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Med Sci (Paris). 2009 February; 25(2): 115–116.
Published online 2009 February 15. doi: 10.1051/medsci/2009252115.

La sénescence prématurée : chimère, ange salvateur ou Dr Jekyll et Mr Hyde ?

Alain Puisieux1* and Stéphane Ansieau*

Inserm U590, Centre Léon Bérard 28, rue Laennec, 69008 Lyon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Vieillissement précoce, Animaux, Modèles animaux de maladie humaine, Humains, Personnalité

 

La sénescence cellulaire a été identifiée il y a près de 50 ans comme un processus d’arrêt définitif de prolifération en réponse au vieillissement de nos cellules. Ce blocage de la prolifération est une conséquence de la diminution progressive de la taille des extrémités des chromosomes, appelées télomères, au cours des divisions cellulaires. Le raccourcissement des télomères se conduit en effet comme une horloge biologique : quand leur taille devient critique, un signal anti-prolifératif est activé, conduisant à une sénescence dite « réplicative ». On sait maintenant qu’un état de sénescence cellulaire peut également être observé en réponse à d’autres stress, tels que des altérations de l’ADN, des perturbations chromatiniennes ou des activations aberrantes d’oncogènes. Pour le distinguer de la sénescence réplicative, on désigne ce processus sous le terme de « sénescence prématurée ». Depuis les premières observations de ce phénomène, dans les années 1990, la sénescence prématurée fait l’objet de discussions enflammées au sein la communauté scientifique. Trois articles dans ce numéro de Médecine/Sciences (→) [ 13] font le point sur les connaissances actuelles tant dans le domaine des mécanismes régulateurs et effecteurs de ce processus complexe que dans celui de ses conséquences biologiques et physiopathologiques dans les domaines de la fibrogenèse et de la cancérogenèse.

(→) Voir les articles d’Hélène Gilgenkrantz, Marie-France Gaumont/Gerardo Ferbeyre, et Oliver Bischof et al., pages 137 et 138 et 153 de ce numéro

La notion de sénescence prématurée est née d’une observation inattendue voir contre-intuitive : l’expression forcée de versions oncogéniques de facteurs mitogéniques dans des cellules normales ne provoque pas une augmentation des capacités de prolifération cellulaire, mais entraîne au contraire une réponse anti-proliférative caractérisée soit par la mort des cellules par apoptose soit par un arrêt définitif du cycle cellulaire, caractéristique de la sénescence. Nous savons maintenant que cette réponse est due à l’activation de mécanismes de sauvegarde cellulaire contrôlés par deux protéines onco-suppressives bien connues : p53 et Rb [ 4, 5]. Sur la base de ces observations expérimentales, sénescence et apoptose ont donc été proposées comme des mécanismes susceptibles de s’opposer à l’émergence de cellules à potentiel hyperprolifératif. Cette interprétation a cependant été longtemps décriée, beaucoup considérant la sénescence prématurée comme la résultante artéfactuelle de la surexpression aberrante d’oncogènes dans des cellules s’empilant dans des boîtes de culture, bien loin des conditions offertes par un organisme vivant. Même si de réelles questions demeurent, essentiellement liées aux niveaux d’expression des oncogènes utilisés [ 6, 7], de nombreuses observations récentes confirment la réalité biologique du processus et son importance en tant que mécanisme onco-suppresseur [1] (→).

(→) Voir l’article d’Oliver Bischof et al., pages 153 de ce numéro.

Aussi bien dans des modèles animaux que dans des lésions humaines, ce programme cellulaire est en effet activé, au même titre que l’apoptose, dans les lésions pré-néoplasiques en réponse à l’activation d’oncogènes ou suite à la perte de certains gènes suppresseurs de tumeur [ 812]. Cette réponse de sauvegarde est inhibée dans les tumeurs malignes correspondantes, suggérant que le blocage des processus de sénescence et d’apoptose constitue un pré-requis à la progression maligne. Si elle est nécessaire à la genèse de la tumeur, cette inhibition semble également nécessaire au maintien de la croissance tumorale. En effet, dans des modèles murins, la réactivation de la protéine p53, un facteur clé du contrôle de l’apoptose et de la sénescence, est suffisante pour provoquer une régression tumorale [ 13, 14]. Enfin, des observations récentes suggèrent que l’inactivation des processus de sénescence et d’apoptose peut également influencer l’invasion et la dissémination métastatique (pour revue, voir [ 15]) [ 16, 17]. Ces processus apparaissent donc aujourd’hui comme des mécanismes protecteurs majeurs, en prévenant la prolifération et la dissémination de cellules anormales. Pourtant, il pourrait exister une face obscure de la sénescence cellulaire. En effet, il a été montré récemment que les cellules sénescentes étaient douées de capacités sécrétoires caractérisées notamment par la production de métallo-protéases, de chimiokines pro-inflammatoires et de facteurs de croissance auto- et paracrines [3] (→).

(→) Voir l’article de Marie-France Gaumont et Gerardo Ferbeyre, p. 138 de ce numéro)

Si la sénescence provoque l’arrêt de la division de la cellule affectée, elle pourrait ainsi dans le même temps provoquer une altération du microenvironnement tissulaire et une réponse inflammatoire qui favoriseraient la progression tumorale [1, 3] (→).

(→) Voir les articles de Marie-France Gaumont/Gerardo Ferbeyre, et Oliver Bischof et al., pages 138 et 153 de ce numéro

Mécanisme onco-suppresseur ou élément promoteur de la progression tumorale, la sénescence constitue sans nul doute un champ majeur d’investigations. Il est fort à parier que les travaux menés ces prochaines années nous démontreront que derrière l’appellation de « sénescence cellulaire » se cache une complexité biologique encore insoupçonnée. Sur la base d’une analyse critique de l’abondante littérature scientifique qui abreuve actuellement ce domaine de recherche, les trois articles de ce numéro de Médecine/Sciences permettent de prendre conscience de cette complexité et d’entrevoir l’importance physiopathologique de ce phénomène à multiples facettes.

References
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17.
Puisieux A, Ansieau S. La dissemination précoce de cellules métastatiques : une nouvelle donnée aux consequences majeures ! Med Sci (Paris) 2009; 25 : 28–30.