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Med Sci (Paris). 2008 March; 24(3): 246–248.
Published online 2008 March 15. doi: 10.1051/medsci/2008243246.

L’entose, mort cellulaire par cannibalisme entre cellules tumorales

Arnaud A. Mailleux, Michael Overholtzer, and Joan S. Brugge*

Harvard Medical School, Cell Biology Department, 240 Longwood Avenue, Boston MA 02115, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Adénocarcinome, Animaux, Tumeurs du sein, Adhérence cellulaire, Mort cellulaire, Lignée cellulaire tumorale, Humains, Microscopie confocale, Microscopie électronique, Protéines tumorales, Tumeurs, Vacuoles, Protéines G rho, rho-Associated Kinases

 

La mort cellulaire joue un rôle clé dans le développement de nombreux organes et dans l’homéostasie tissulaire chez l’adulte. Un dérèglement de l’équilibre entre la prolifération et la mort cellulaires peut conduire au développement de maladies dégénératives par un excès de mort cellulaire, ou à l’émergence de cancers en cas de déficit. Les cellules peuvent déclencher leur autodestruction en réponse à un stress intracellulaire ou un signal de mort extracellulaire. Ce processus de mort cellulaire physiologique appelé apoptose (ou suicide cellulaire) est génétiquement contrôlé et fut particulièrement étudié ces dernières années [ 1].

Par exemple, le détachement de cellules épithéliales de la matrice extracellulaire sous-jacente déclenche leur élimination par une forme d’apoptose appelée anoikis [ 2] (du grec « sans-abri »). L’anoikis est ainsi induite par la perte de l’engagement des intégrines membranaires qui ancrent les cellules aux protéines de la matrice extracellulaire. Les intégrines sont habituellement connectées aux microfilaments d’actine par leur domaine intracellulaire. Les cellules cancéreuses sont généralement résistantes à la mort induite par anoikis. Cette résistance leur conférerait potentiellement la capacité de survivre au voyage en dehors de la tumeur primaire et de former ainsi des métastases.

D’autres processus de mort non-apoptotique, comme la nécrose cellulaire ou l’autophagie par exemple [ 3], peuvent parfois agir en synergie avec l’apoptose pour occire efficacement une cellule et peuvent aussi compenser une apoptose déficiente [ 4, 5].

Mise en évidence et caractéristiques de l’entose

Récemment, un autre processus de mort cellulaire alternatif a été mis en évidence lorsque des cellules épithéliales perdent contact avec leur substrat in vitro [ 6]. Ainsi, des cellules de lignées épithéliales d’origine mammaire peuvent aussi former en suspension des agrégats où des cellules se retrouvent complètement encapsulées dans des vacuoles au sein de cellules voisines (Figure 1). Ce processus nommé « entose », du grec entos (« dedans ») se déroulait en parallèle de l’anoikis dans ce modèle in vitro [6]. À première vue, la concomitance de ces deux processus pourrait suggérer que ce phénomène d’internalisation correspond à la phagocytose de cellules mortes en anoikis par leurs voisines encore en vie. Au cours de l’apoptose, la cellule mourante émet des signaux. En particulier, elle expose sur le feuillet externe de la membrane plasmique des résidus phosphatidylsérine (PS), un phospholipide normalement situé sur son feuillet interne, qui permettront sa reconnaissance, sa phagocytose et son élimination par les macrophages et d’autres type cellulaires dont les cellules épithéliales mammaires [ 79]. Au cours de l’entose, la cellule internalisée ne présente pas les marqueurs caractéristiques de l’apoptose tant au niveau morphologique que biochimique. En particulier, ces cellules n’exposent pas de résidus PS sur leur feuillet membranaire extérieur. De plus, l’inhibition de l’apoptose en général n’avait aucun effet sur l’entose de ces cellules en suspension. Contrairement à la phagocytose de corps apoptotiques, la cellule internalisée est donc parfaitement vivante au cours de l’entose. Des divisions cellulaires sont parfois observées dans ces vacuoles confirmant la bonne santé de la cellule internalisée.

D’un point de vue mécanistique (Figure 1A), l’entose nécessite la formation de jonctions adhérentes intercellulaires faisant intervenir les protéines adhésives de la famille des cadhérines. Il est probable que lors de la perte de l’engagement des intégrines, les cellules essayent de s’attacher sur le seul substrat disponible : une autre cellule. Il s’ensuivrait un processus d’internalisation nécessitant l’intervention du cytosquelette d’actine/myosine sous la dépendance de la protéine GTPase Rho et de son effecteur Rock, une protéine kinase. La voie de signalisation de la protéine GTPase Rho joue un rôle central dans le contrôle de la dynamique du cytosquelette d’actine/myosine [ 10]. Un déséquilibre des forces contractiles générées par les jonctions adhérentes entre les deux cellules pourrait ainsi expliquer l’internalisation d’une des cellules. Paradoxalement, l’activation de la voie Rho/Rock n’est nécessaire que pour la cellule internalisée suggérant que la cellule hôte est passive de ce point de vue. En conclusion, la cellule « entosée » est bien vivante, active et va littéralement envahir l’autre cellule (Figure 1).

À la suite de leur intrusion dans la cellule hôte, les cellules internalisées sont encapsulées dans une vacuole et sont généralement dégradées par des enzymes d’origine lysosomale (Figure 1C-D, 2A). Ce processus de mort est médié par les lysosomes et ne semble pas apoptotique. La cellule internalisée est ainsi cannibalisée et digérée vivante dans les entrailles de l’autre cellule. Il faut aussi noter qu’un petit nombre de cellules internalisées sont relâchées par la cellule hôte ou réussissent à s’échapper.

Pertinence de l’entose in vivo

L’entose n’est pas restreinte uniquement aux cellules d’origine mammaire (Figure 2A). Par exemple, ce processus a été observé in vitro dans d’autres lignées cellulaires d’origine ovarienne, endothéliale ou mésothéliale cultivées en suspension [6]. Au premier abord, il semblerait possible que l’entose ne soit qu’un artefact observé in vitro lorsque des cellules sont cultivées en suspension. Néanmoins, d’un point morphologique, l’entose ressemble aux figures de cannibalisme cellulaire décrites en cytologie où une cellule tumorale se retrouve internalisée dans une autre cellule cancéreuse [ 11]. Ce phénomène est observé dans des tumeurs solides et dans les effusions pleurales de certains patients atteints de métastases [11] (Figure 2B-C). Une étude plus approfondie [6] montre que ces figures de cannibalisme entre cellules tumorales se caractérisent aussi par la formation de jonctions adhérentes en l’absence d’attachement avec la matrice et ce même dans les tumeurs solides. De plus, la cellule internalisée était souvent digérée par les lysosomes dans la cellule hôte. Ainsi, l’entose semble correspondre au phénomène de cannibalisme entre cellules cancéreuses observé in vivo dans certains types de tumeurs. Il existe aussi d’autres formes de cannibalisme cellulaire où des cellules de mélanome malin peuvent internaliser des lymphocytes T [ 12] par exemple.

Cependant, quel est l’impact de l’entose sur la croissance d’une tumeur ? Le fait que des cellules s’éliminent entre elles suggère que l’entose serait un processus suppresseur de tumeur. De plus, l’inhibition de l’entose dans un modèle in vitro de tumorigenèse augmente la taille de colonies formées par des cellules cancéreuses [6].

En conclusion

L’entose se caractérise par l’invasion d’une cellule par une autre menant à la destruction de la cellule internalisée. Ce processus est observé in vivo dans des échantillons provenant de patients atteints de cancer et semble ralentir la croissance de la masse tumorale in vitro. Cependant les questions de la régulation de l’entose et son impact sur la croissance tumorale in vivo restent ouvertes.

References
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11.
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