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Med Sci (Paris). 2009 October; 25(10): 795–798.
Published online 2009 October 15. doi: 10.1051/medsci/20092510795.

Mécanismes des effets comportementaux de type anxiolytique/ antidépresseur de la fluoxétine (Prozac®)
Implication de la neurogenèse hippocampique

Quentin Rainer,1 Alain M. Gardier,1 René Hen,2 and Denis J. David1*

1Université Paris-Sud EA 3544, Faculté de pharmacie, 92296 Châtenay-Malabry Cedex, France
2Department of Psychiatry, Department of Neuroscience, Columbia University, New York, NY 10032, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Anxiolytiques, Anxiété, Dépression, Fluoxétine, Hippocampe, Humains, Souris, Modèles animaux, Neurogenèse, Inhibiteurs de la capture de la sérotonine, Stress psychologique

 

La dépression et l’anxiété sont les principales causes d’incapacité dans le monde et leur prévalence est élevée, 7 à 20 % chez l’homme et 11 à 27 % chez la femme. Les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine (ISRS) sont les médicaments les plus couramment prescrits dans le traitement de la dépression et de plusieurs troubles anxieux, dont l’anxiété généralisée. Leur découverte représente un progrès important, mais beaucoup de questions restent en suspens concernant les mécanismes moléculaires et cellulaires qui sous-tendent leurs effets, également l’étiologie de ces troubles. Les modèles animaux d’anxiété/dépression sont fréquemment utilisés pour le criblage de nouveaux composés. De nombreuses incertitudes demeurent sur l’efficacité de ces modèles et leur pertinence clinique [ 1]. Il n’existe naturellement pas d’animaux se trouvant dans un « état dépressif » et, en clinique humaine, les antidépresseurs induisent très peu d’effets chez les individus sains. Un modèle animal pertinent doit répondre à plusieurs critères : une validité prédictive (les traitements efficaces en clinique doivent l’être dans le modèle), une validité phénoménologique (le modèle est capable d’induire les symptômes de la pathologie), une validité théorique (la place du modèle par rapport au cadre théorique). Certains de ces modèles peuvent s’avérer assez efficaces, du fait de leur bonne validité prédictive lors de tests de criblage en pharmacologie, mais demeurent insuffisants en ce qui concerne l’étude de la physiopathologie de la dépression et des mécanismes d’action des traitements. Sur la base de ces différentes validités, le stress modéré chronique (CMS) chez le rongeur, initialement développé par Willner (voir Encadré), représente le modèle animal le plus approprié pour étudier aussi bien la physiopathologie des troubles de l’humeur que leur traitement. Ce modèle animal est très pertinent puisqu’il permet d’induire des états comportementaux proches des symptômes observés dans la dépression chez l’Homme [ 2], notamment une dérégulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire (HH) et donc une augmentation des concentrations plasmatiques de corticostérone1 chez les animaux [ 3]. Une alternative intéressante à ce modèle consiste à administrer directement aux animaux un excès de corticostérone exogène par voie orale.

Modélisation de l’état anxieux et dépressif chez l’animal

Dans notre étude, nous avons modélisé un état anxiodépressif chez la souris par un excès de glucocorticoïdes (modèle CORT, Figure 1), afin d’étudier les conséquences comportementales, cellulaires et moléculaires de l’administration chronique d’antidépresseurs (ISRS : la fluoxétine et un tricyclique : l’imipramine). Nous montrons, grâce à des tests prédictifs de l’activité de ces médicaments, qu’un traitement chronique avec chacun de ces antidépresseurs bloque les altérations comportementales induites par une exposition à long terme à la corticostérone [ 4]. Il est aussi important de noter que ce modèle CORT reproduit les observations faites chez l’Homme, en ce sens que les antidépresseurs n’ont généralement pas d’effets majeurs chez les patients qui ne sont pas cliniquement déprimés.

Traitement antidépresseur et neurogenèse hippocampique

En outre, nous avons utilisé ce modèle CORT pour faire le lien entre le phénotype comportemental résultant de l’administration d’antidépresseurs et les conséquences cellulaires et moléculaires, notamment sur la neurogenèse hippocampique chez la souris adulte. Des résultats récents suggèrent que cette neurogenèse est nécessaire à l’apparition des effets comportementaux des ISRS chez les rongeurs adultes [ 57]. Fait intéressant, lorsque nous avons étudié différentes étapes de la neurogenèse (prolifération et maturation), la fluoxétine s’est révélée être beaucoup plus efficace chez les animaux traités par de la corticostérone (modèle CORT). Ce résultat suggère que dans des conditions de stress chronique, un nouvel état physiologique particulier s’installe, et faciliterait l’action d’une augmentation de sérotonine dont l’effet sur la neurogenèse serait plus important que dans des conditions normales. Dans un deuxième temps, nous avons disséqué les effets comportementaux d’un ISRS selon qu’ils font ou non intervenir un processus de neurogenèse. Cela revenait à poser la question suivante : la stimulation de la fluoxétine sur la neurogenèse est-elle nécessaire et/ou suffisante pour induire des effets comportementaux ?

Pour répondre à cette question nous avons éliminé sélectivement la neurogenèse chez la souris adulte par irradiation sélective de l’hippocampe par les rayons X, technique mise au point par l’équipe du Professeur R. Hen à New York [5]. Cette approche nous a permis de montrer que, lorsque la neurogenèse hippocampique est supprimée dans le modèle CORT, la fluoxétine induit des effets comportementaux dans un seul des tests utilisés, le test de l’open field (OF) (voir Encadré) alors que l’effet de type anxiolytique-antidépresseur dans un autre test, le novelty suppressed feeding (NSF) (voir Encadré) est supprimé. Ces résultats originaux permettent donc de proposer un nouveau concept : les effets de type anxiolytique-antidépresseur d’un seul et même médicament, la fluoxétine, interviennent à la fois par des mécanismes dépendants et indépendants, du processus de neurogenèse (en accord avec [ 6]). Si les effets de la fluoxétine sont relayés par des mécanismes distincts, se pose la question de l’application du même raisonnement aux effets thérapeutiques de la fluoxétine. Les antidépresseurs peuvent-ils agir par l’intermédiaire d’effets convergents, certains agissant sur les fonctions cognitives et d’autres sur l’humeur ? Peut-on distinguer dans le cerveau les effets des antidépresseurs sur l’hippocampe et sur d’autres structures limbiques ? Une telle dissociation a été suggérée [ 8] : les effets des antidépresseurs sur l’humeur seraient indépendants d’un processus de neurogenèse, tandis que les effets sur l’anxiété seraient plutôt neurogenèse-dépendants. Ces questions ont toutes leur importance, surtout pour les laboratoires pharmaceutiques souhaitant développer des médicaments plus efficaces et mieux tolérés. Il sera donc important de déterminer rapidement si de nouveaux composés qui stimuleraient directement la neurogenèse hippocampique [ 9] seraient aussi efficaces que les antidépresseurs actuels ou amélioreraient seulement des déficits cognitifs.

Un rôle pour la β-arrestine dans l’effet de la fluoxétine

Conformément à l’idée que l’essentiel des effets antidépresseurs s’exerce dans plusieurs régions du cerveau, nous avons ainsi montré que, dans un modèle expérimental faisant intervenir une élévation des concentrations plasmatiques de corticostérone, un traitement chronique par la fluoxétine entraîne des effets sur l’expression des gènes, non seulement dans l’hippocampe, mais aussi dans l’hypothalamus et l’amygdale. D’autres études ont préalablement suggéré que la fluoxétine exerce des fonctions extra-hippocampiques, par exemple la restauration de la plasticité dans le cortex visuel [ 10]. Fait intéressant, nos résultats d’expression génique ont démontré que le traitement chronique par de la corticostérone permet d’étudier les mécanismes moléculaires qui sous-tendent l’anxiété et la dépression. En effet, parmi les gènes d’intérêt étudiés, seuls trois d’entre eux, intervenant dans des voies de signalisation ont montré des changements d’expression, dont celui codant pour la β-arrestine. Ainsi, dans l’hypothalamus, alors qu’un traitement par de la corticostérone réduit l’expression de β-arrestine chez la souris, un traitement par de la fluoxétine rétablit une expression physiologique. Nous avons focalisé nos travaux sur le rôle de la β-arrestine, en faisant l’hypothèse que c’est un déterminant moléculaire potentiel des effets de la fluoxétine ; nous avons utilisé un modèle de souris génétiquement modifiées, dont le gène codant la β-arrestine 2 est invalidé (la mutation de la β-arrestine 1 est létale). Les résultats antérieurs de l’équipe de Marc Caron suggéraient que ces souris β-arrestine 2 knock-out peuvent avoir un phénotype anxieux [ 11]. Dans cette étude, les auteurs avaient proposé que les effets du lithium, un médicament utilisé dans le traitement des troubles bipolaires, passent par l’activation de la voie β-arrestine 2/Akt/Gsk3β. Dans notre étude, nous avons constaté que les souris β-arrestine 2 knock-out, dans la plupart des tests de comportement, sont insensibles à un traitement chronique avec la fluoxétine [4]. Nos résultats confirment que les effets de la fluoxétine chez la souris passent par l’activation de la voie β-arrestine (Figure 2).

Au final, ces résultats font émerger l’idée de l’existence de mécanismes communs, permettant à la fois la réponse au traitement des troubles bipolaires et de la dépression majeure unipolaire. Ces pathologies pourraient être liées par des déterminants génétiques communs, comme par exemple un modulateur du récepteur des glucocorticoïdes (GR), le FKBP5 (FK506 binding protein 5) 2 [ 12].

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Corticostérone ou le cortisol chez l’Homme : hormone produite dans la glande surrénale en réponse au stress.
2 Le tacrolimus, ou FK506, est un médicament immunosuppresseur utilisé en transplantation d’organes découvert en 1984. C’est un produit naturel de l’actinomycète (champignon microscopique).
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