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Med Sci (Paris). 2008 May; 24(5): 447–448.
Published online 2008 May 15. doi: 10.1051/medsci/2008245447.

L’importance de la biologie synthétique

Michel Morange*

Unité de génétique moléculaire, École normale supérieure, 46, rue d’Ulm, 75230 Paris Cedex 05, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Biologie, Génome, Biologie des systèmes, Ingénierie tissulaire

 

Ce numéro de Médecine/Sciences célèbre à juste titre le succès remporté par une équipe française dans la compétition iGEM de biologie synthétique [ 1]. (→)

(→) Voir l’article de D. Bikard et F. Képès, page 541 de ce numéro

On peut d’ailleurs s’étonner et regretter que les institutions scientifiques françaises n’aient pas donné plus d’éclat à ce succès. Réunissant des équipes venues du monde entier au MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Boston (États-Unis), cette compétition classe les projets selon leur originalité et leur faisabilité. Il s’agit d’une extension au domaine des sciences du vivant d’une pratique existant déjà dans les Écoles d’ingénieur.

Cette victoire est d’autant plus remarquable que la recherche biologique française a été souvent lente à se convertir à de nouvelles approches scientifiques lorsque celles-ci étaient jugées trop « techniques ». Ce fut le cas, dans le passé, pour le séquençage des protéines et l’étude de leurs structures tridimensionnelles. Dans le domaine du génie génétique aussi, des pionniers comme Alain Rambach et Pierre Tiollais [ 2] eurent bien du mal à faire face au peu d’intérêt de leurs collègues. Sans doute faut-il y voir la conséquence d’un certain mépris culturel français pour les « applications » de la science.

La biologie synthétique dans l’histoire récente de la biologie

La biologie synthétique n’est apparue que récemment, au début du XXIe siècle, du moins avec l’acception que nous donnons aujourd’hui à ce terme. Selon la définition qu’en donne De Vriend [ 3], elle « consiste dans la conception et la réalisation de nouveaux dispositifs et systèmes biologiques, ou dans la modification de systèmes biologiques naturels pour des usages pratiques utiles ».

Comme le souligne Antoine Danchin dans ce numéro de M/S [ 4] (→) l’essor de la biologie synthétique s’inscrit donc clairement dans l’histoire récente de la biologie. Elle est l’héritière de la description moléculaire du vivant qui s’est élaborée dans les années 1940-1960, et des technologies du génie génétique mises au point dans les années 1970. Un des freins au développement rapide de la biologie synthétique demeure la synthèse de longues molécules d’ADN, ce qui montre bien l’ancrage de cette nouvelle approche dans les disciplines qui l’ont précédée. D’une certaine manière, elle accomplit le « rêve » des premiers biologistes moléculaires de « naturaliser » le monde vivant, de chasser le mystère qui pendant tant de siècles a entouré le fonctionnement des organismes. La meilleure manière de montrer que l’on y est parvenu est de reconstruire, partiellement ou totalement, un être vivant. L’essor de la biologie synthétique correspond donc à un moment particulier dans la longue histoire de la question « Qu’est-ce que la vie ? ». Les principes de la vie sont aujourd’hui considérés comme connus, et sa reproduction devenue possible. Seule demeure la question de son origine.

(→) Voir l’article de A. Danchin, page 533 de ce numéro)

La biologie synthétique est un domaine de recherche hétérogène. Le degré d’« artificialité » de ses projets est très variable, de la simple production de molécules organiques à l’introduction de fonctions logiques chez les organismes vivants. La distance est grande entre des projets appliqués visant par exemple à introduire une voie métabolique dans une bactérie et l’ambition de Craig Venter de créer une nouvelle bactérie. Quelles que soient les réserves que l’on peut avoir vis-à-vis de l’intense médiatisation de ces derniers travaux, leur intérêt est évident.

La biologie synthétique se distingue cependant des disciplines qui l’ont précédée ; d’abord par un certain état d’esprit. Elle fait appel aux jeunes chercheurs pour faire « bouger le système », comme dans la compétition iGEM. Les spécialistes de biologie synthétique visent souvent à réaliser des expériences spectaculaires - telle la création de bactéries capables de « photographier » -, qui servent ultérieurement d’icônes à la jeune discipline [ 5]. Ses projets sont plus intégrés que ceux du génie génétique : ils concernent des processus entiers, et impliquent l’introduction de modules fonctionnels. Ils sont par nature pluridisciplinaires : leur élaboration est faite avec un esprit d’ingénieur ; les procédures et les outils sont standardisés au maximum - on parle de biobriques -, de manière à enclencher une facilitation exponentielle de la réalisation de nouveaux projets, et les systèmes que l’on veut développer sont modélisés avant d’être construits. Les procédures utilisées en électronique et en informatique servent de modèles. La biologie synthétique représente ainsi un certain retour au premier plan d’une biologie théorique, très présente dans la première moitié du XXe siècle, mais chassée par l’essor de la biologie moléculaire. Le projet de l’équipe iGEM française était d’ailleurs remarquable par la palette des méthodes de modélisation utilisées.

La biologie synthétique va probablement transformer la biologie plus que d’autres disciplines récemment apparues comme la biologie des systèmes, car elle change les critères de ce qu’est une bonne explication scientifique. En biologie, traditionnellement, expliquer était proposer un schéma capable de rendre compte du processus étudié. Que l’on soit incapable de reconstruire un système équivalent à partir des connaissances acquises n’était pas un critère suffisant pour rejeter l’explication proposée. Cette conviction s’est rapidement estompée ces dernières années, car les schémas explicatifs proposés se sont révélés insuffisants, non pour interpréter les phénomènes observés, mais pour anticiper le fonctionnement, et les dysfonctionnements, des systèmes biologiques. Que l’on pense par exemple aux nombreuses surprises réservées par les expériences d’inactivation gènique. Connaître un système, c’est aujourd’hui être capable de le mimer, de le reconstruire. Analyse et synthèse doivent aller de pair, comme en chimie. C’est là un changement épistémologique révolutionnaire pour la biologie, et un enrichissement de cette dernière.

Biologie synthétique et Évolution

La biologie synthétique représente, après le génie génétique, un moment important de l’histoire de la vie : celui où l’espèce humaine prend consciemment et rationnellement en charge cette dernière. Quelles sont les difficultés auxquelles un projet aussi ambitieux risque de se heurter ?

Coexistent chez les biologistes deux visions assez différentes de l’action de la sélection naturelle. Selon la première, partagée par Jacques Monod et les biologistes des systèmes, cette action conduit à l’émergence d’un ordre et de propriétés particulières. L’existence de symétries dans les protéines régulatrices, l’architecture caractéristique des réseaux présents dans les cellules vivantes, et l’organisation modulaire du vivant seraient les résultats de cette activité organisatrice de la sélection naturelle. Dans la seconde vision, l’action de la sélection naturelle est perturbatrice. L’organisation modulaire du vivant dont parlent les spécialistes de biologie des systèmes serait une illusion, une « fiction » : la sélection naturelle, en bricolant avec ce qui existe déjà, brouillerait les cartes, créerait des interactions nouvelles entre des modules indépendants dont elle effacerait ainsi les frontières. Dans le premier cas, les projets de biologie synthétique ont de bonnes chances d’être couronnés de succès. Dans le second, ils risquent d’être très vite effacés par l’évolution naturelle des formes de vie synthétiques. Peut-être le futur est-il entre les deux : l’approche rationnelle de la biologie synthétique devra être complétée par le travail aveugle de la sélection naturelle ; comme dans l’ingénierie actuelle des protéines où modifications rationnelles et sélection in vitro ou ex vivo sont associées.

Les projets de biologie synthétique représentent-ils un danger nouveau, et nécessitent-ils une surveillance particulièrement étroite ? Étant une extension des pratiques du génie génétique, ils ne nous semblent pas appeler la mise en Ĺ“uvre de nouvelles procédures de contrôle. Deux éléments sont d’ailleurs rassurants. Le premier est que la presque totalité de ces projets a pour objectif la modification de bactéries ou de levures. Le deuxième est que ces projets, et en particulier les plus ambitieux d’entre eux comme ceux de Craig Venter, se heurtent déjà à de multiples difficultés. Les organismes ainsi synthétisés, partiellement ou totalement nouveaux, ont toutes les chances d’être défavorisés dans la lutte pour la survie vis-à-vis des organismes naturels. Ce n’est pas demain que le travail des spécialistes de biologie synthétique rivalisera avec les accomplissements réalisés par quatre milliards d’années d’évolution. Même maladroits, les projets de biologie synthétique seront néanmoins essentiels pour nous aider précisément à comprendre ce qui s’est passé pendant ces quatre milliards d’années. Le projet iGEM français était, à ce point de vue, exemplaire. Discrètement, il abordait une question fondamentale pour la biologie : celle des mécanismes à l’origine de la multi-cellularité et de la différenciation cellulaire.

References
1.
Bikard D, Képès F, et l’équipe iGEM Paris. Succès de la première équipe française lors de la compétition iGEM de biologie synthétique. Med Sci (Paris) 2008; 24 : 541–4.
2.
Rambach A, Tiollais P. Bacteriophage lambda having EcoRI endonuclease sites only in the non essential region of the genome. Proc Natl Acad Sci USA 1974; 71 : 3927–30.
3.
De Vriend, H. Constructing life. Early social reflections on the emerging field of synthetic biology. Working Document 97. The Hague : Rathenau Institute, 2006.
4.
Danchin A Saurons-nous construire une bactérie synthétique ? Med Sci (Paris) 2008; 24 : 533–40.
5.
Levskaya A, Chevalier AA, Tabor JJ, et al. Engineering Escherichia coli to see light. Nature 2005; 438 : 441–2.