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Med Sci (Paris). 2008 November; 24(11): 916–918.
Published online 2008 November 15. doi: 10.1051/medsci/20082411916.

Amiante et inflammation, rôle de l’inflammasome

Catherine Dostert* and Virginie Pétrilli

Département de Biochimie, Université de Lausanne, Chemin des Boveresses 155, 1066 Epalinges, Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Amiante, Protéines de transport, Modèles animaux de maladie humaine, Inflammation, Souris

 

L’amiante comprend un ensemble de substances minérales (silicate de calcium ou de magnésium) de texture fibreuse dont la principale caractéristique est de résister au feu, et de posséder des propriétés isolantes. L’exposition répétée aux fibres d’amiante entraîne communément une fibrose pulmonaire ou asbestose, ainsi que l’apparition de tumeurs spécifiques de la plèvre, du péritoine ou du péricarde, les mésothéliomes. Les mésothéliomes se développent après 30 à 40 ans d’exposition aux poussières d’amiante. L’amiante favorise également l’apparition de tumeurs broncho-pulmonaires, deux à cinq fois plus fréquentes que chez des personnes non exposées, après seulement 10 à 20 ans d’exposition [ 1].

Des complications similaires sont liées à la silicose, déclenchée par l’inhalation répétée des particules de silice. Dans les deux cas, asbestose et silicose, le développement de la maladie se traduit par une étape initiale d’inflammation.

Bien que de nombreuses études épidémiologiques aient démontré la relation causale entre l’amiante et l’apparition de fibroses pulmonaires et de mésothéliomes, les mécanismes biologiques aboutissant à l’inflammation pulmonaire après exposition à l’amiante ou au silice sont à ce jour très peu connus.

Le récepteur NOD-like Nalp3 des macrophages, un composant de l’inflammasome

Les macrophages pulmonaires jouent un rôle primordial dans l’élimination des pathogènes et des corps étrangers au niveau du poumon en ingérant ces composés pour ensuite les détruire. Le contact qui s’établit entre les macrophages et les corps étrangers active des récepteurs cellulaires de l’immunité innée et induit la sécrétion de médiateurs inflammatoires, dont une cytokine pro-inflammatoire essentielle l’interleukine-1β (IL-1β). Un certain nombre de récepteurs cellulaires capables de déclencher une réponse inflammatoire sont exprimés par les macrophages, parmi eux les Toll-like receptors (TLR) [ 11] et les NOD-like receptors (NLR) reconnaissent des signatures moléculaires de pathogènes (PAMP) ou des signaux de danger (DAMP, damage associated molecular pattern molecules) comme HMGB1 (high mobility group box 1), ou encore les protéines S100 ou l’ADN [ 2] (Figure 1). Un de ces NLR, Nalp3, joue un rôle capital au niveau des macrophages dans la détection d’une variété de PAMP et de DAMP, en induisant notamment la production d’IL-1β [ 3].

Le récepteur Nalp 3 agit au sein d’un complexe moléculaire appelé « l’inflammasome ». De façon schématique, ce complexe est formé par différentes protéines, le récepteur Nalp3, les adaptateurs, ASC et Cardinal, et la caspase-1, enzyme responsable de la maturation du précurseur proIL-1β en IL-1β active [ 4]. Des mutations de Nalp3 sont associées à trois maladies auto-inflammatoires de transmission autosomique dominante – le syndrome de Muckle Wells1, le familial cold auto-inflammatory syndrome (FCAS) et le syndrome chronic infantile neurological cutaneous and articular (CINCA) – qui se caractérisent par des périodes récurrentes de fièvre sans infection associée, accompagnées d’une sécrétion d’IL-1β élevée [ 5].

La « phagocytose frustrée » des fibres d’amiante

Nalp3 est capable de détecter différents signaux associés à des pathogènes, mais également des signaux de danger, comme l’ATP ou les cristaux d’urate monosodique (MSU), qui sont à l’origine d’une maladie inflammatoire fréquente, la goutte [ 6]. L’amiante étant également une structure cristalline, nous avons voulu analyser ses capacités à activer l’inflammasome. Après exposition aux fibres d’amiante, les macrophages humains et murins produisent de fortes quantités d’IL-1β et ceci sous le contrôle de l’inflammasome Nalp3 [ 7].

De façon similaire aux cristaux de MSU, les fibres d’amiante déclenchent un efflux de potassium de la cellule, nécessaire à l’activation de Nalp3 par un mécanisme qui reste cependant encore inconnu (Figure 2). Les cristaux d’urate, de même que les fibres d’amiante, vont être phagocytés par les macrophages, ou du moins, les macrophages vont essayer de phagocyter ces particules sans toutefois parvenir à les ingérer complètement ni à les éliminer, un phénomène connu sous le nom de « phagocytose frustrée ». La déstabilisation du cytosquelette d’actine (responsable de la phagocytose) par la cytochalasine D empêche l’activation de l’inflammasome par l’amiante et la production d’IL-1β, démontrant le rôle essentiel de la phagocytose dans l’activation de l’inflammasome Nalp3. L’amiante est également capable d’induire la production des espèces réactives de l’oxygène dans la cellule et le traitement des cellules avec des antioxydants empêche la production d’IL-1β en réponse aux activateurs de l’inflammasome. La source de ces dérivés réactifs de l’oxygène durant la phagocytose pourrait être l’activation d’un complexe membranaire appelé NADPH oxydase, une enzyme activée par la phagocytose des bactéries [ 12]. L’inhibition pharmacologique de la NADPH oxydase (par le diphénylène iodonium) et son inactivation par réduction de l’expression de la sous-unité p22phox par ARN interférence, diminuent fortement la production d’IL-1β mature en réponse à l’amiante. Enfin, la réduction de l’expression d’une protéine cellulaire impliquée dans la détoxification des dérivés réactifs de l’oxygène, la thiorédoxine, aboutit, à l’inverse, à une production accrue d’IL-1β en réponse à l’amiante et à la silice.

Modèle in vivo d’exposition à l’amiante

Afin d’étudier les conséquences sur l’asbestose de l’inactivation de Nalp3 in vivo, nous avons utilisé un modèle murin d’inhalation de fibres d’amiante. L’exposition à l’amiante de souris de génotype sauvage induit un recrutement de cellules inflammatoires dans les poumons, indiquant une réaction inflammatoire. En revanche, dans les poumons des souris déficientes en Nalp3, ce recrutement de cellules inflammatoires est fortement réduit, de même que la production d’un certain nombre de cytokines, soulignant l’importance de l’inflammasome Nalp3 dans cette pathologie.

Inhiber l’IL-1, une perspective thérapeutique ?

L’ensemble de ces résultats démontrent que la phase inflammatoire induite par l’inhalation de fibres d’amiante est relayée par l’inflammasome Nalp3 et dépendante de la production d’IL-1β. Des travaux similaires ont démontré le rôle capital de l’inflammasome dans le développement de la silicose [ 8]. L’usage d’un inhibiteur naturel de l’IL-1, antagonisant le récepteur de l’IL-1, l’Anakinra, pourrait se révéler extrêmement efficace dans le cadre du traitement de l’asbestose et de la silicose. Cet inhibiteur est déjà utilisé efficacement dans le traitement d’autres maladies associées à Nalp3, comme la goutte [ 9] et les maladies auto-inflammatoires tel le syndrome de Muckle-Wells [ 10]. Nalp3 s’avère être une cible intéressante pour le développement de nouveaux médicaments visant à traiter les pathologies inflammatoires.

 
Footnotes
1 À ces signes s’associe une surdité neurosensorielle qui s’installe dans l’adolescence. La gravité de l’affection réside dans la survenue inconstante d’une amylose généralisée de type AA (source, orphanet).
References
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