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Med Sci (Paris). 2009 March; 25(3): 229–231.
Published online 2009 March 15. doi: 10.1051/medsci/2009253229.

MicroARN et translocations chromosomiques dans les hémopathies malignes

Marina Bousquet, Nicole Dastugue, and Pierre Brousset*

Inserm, U563, Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan, Place Baylac, 31300 Toulouse, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Différenciation cellulaire, Réarrangement des gènes, Gènes abl, Tumeurs hématologiques, Humains, MicroARN, Délétion de séquence, Translocation génétique

 

Les microARN sont de petits ARN non codants qui contrôlent l’expression de nombreux gènes impliqués dans la régulation de fonctions cellulaires aussi variées que le développement, la différenciation, la prolifération, l’apoptose ou la réponse au stress. Les microARN agissent au niveau post-transcriptionnel en induisant la dégradation ou le blocage de la traduction des ARNm cibles par un jeu d’appariement dans les régions 3’ non traduites de l’ARNm cible. Près de 700 microARN ont été identifiés chez l’homme. Ainsi, la dérégulation de leur expression est désormais associée à différentes pathologies dont les hémopathies malignes. De nombreuses études soulignent la localisation des microARN au niveau de régions fréquemment altérées dans les cancers. On distingue les microARN suppresseurs de tumeur et les « oncomiR » (microARN oncogènes). En effet, certains microARN contrôlent l’expression d’oncogènes, et leur répression conduit à la surexpression de cet oncogène (ex : le miARN let-7 et l’oncogène RAS), ce sont les TSmiR (tumor suppressor miRNA). En revanche, d’autres (les oncomiR) sont surexprimés dans les cancers et sont susceptibles d’inhiber l’expression de gènes suppresseurs de tumeurs [ 9]. Les mécanismes dérégulant l’expression de ces microARN sont nombreux et peuvent être corrélés aux mécanismes classiques de dérégulation de gènes : amplifications, translocations chromosomiques, délétions, mutations ponctuelles, dérégulations épigénétiques. Cependant, peu d’études rapportent l’implication des microARN dans les translocations chromosomiques, mais il existe quelques exemples.

Dérégulation directe de microARN par les translocations chromosomiques

Le premier exemple est la translocation t(8;17)(q24;q22). Cette translocation juxtapose le microARN miR-142 à l’oncogène MYC. Comme dans les translocations impliquant MYC et le locus des immunoglobulines, MYC se retrouve sous le contrôle du promoteur de miR-142, ce qui entraîne une surexpression de la protéine MYC dans les lymphomes B [ 1].

Un autre exemple est la juxtaposition du microARN miR-125b au gène de la chaîne lourde des immunoglobulines dans un cas de leucémie aiguë lymphoblastique B [ 2]. Il s’agit d’une insertion ins(11;14)(q23q24,q32). L’ARNm de ce patient n’étant pas disponible, des analyses du niveau d’expression de miR-125b n’ont pas pu être réalisées. Néanmoins, il est probable que ce réarrangement conduit à une surexpression de miR-125b (b-1), comme c’est le cas dans les réarrangements impliquant la chaîne lourde des immunoglobulines.

Le premier exemple de translocation chromosomique conduisant à la surexpression d’un microARN a été rapporté par notre équipe grâce à l’étude de la translocation chromosomique t(2;11)(p21;q23), retrouvée chez 19 patients atteints de myélodysplasies (n = 9) ou de leucémies aiguës myéloblastiques (n = 10). Après clonage des points de cassures par FISH (fluorescent in situ hybridization) et LDI-PCR (long distance inverse PCR), nous avons mis en évidence la surexpression d’un microARN situé à proximité relative du point de cassure. Ainsi, le microARN miR-125b-1 est surexprimé - d’un facteur 6 à 90 - chez les patients porteurs de la t(2;11). Par des expériences de différenciation in vitro des lignées HL60 et NB4, nous avons pu démontrer que la surexpression de miR-125b dans ces cellules entraînait un blocage de la différenciation myélomonocytaire in vitro. La Figure 2 illustre le blocage de différenciation monocytaire observé en présence de miR-125b par rapport au miR contrôle, dans des cellules HL60 dont la différenciation a été induite par un traitement par le DMSO (diméthylsulfoxyde) [ 3]. Dans le même travail, nous avons pu montrer que chez certains patients dont les cellules n’exprimaient pas la translocation t(2;11), une amplification du chromosome 21q entraînait une surexpression massive de miR-125b-2, l’homologue de miR-125b-1 [3].

Implication indirecte de microARN dans les translocations chromosomiques

L’intervention indirecte d’un microARN dans une translocation a été rapportée dans l’étude des translocations impliquant le gène HMGA2 (high mobility group AT-hook 2). Les réarrangements au niveau du gène HMGA2, situé en 12q15, sont fréquents et retrouvés dans différents cancers (adénomes, carcinome, leucémies, lipomes, sarcomes…). Dans la plupart des cas, les trois domaines de liaisons à l’ADN de HMGA2 sont conservés dans les séquences géniques chimériques et associés à des séquences variées (gènes FHIT, LPP, LHFP, RAD51L1, CMKOR1, EBF, RDC1, NFIB, …)1. Cependant, dans certains cas, le point de cassure au sein du gène HMGA2 se situe en dehors de sa région codante et est associé à une forte expression de la protéine [ 4]. En 2001, Borrmann et al. observent, en utilisant une construction contenant le gène rapporteur luciférase associé à la région 3’ non traduite de HMGA2, une sous-expression du gène rapporteur, suggérant la présence d’éléments répresseurs dans la région 3’UTR de HMGA2 [ 5]. L’étude de Mayr et al. a permis de mieux comprendre ces phénomènes. En effet, ces auteurs ont pu démontrer que HMGA2 est régulé par let 7 qui se lie sur sa partie 3’ non traduite [ 6]. Les translocations conduisant à l’élimination de la partie 3’ non traduite de HMGA2 empêchent la répression par let-7, ce qui conduit à une surexpression de la protéine HMGA2.

Dérégulation des microARN par des protéines de fusion dans les hémopathies malignes

Un autre exemple d’implication indirecte de microARN dans les translocations chromosomiques a été rapporté dans l’étude de la protéine de fusion AML1-ETO. AML1 code une des sous-unités du Core binding factor (CBF) qui intervient dans l’hématopoïèse. ETO, pour eight twenty one, code un facteur de transcription putatif, exprimé au niveau du cerveau. La translocation t(8;21) conduisant à la formation de la protéine de fusion AML1-ETO est l’anomalie caryotypique la plus fréquente dans les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM). Elle est détectée dans 15 % des LAM et représente 40 % du sous-groupe M22. L’étude de Fazi et al. a permis de démontrer que le microARN miR-223, essentiel à la différenciation myéloïde, était sous-exprimé dans ces pathologies [ 7]. Par des expériences d’immunoprécipitation de chromatine, les auteurs ont pu démontrer que la protéine de fusion AML1-ETO était capable de se lier au promoteur de miR-223 suggérant une régulation de la transcription de miR-223 par l’oncoprotéine AML1-ETO. Des expériences complémentaires utilisant des constructions contenant le gène rapporteur luciférase sous le contrôle des régions promotrices de miR-223 et des quantités croissantes de AML1-ETO transfectées dans la lignée 293T, ont permis de définir précisément les sites nécessaires à la régulation de la transcription de miR-223 par AML1-ETO. AML1-ETO recrute des protéines de remodelage de la chromatine, histones déacétylases ou ADN méthyltransférases, entraînant une répression transcriptionnelle de miR-223 et ainsi un blocage de la différenciation [7].

Régulation des protéines de fusion par les microARN

Bueno et coll. ont mis en évidence une hyperméthylation du promoteur de miR-203 dans les leucémies exprimant la protéine de fusion BCR-ABL 3. Or, miR-203 cible l’oncogène ABL et la réexpression de miR-203 dans ces tumeurs entraîne une diminution du taux de la protéine BCR-ABL et en conséquence une inhibition de la prolifération de ces cellules [ 8].

L’implication des microARN dans les cancers est maintenant clairement établie. Cependant, des études supplémentaires sont nécessaires afin de déterminer l’impact de ces dérégulations dans les hémopathies malignes. L’identification des cibles de ces microARN est également un élément essentiel afin de mieux comprendre les mécanismes oncogéniques et d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques.

 
Footnotes
1 FHIT : fragile histidine triad gene ; LPP : lipoma preferred partner gene ; LFHP : lipoma HMGIC fusion partner gene ; CMKOR1 : chemokine orphan receptor 1 ; EBF : early B cell factor gene ; NfiB : Nuclear factor I/B ; RAD51L1 : Rad51 Like 1.
2 Le groupe coopératif Franco-Américano-Britannique (FAB) a défini en 1976 puis dans les années qui ont suivi plusieurs classes de LAM (M1 à M7) sur des critères morphologiques distingant le degré de maturité des blastes et la prédominance de la lignée, granuleuse, monocytaire, érythroïde ou mégacaryocytaire.
3 BCR-ABL est une protéine chimérique née de la translocation t(9 ;22) fusionnant le gène Abl (Abelson, situé normalement sur le chromosome 9) au niveau de la région bcr ou breakpoint cluster region du chromosome 22. Ce gène de fusion est caractéristique de la leucémie myéloïde chronique mais est également rencontré dans certaines leucémies aiguës.
References
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