La situation intermédiaire de ce mammifère dans l’évolution justifiait pleinement le séquençage et l’analyse comparative de son génome. C’est chose faite. Une centaine de chercheurs de nombreux pays (dont l’UMR INRA-CNRS 6073 de Touraine) viennent de rechercher, en fonction de leur spécialité, ce que les monotrèmes possèdent en propre et surtout ce qu’ils ont en commun avec les reptiles et les mammifères [
4].
En 2004, une équipe australienne avait analysé les chromosomes sexuels : ils sont au nombre de 10, tous identiques chez la femelle et en alternance, un petit et un grand chez le mâle [
5]. Le plus grand chromosome ressemble plutôt au chromosome Z des oiseaux et possède le gène DMRT1 (doublesex- and mab3-related transcription factor 1) impliqué dans les réversions sexuelles chez l’homme [
6]. Mais sur son chromosome 6, l’ornithorynque est doté d’une région très conservée de l’X (y compris SOX3, ancêtre de SRY). Celle-ci reflète donc une séquence importante du chromosome ancestral d’où sont issus les chromosomes sexuels des thériens.
Des trois gènes de la vitellogénine (jaune d’œuf dont les petits se nourrissent jusqu’à l’éclosion chez les oiseaux), il n’en reste plus qu’un seul. En revanche, l’ornithorynque possède tous les gènes codant la caséine, protéine importante du lait des mammifères. Ainsi, selon une étude suisse, la lactation serait à l’origine de la perte progressive de la vitellogénine et elle aurait précédé la placentation [
7].
Les gènes codant les protéines de l’émail sont conservés, ce qui explique la présence de dents chez les jeunes. Concernant les gènes de la vision, alors que les mammifères sont pour la plupart dichromates (avec LWS et SWS1, long and short wave sensitive classes), les monotrèmes ont conservé SWS2, tandis que les primates, ultérieurement, ont acquis une vision trichrome grâce à la duplication du gène LWS [
8].
Quant au venin, qui provoque des douleurs très vives et prolongées (dues sans doute à la production d’un courant calcium-dépendant [
9]), il est composé d’un cocktail d’au moins 19 substances, comprenant des peptides proches des défensines (substances antimicrobiennes) ou OvDLP (ornithorynchus venom defensin-like) ; des peptides analogues (comme les crotamines) sont aussi observés dans les venins de serpents.
Bien que le système immunitaire des monotrèmes soit semblable à celui des autres mammifères, les chercheurs ont eu la surprise de trouver 214 gènes de NKR (natural killer
receptor), nombre bien plus élevé que chez l’homme (15 gènes) ou le rat (45 gènes). Comme l’opossum, l’ornithorynque possède une expansion de la famille des gènes codant des cathélicidines. L’homme et les rongeurs n’en possèdent qu’un (CAMP pour cathelicidin antimicrobial peptide). Il est possible que chez les mammifères, l’augmentation du temps de la gestation et du développement in utero rendent moins utiles ces peptides antimicrobiens que pour les jeunes de monotrèmes qui ont besoin d’un arsenal étendu de réponses immunes innées.
Mais, la plus grande surprise de cette étude génomique vient certainement de la découverte des très nombreux gènes codant des récepteurs olfactifs et de type voméronasal V1R et V2R. Il semble que ceux-ci, répartis sur le bec, reflètent une adaptation sensorielle pour des composés odorants solubles dans l’eau dans laquelle l’ornithorynque passe le plus clair de son temps. Le grand répertoire (environ 700) des gènes – et pseudogènes – des récepteurs odorants rapproche l’ornithorynque des mammifères plutôt que des sauropsidés qui en possèdent beaucoup moins.
Cette étude, dont nous ne mentionnons ici que les points principaux, et dont nous ne saurions trop recommander la lecture, apporte des notions extrêmement intéressantes sur le processus de l’évolution entre oiseaux et mammifères et confère à l’ornithorynque un génome unique parmi les êtres vivants.