Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2008 August; 24(8-9): 686–688.
Published online 2008 August 15. doi: 10.1051/medsci/20082489686.

Événements climatiques et structuration géographique de la diversité génétique
L’ADN ancien des ours bruns (Ursus arctos) parle

Sébastien Calvignac*

4, rue Jayet, 69007 Lyon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Climat, ADN, ADN mitochondrial, Écosystème, Europe, Variation génétique, Géographie, Ursidae

 

La question des liens existant entre les modifications de l’environnement et la diversité génétique des espèces traverse le champ entier de l’écologie moléculaire [ 1]. En particulier, la tentation est grande - et nombre de chercheurs y succombent - d’essayer de trouver dans des évènements passés, très souvent climatiques, l’explication de la structuration de la diversité génétique parfois observée actuellement. L’ours brun (Ursus arctos), dont la diversité mitochondriale actuelle est très bien caractérisée [ 2], est un exemple fameux auquel ce genre de raisonnement corrélatif a été largement appliqué. Sur l’ensemble de l’aire de répartition de cette espèce, on observe en effet que la diversité génétique est structurée géographiquement, c’est-à-dire que les clades définis à partir des analyses phylogénétiques n’ont pas une distribution aléatoire dans les populations sauvages. Les trois clades de séquences mitochondriales identifiés en Europe ont ainsi des répartitions géographiques différentes et non chevauchantes (Figure 1) [ 3]. Pour expliquer l’apparition de ce genre de motif, on a beaucoup recouru à la théorie des refuges glaciaires. Celle-ci postule qu’à l’occasion des variations climatiques importantes qui ont balayé tout le Quaternaire, les espèces ont dû adapter leurs aires de répartition, se dirigeant vers le Sud lors des périodes de refroidissement, recolonisant le Nord lors des périodes de réchauffement. Le corollaire génétique de ces mouvements serait un appauvrissement du stock génétique lors des périodes froides (des lignées entières étant forcément « perdues », de façon complètement aléatoire) et donc une reconquête du Nord par des populations génétiquement plus homogènes (qui plus est elles aussi soumises aux mêmes pertes aléatoires). La structuration actuelle de la diversité génétique mitochondriale de l’ours brun ne serait donc que la trace encore fraîche de la dernière de ces contractions, qui s’est produite en réponse au dernier maximum glaciaire (DMG, il y a environ 20 000 ans). Il est important de noter que, si la modification des aires de répartition des espèces en réponse aux variations climatiques est tout à fait établie [ 4], et ce y compris chez l’ours brun [ 5], le fait que les structures génétiques observées aujourd’hui soient effectivement les conséquences des mouvements de populations induits par les glaciations reste une simple hypothèse. Dans les faits, la corrélation putative changement climatique/structuration actuelle de la diversité génétique n’est en effet testée (et testable !) que très rarement. Un outil potentiellement puissant permettant d’évaluer la pertinence réelle de cette corrélation a récemment été mis en Ĺ“uvre à l’occasion de plusieurs travaux centrés sur l’ours brun : l’étude paléogénétique d’échantillons sub-fossiles [ 6]. Celle-ci nous renseigne sur les causes des structures phylogéographiques observées actuellement.

Une première escapade béringienne accuse le DMG

Le succès des analyses paléogénétiques est hautement dépendant de la qualité des échantillons [6]. Ceux provenant de régions dont l’histoire thermique est plutôt froide - comme la Béringie, autrefois à cheval entre Alaska et Sibérie - livrent généralement un ADN de bonne qualité, amplifiable par PCR et peu modifié par les dégradations ayant inexorablement affecté les macromolécules organiques après la mort des organismes [6]. Il n’est donc pas étonnant que ce soit cette région qui ait été l’objet des premiers tests sérieux de l’effet du DMG sur la diversité génétique d’Ursus arctos [ 7, 8]. Analysant plus d’une cinquantaine de sub-fossiles béringiens, les auteurs de ces études pionnières ont pu mettre en évidence des situations bien différentes de part et d’autre de cet extrême climatique [7, 8]. Avant le DMG, ils identifient en effet des populations mixtes, composées de représentants de plusieurs clades mitochondriaux, alors qu’après le DMG, la situation ressemble à s’y méprendre à celle encore observée de nos jours : la diversité génétique de l’espèce est très nettement structurée géographiquement (Figure 2) [7, 8]. Il apparaît donc qu’en Amérique du Nord, c’est bien le DMG qui est à l’origine de la phylogéographie actuelle.

L’étude des populations européennes à l’Holocène accuse l’homme

À l’exact opposé de l’aire de répartition actuelle des ours bruns, fort peu de restes sub-fossiles avaient été analysés jusque très récemment. Sur la base de l’analyse de deux spécimens seulement, on avait pourtant postulé que certaines populations européennes pré-DMG étaient, comme en Amérique du Nord, mixtes [ 9]. Valdiosera et al. [ 10] ont analysé les ossements de 66 individus provenant de 12 sites différents situés d’ouest en est en Espagne, France, Italie, Allemagne et Roumanie. Les conditions de préservation, moins bonnes qu’en Béringie, n’ont permis d’amplifier de courts fragments du génome mitochondrial que chez 21 de ces spécimens, tous post-DMG [10]. Les auteurs mettent en évidence que la diversité génétique mitochondriale était jusqu’il y a seulement quelques milliers d’années largement supérieure à celle observée actuellement [10]. De plus, et de façon tout à fait frappante, les clades identifiés n’étaient pas, contrairement à ce qui est observé de nos jours, distribués géographiquement (Figure 2) [10]. Par exemple, des spécimens génétiquement proches des ours vivant actuellement en Italie étaient retrouvés en Espagne et vice et versa [10]. Il apparaît donc que, contrairement à ce qui s’est passé en Amérique du Nord, le DMG n’est pas à l’origine de la structuration actuelle de la diversité mitochondriale d’Ursus arctos (Figure 2) [10]. La transition Pléistocène/Holocène (transition P/H, il y a environ 10 000 ans), caractérisée elle par un réchauffement climatique, ne semble pas non plus pouvoir être incriminée, puisque beaucoup des échantillons analysés lui sont largement postérieurs [10]. Il est donc très probable que ce soit plutôt l’augmentation de la pression anthropique sur l’espèce (via la chasse bien sûr mais encore plus certainement via la fragmentation progressive de son habitat forestier) qui soit à l’origine de la structuration actuelle de sa diversité génétique (Figure 2).

Conclusion : le climat et l’homme co-accusés

Les bouleversements climatiques récents, et en particulier celui du DMG, ont bien entendu eu un impact majeur sur la diversité génétique des espèces et sur la répartition géographique actuelle de cette diversité. Le cas de l’ours brun en Amérique du Nord, éclairé par l’analyse de nombreux restes sub-fossiles, l’illustre très bien [7, 8]. Mais d’autres bouleversements, non climatiques et encore bien plus récents que le DMG, ont aussi profondément altéré l’environnement des espèces et ne doivent pas être oubliés. L’augmentation de la densité des populations humaines presque partout dans le monde au cours du Néolithique puis son accélération exponentielle au cours des derniers siècles, sont en particulier à prendre en compte. Ils expliquent sans doute beaucoup du motif observé aujourd’hui en Europe [10]. Même en Amérique du Nord, l’anthropisation des milieux a d’ailleurs laissé sa marque : deux études de spécimens de musées ont ainsi mis en évidence une réduction significative de la diversité génétique des ours bruns états-uniens au cours des deux derniers siècles [2, 11]. Présenter sans a priori les différentes hypothèses pouvant expliquer l’apparition des structures actuelles est donc plus que jamais nécessaire.

 
Acknowledgments

Merci au Dr Marie Pagès dont les conseils avisés m’ont été d’un grand secours.

References
1.
Avise JC Phylogeography : the history and formation of species. Boston : Harvard University Press, 2000.
2.
Miller CR, Waits LP, Joyce P. Phylogeography and mitochondrial diversity of extirpated brown bear (Ursus arctos) populations in the contiguous United States and Mexico. Mol Ecol 2006; 15 : 4477–85.
3.
Taberlet P, Bouvet J. Mitochondrial DNA polymorphism phylogeography and conservation genetics of the brown bear Ursus arctos in Europe. Proc R Soc Lond B Biol Sci 1994; 255 : 195–200.
4.
Taberlet P, Cheddadi R. Ecology. Quaternary refugia and persistence of biodiversity. Science 2002; 297 : 2009–10.
5.
Sommer R, Benecke N. The recolonization of Europe by brown bears Ursus arctos Linnaeus, 1758 after the Last Glacial Maximum. Mammal Rev 2005; 2 : 156–64.
6.
Debruyne R, Barriel V. Évolution biologique et ADN ancien. Med Sci (Paris) 2006; 22 : 502–6.
7.
Leonard JA, Wayne RK, Cooper A. Population genetics of ice age brown bears. Proc Natl Acad Sci USA 2000; 97 : 1651–4.
8.
Barnes I, Matheus P, Shapiro B, et al. Dynamics of Pleistocene population extinctions in Beringian brown bears. Science 2002; 295 : 2267–70.
9.
Hofreiter M, Serre D, Rohland N, et al. Lack of phylogeography in European mammals before the last glaciation. Proc Natl Acad Sci USA 2004; 101 : 12963–8.
10.
Valdiosera CE, García N, Anderung C, et al. Staying out in the cold : glacial refugia and mitochondrial DNA phylogeography in ancient European brown bears. Mol Ecol 2007; 16 : 5140–8.
11.
Miller CR, Waits LP. The history of effective population size and genetic diversity in the Yellowstone grizzly (Ursus arctos) : implications for conservation. Proc Natl Acad Sci USA 2003; 100 : 4334–9.