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Med Sci (Paris). 2009 March; 25(3): 317.
Published online 2009 March 15. doi: 10.1051/medsci/2009253317.

Sécurité des médicaments : l’obligation d’information reconnue à Washington

Hervé Chneiweiss*

Plasticité gliale, UMR-S 752 Inserm/Paris Descartes/CHSA, Centre Paul Broca, 2ter, rue d’Alésia, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Législation médicale, Préparations pharmaceutiques, Sécurité, États-Unis d'Amérique, Food and Drug Administration (USA)

 

C’est une décision importante que vient de prendre la Cour Suprême des États-Unis le 4 mars 2009 dans le jugement qui fera date Wyeth v. Levine. Une affaire qui va bien au-delà de l’indemnisation, importante puisqu’elle porte sur 6,7 millions de dollars, d’un préjudice irréparable : l’amputation d’un bras pour une musicienne à la suite d’une gangrène provoquée par l’injection intraveineuse de Phénergan® utilisé comme anti-nauséeux. Wyeth, qui fait actuellement l’objet d’une OPA (offre publique d’achat) par Pfizer d’un montant de 68 milliards de dollars, a tout mis en œuvre pour obtenir l’immunité, car c’est en fait tout le système de protection du consommateur après l’accord de mise sur le marché (AMM) qui était ici en jeu. L’importance de la décision avait été soulignée par la prise de position aussi spectaculaire qu’inhabituelle de dix éditeurs, actuels ou passés, du New England Journal of Medicine qui avaient déposé auprès de la Cour Suprême un mémoire à l’appui de Mme Levine1. Quel était le véritable cœur du débat ?

L’un des principes de la justice américaine repose sur le « système de torts » : une compagnie doit tout mettre en œuvre pour protéger le consommateur sans quoi celui-ci est en droit de porter son préjudice devant la Justice et d’obtenir réparation des torts causés. Wyeth, soutenu par l’administration Bush et par l’ensemble des compagnies pharmaceutiques, développait l’argument dit de « pré-emption ». En bref, lors de la mise sur le marché, l’autorité de réglementation, en l’occurrence la Food and Drug Administration (FDA) exige et approuve un document écrit d’information du consommateur. Il existe actuellement 11 000 notices de ce type aux États-Unis. La question était dès lors de savoir si la responsabilité de la compagnie est strictement limitée aux éléments contenus dans la notice approuvée ou si sa responsabilité s’étend à toute connaissance des risques que peut présenter le produit. Il faut lire ce débat à la lumière des milliers de patients qui ont souffert, voire sont décédés, des suites de l’usage inapproprié d’anti-inflammatoires de la famille des inhibiteurs de Cox2 (Vioxx®, Celebrex® ou Bextra®), d’antidiabétiques (Rezulin® ou Avandia®), d’antidépresseurs (Zyprexa® ou Paxil®) et à la lumière aussi des actions de justice collective (class action) en cours sur ces dossiers. Si la Cour Suprême avait admis la « pré-emption » elle admettait une immunité judiciaire pour la compagnie dans la stricte limite des risques rapportés par la notice approuvée par la FDA, excluant de fait toute connaissance omise lors de l’AMM ou acquise par la suite et qui aurait dû conduire à un renforcement des mesures nécessaires à l’utilisation du produit avec une sécurité renforcée.

L’affaire avait commencé dans le Vermont, la Cour Suprême de cet état du Nord-Est, siégeant à Montpellier (!), ayant reconnu que l’injection intraveineuse de Phénergan était bien connue pour très dangereuse si elle touchait une artère et qu’en conséquence la compagnie aurait dû en avertir les cliniciens et les mettre en garde contre un tel usage. La position de la FDA jusqu’en 2002 était que la loi de chaque État fédéré venait en complément de ses propres efforts de réglementation. Puis la position de cette administration fédérale fut modifiée en faveur d’une limitation des torts aux seuls risques figurant sur la notice approuvée par elle, même si les connaissances médicales ou celles dont pouvait autrement disposer une compagnie pharmaceutique venait à remettre en question la sécurité d’usage dans un cas ne figurant pas à l’AMM. Le but était évidemment de limiter la possibilité de poursuite contre les compagnies.

C’est bien l’enjeu que pointaient les éditeurs du N Engl J Med dans leur argumentation « The drug companies have withheld key information from the FDA and ardently negotiated against stricter label warnings - all the while continuing to market their unsafe drugs to an unsuspecting public » prenant ensuite comme exemples concrets les cas de Merck pour le Vioxx® (rofecoxib), celui de Bayer pour le Trasylol® (aprotinin) ou celui des molécules anti-obésité de Wyeth, Fen-Phen et Redux® (dexfenfluramine). Un peu plus tôt en 2008 c’est le JAMA (The Journal of the American Medical Association) qui avait accusé Merck d’avoir caché des résultats concernant la mortalité associée à un usage à long terme du Vioxx® et fait écrire par certains de ses employés de façon masquée (« ghostwritten ») des articles décrivant exclusivement les bénéfices du produit.

C’est donc à un retour vers un équilibre entre les droits de la personne et la dynamique des compagnies industrielles qu’appelle la décision de la Cour Suprême, obtenue à la majorité simple, plusieurs des juges (« Justice ») écrivant en marge de l’avis majoritaire des opinions divergentes.

 
Footnotes
1 Le document s’appelle un Amicus brief et peut être consulté avec les autres documents de même nature portant sur ce dossier à l’adresse www.abanet.org/publiced/preview/briefs/nov08.shtml#wyeth.