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Med Sci (Paris). 2009 February; 25(2): 132–135.
Published online 2009 February 15. doi: 10.1051/medsci/2009252132.

NO et hémoglobine
Une longue histoire et quelques controverses

Dominique Labie*

Département de génétique, développement et pathologie moléculaire, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France.
Corresponding author.

MeSH keywords: Anoxie, Endothélium vasculaire, Érythrocytes, Hémoglobines, Humains, Monoxyde d'azote, Oxyhémoglobines

Vasodilatation et libération de NO : le concept initial du rôle de la nitrosohémoglobine

La vasodilatation, accroissant le flux sanguin en réponse à l’hypoxie, est une réaction systémique connue depuis plus d’un siècle. On sait que cette vasodilatation a lieu au moment de la désoxygénation de l’hémoglobine (Hb) et qu’elle est corrélée à la saturation partielle de l’Hb en oxygène (O2). Le concept a été énoncé que l’Hb elle-même exercerait cette régulation par une interaction avec le monoxyde d’azote (NO). Sur les modalités de cette interaction, J.S. Stamler a proposé dès 1996 et dans les années suivantes un mécanisme selon lequel NO était transporté par l’Hb, en se fixant sur le thiol du résidu Cys β93, à proximité immédiate du site de fixation de l’hème, au niveau du coude FG, résidu conservé dans toutes les Hb fonctionnelles, et en formant la S-nitrosohémoglobine (SNOHb) [ 13] (Figure 1). En conditions d’hypoxie, le NO dissocié sortirait du globule rouge (GR) et serait transféré au glutathion, permettant sa diffusion et son action vasodilatatrice. Les auteurs ont depuis confirmé la valeur de leur modèle et insisté sur le rôle majeur de la SNOHb, et une revue récente de J.S. Stamler mentionne à nouveau le fait que la vasodilatation est sous le contrôle d’un signal S-nitrosothiol [ 4]. La plupart des publications, cependant, sont centrées sur des processus physiopathologiques vasculaires et non plus sur le problème précis de l’interaction Hb/NO. Le mécanisme suggéré par J.S. Stamler a été extrêmement discuté, et, selon les travaux de deux équipes du NIH (National Institutes of Health), celles de M.T. Gladwin et de A.N. Schechter, la fixation de NO ne se fait qu’accessoirement sur la Cys β93, mais essentiellement sur le Fer réduit (Fe2+) de l’hème (NOHb), nitrosation par opposition à la nitrosylation de la Cys β93 [ 5]. Pour le prouver, les auteurs ont en effet mis en évidence un gradient artérioveineux de nitrosyl(hème)Hb au niveau de l’avant-bras après inhalation de NO par des volontaires. Un travail récent de l’équipe de Tim T. Townes (Université de Birmingham, Alabama, États-Unis) réalisé sur un modèle murin, confirme définitivement cette hypothèse [ 6]. Il se présente comme le complément de la recherche menée entre-temps par les équipes du NIH, qu’il convient de rappeler.

Contrôle du taux de NO vasculaire : globule rouge ou endothélium ?

Les auteurs s’opposent à l’hypothèse d’un rôle majeur joué par la Cys β93 libérant NO par une activité « endocrine », et proposent une fixation du NO sur le fer de l’hème. Ils démontrent que cette fixation de NO est 100 fois supérieure sur la désoxyHb à ce qu’elle est sur l’oxyHb, et se produit extrêmement rapidement - de l’ordre de la milliseconde - sur le fer, alors qu’elle est lente sur la Cys β93 [ 7]. Après inhalation de NO, on constate la formation de ~ 80 µM de metHb (Fe3+) par liaison à la désoxyHb, mais de seulement 1 µM de nitrosylHb (NOHb). On ne détecte que des traces presque indétectables de SNOHb par fixation sur la Cys93, qui semble donc un composé instable. Les auteurs contestent l’hypothèse de la Cys β93 comme donneur de NO en se basant sur le fait que la cinétique des réactions chimiques supposées n’est pas compatible avec celle, extrêmement rapide, de la réaction de NO avec l’Hb (< 1 ms) et que cette fixation de NO sur la Cys β93 serait la même sur l’oxyHb et la désoxyHb, donc en désaccord avec le mécanisme allostérique. Les données expérimentales de cinétique et de concentration indiquent donc que c’est la synthèse de NO par la NO synthase endothéliale (eNOS) qui règle le flux sanguin de base, et non une diffusion du NO à partir de SNOHb (Figure 2). Il s’agit donc d’une régulation paracrine du tonus vasculaire. Se pose alors la question d’un éventuel piégeage du NO dans les vaisseaux par l’Hb dont la concentration est énorme, et qui, en capturant le NO, pourrait inhiber la vasodilatation. Mais cette capture est limitée par l’existence de barrières physiologiques. La principale est la compartimentalisation de l’Hb dans le GR, prévenant sa diffusion ; il existe aussi une barrière de diffusion à la surface de l’endothélium et peut-être au niveau de la membrane des GR. La concentration plasmatique de NO permet alors sa diffusion dans les muscles lisses et une activation de la guanylyl cyclase soluble (sGC) nécessaire à la vasodilatation. Cette capture de NO par l’Hb « libre » est l’explication des incidents dramatiques de vasoconstriction et d’hypertension observés au cours d’essais de transfusion avec des substituts à base d’Hb, qui ne sont pas stockés dans un équivalent de globule rouge [ 8] (Figure 2).

Production et piégeage du NO par l’oxyhémoglobine

La principale forme de stockage intravasculaire de NO est l’anion nitrite (NO2-), à partir duquel l’action réductrice de l’Hb, qui assume le rôle d’une enzyme de type nitrite réductase, génère du NO lors de la transition allostérique de la forme oxygénée de l’Hb à la forme désoxygénée (R → T) [ 9]. Les auteurs ont montré que cette réduction est maximale lorsque le coefficient de saturation de l’Hb en oxgène est de 40 %-60 %, au voisinage donc de la P50. Ce point semble le plus favorable à une libération de NO en réponse à l’hypoxie. Cette production de NO par l’Hb assure donc une vasodilatation en réponse à l’hypoxie sous le contrôle allostérique de l’Hb. Dans un travail complémentaire, les mêmes auteurs montrent qu’une hémolyse intravasculaire chronique libérant de l’oxyhémoglobine dans la circulation, situation caractéristique de la drépanocytose par exemple, inactive le NO et entraîne un dysfonctionnement endothélial [ 10]. Une telle vasoconstriction, liée à la décompartimentalisation de l’Hb, a été vérifiée dans un modèle canin par injection d’eau, qui, via l’hypo-osmolarité qu’elle créée, entraîne une hémolyse ; cette vasoconstriction est réduite par inhalation de NO, prouvant ainsi la toxicité de l’oxyHb intravasculaire qui capture le NO et l’oxyde, de façon non réversible, en nitrates. Il est donc crucial dans l’homéostasie NO que les GR soient intacts, et l’altération de l’intégrité de la membrane érythrocytaire contribue évidemment aux vasculopathies au cours d’états hémolytiques innés, acquis ou iatrogènes. On a aussi pu rattacher à ce même mécanisme une partie de l’action bénéfique de l’hydroxyurée (HU) dans la drépanocytose, en montrant que HU augmente la production de NO par les cellules endothéliales [ 11]. On a aussi vérifié dans un modèle de souris drépanocytaires que l’hémolyse et la diminution de NO disponible qui en résulte entraînent une hypertension pulmonaire [ 12], dont on sait qu’elle est une complication organique grave de la maladie drépanocytaire. L’utilisation de NO, ou d’un précurseur de NO comme l’arginine, pourrait représenter une voie thérapeutique. L’ensemble du mécanisme proposé est présenté dans une revue récente d’A.N. Schechter [ 13]. Il est rappelé aussi dans des articles de M.T. Gladwin [ 14, 15]. Dans ces schémas, le rôle de SNOHb n’est pas nié, mais ramené à un rôle très secondaire.

L’exploration du rôle de la SNO-Hb dans un modèle génétique

À cet ensemble de données physiologiques et physiopathologiques très cohérent pour lequel d’autres applications ont été évoquées, le travail de l’équipe de Tim Townes apporte un éclairage tout à fait différent qui, sans en être une confirmation formelle, va dans le même sens [6]. Les auteurs sont ici partis des hypothèses de J.S. Stamler sur le rôle fonctionnel majeur de la Cys β93 et de la SNOHb, transférant le NO au glutathion lors de la désoxygénation. Pour tester cette hypothèse in vivo, ils ont créé des souris transgéniques knock-in synthétisant soit l’Hb humaine sauvage (HbC93), soit un mutant substituant une alanine à la cystéine (HbA93). Après avoir vérifié les séquences introduites, ils ont analysé différents paramètres dans les deux séries de souris. On ne constate aucune différence de phénotype, de valeurs hématologiques, ou de développement des deux souris, et l’affinité de l’Hb pour l’oxygène est sensiblement la même. Les auteurs ont ensuite évalué les taux circulants de NO et de ses métabolites (nitrates, nitrites, S-nitrosothiols et autres composés), et aucune différence notable n’a été détectée, sauf un taux légèrement inférieur de nitrites (~ 20 %), mais cette différence n’est pas significative. Cette similitude entre animaux normaux et mutants n’est pas modifiée lors d’un exercice, qu’il soit intense ou chronique. L’expression de la synthase eNOS est la même, ce qui permet de conclure que la perte de la Cys β93 ne se traduit pas par une augmentation adaptative de la synthèse endogène de NO. La quantité globale de S-nitrosothiols n’est pas modifiée, seule la répartition en est différente, localisée avec l’Hb dans la fraction de haut PM dans le cas de HbC93, mais dans la fraction de bas PM, sans doute sous forme de S-nitrosoglutathion, dans le cas de HbA93. Au total, des différences phénotypiques très mineures, et fonctionnellement, il n’y a aucune différence dans les valeurs des pressions artérielles, systolique et diastolique entre ces deux types de souris.

Une autre série d’expériences a alors été entreprise, tenant compte du fait que les mécanismes induisant l’hypoxie in vivo peuvent être multiples. Les auteurs ont exploré l’action des GR purifiés des souris HbC93 et HbA93 sur des artères pulmonaires de lapin exposées à un taux d’oxygène variable. Les deux types de GR entraînaient les mêmes effets : une vasoconstriction par captation du NO endogène si l’artère a une oxygénation équilibrée (21 % O2), une vasodilatation suivie de vasoconstriction secondaire en hypoxie (≤ 1 % O2) [ 16]. Cette similitude de comportement indique que la vasodilatation hypoxique n’est pas contrôlée par SNO, mais due à une libération d’ATP par les GR hypoxiques, qui stimule la production de eNOS [ 17]. L’action de l’ATP est due à un métabolite, l’adénosine ; elle est en effet inhibée par la théophylline, antagoniste du récepteur de l’adénosine. Pour les auteurs, SNOHb ne joue pas un rôle essentiel comme régulateur physiologique de la concentration de NO circulante. La stricte conservation de la Cys β93 fait cependant supposer que ce résidu aurait un rôle important, sans doute dans des maladies vasculaires.

Le travail de Tim Townes, qui paraît structuré et convaincant a cependant provoqué une critique immédiate et polémique de J.S. Stamler [ 18], s’attaquant aux procédures expérimentales. À cette polémique, Tim Townes répond en justifiant ses expériences tout en admettant que tout n’est pas éclairci et que le sujet méritera encore des explorations. Le nombre et le rythme des publications sur le NO, presque quotidiennes, démontrent en effet l’importance du sujet, tant du point de vue de la compréhension fondamentale du mécanisme de son transport par l’hémoglobine que des multiples applications pathologiques et de la réflexion sur des applications thérapeutiques.

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