant pas au-delà du stade E14-E15. Trois articles parus dans Nature et Cell Stem Cells, issus de deux équipes chinoises de Pékin [ 15] et Shanghai [ 16] et d’une équipe californienne [ 17], ont maintenant levé cet obstacle et réussi à faire naître des souriceaux dont la totalité des tissus provient de cellules iPS. Dans les trois études, les iPS provenaient de fibroblastes embryonnaires (MEF) reprogrammés « en routine » avec le « cocktail » des 4 facteurs de transcription Oct4/Sox2/Klf4/cMyc décrit par Yamanaka [11] ; dans deux études, les transgènes étaient insérés dans des lentivirus inductibles (sytème Tet-on), et les auteurs californiens y ont ajouté une pincée d’acide valproïque (décrit comme facilitant le processus de reprogrammation par son action au niveau épigénétique). L’efficacité de complémentation, jugée sur la naissance de souriceaux viables, est de 1 à 5 % avec des variations très importantes entre les expériences : 4 souriceaux nés sur 387 embryons tétraploïdes transférés dans une étude, 27 pour 1 454 embryons transférés dans la seconde (0 à 3,5 % de succès selon les expériences), et 29 sur 1 181 dans la troisième (0 à 13 % de succès) ; par comparaison, 5-10 % des blastocystes normaux dans lesquels ces mêmes iPS ont été injectées donnent naissance à des souris chimériques. Cette proportion de naissances dans les expériences de complémentation d’embryons tétraploïdes est inférieure à celle qui est observée utilisant des CSE murines.

Ces articles, suite logique d’étapes expérimentales maintenant classiques, n’ont rien de révolutionnaire, et en des temps moins « fast and furious » [ 18] n’auraient pas eu les honneurs de Nature, ce d’autant qu’ils ne nous donnent aucune explication sur la raison de ce succès technique attendu. Simple pugnacité, comme le suggère Rudolph Jaenisch, qui par cette même technique, n’avait pas dépassé le stade embryonnaire E15 et n’avait pas obtenu de souriceaux nouveau-né viables ? Tout à fait plausible. Une autre explication nous ramène à une discussion très actuelle sur les critères de pluripotence et donc sur le caractère complet ou incomplet d’une reprogrammation, question qui est loin d’être triviale : on sait, maintenant que l’on a un peu (3 ans) de recul dans la connaissance de ces cellules iPS, que, selon les expériences, l’expression du cocktail magique aboutit à des lignées iPS exprimant différents degrés de pluripotence ; il existe notamment une étape dite de « pré-iPS », définie initialement par l’équipe de Austin Smith, que caractérise une reprogrammation incomplète [ 19]. Celle-ci ne se poursuit pas spontanément, mais un coup de pouce peut être donné sous la forme d’inhibiteurs de voies de signalisation (notamment les voies ERK, GSK3 et FGFR2) décrites comme essentielles au maintien de l’autorenouvellement des cellules CSE (→) [ 20]. Les pré-iPS sont probablement incapables de complémenter des embryons tétraploïdes, comme elles sont incapables de contribuer au chimérisme post-natal et/ou aux lignées germinales. On peut donc imaginer que la reprogrammation de certaines populations d’iPS est suffisamment « complète » pour qu’elles re-acquièrent un potentiel proche de celui de cellules épiblastiques très précoces, alors que d’autres s’arrêteraient en chemin, et seraient capables « seulement » de contribuer à un certain chimérisme post-natal, voire sans transmission germinale. On peut même induire une reprogrammation a minima au sein d’un tissu donné comme l’a très bien démontré P Collombat pour le pancréas dans une dernière heure parue dans le dernier numéro de médecine/sciences [ 21]. Reste à identifier la signature génétique et épigénétique de ces nouveaux et différents états cellulaires chez la souris pour ensuite mieux classifier les iPS humaines dont nous ne connaissons pas vraiment le potentiel…

(→) m/s 2008, n° 11, p. 934

Q’importe toute cette sémantique, diront certains…, c’est pourtant dans la précision de ces approches purement fondamentales aujourd’hui que se joue la réalité thérapeutique de demain redonnant à nos tissus l’ivresse de leurs jeunes années ! Folle chimère… ?

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Merci à Michel Pucéat de sa relecture critique et de ses suggestions sur ce texte et à tous mes collègues dont les discussions ont nourri ce texte.

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