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Med Sci (Paris). 2008 November; 24(11): 895–896.
Published online 2008 November 15. doi: 10.1051/medsci/20082411895.

Une nouvelle vision de l’auto-immunité

Nicolas Glaichenhaus1*

1Inserm-Université de Nice-Sophia Antipolis E 03-44, Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire, 660, Route des Lucioles, Sophia Antipolis, 06560 Valbonne, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Auto-immunité, Humains, Interleukine-17, Lymphocytes T régulateurs, Lymphocytes auxiliaires Th1

 

Médecine/Sciences consacre ce mois-ci deux articles aux lymphocytes Th17 [ 1, 2], une population de lymphocytes T qui a fait l’objet de plusieurs centaines d’articles au cours des 5 dernières années, y compris dans les plus prestigieuses revues scientifiques. Pourquoi un tel engouement pour cette nouvelle population de cellules ? En quoi cette découverte modifie-t-elle profondément notre vision de l’auto-immunité et des mécanismes de contrôle de la réponse immunitaire ? Quelles pourraient être les retombées de cette découverte en matière de traitement ? Explorons quelques pistes de réponses à ces questions.

Encore une nouvelle population de cellules !

Depuis que les lymphocytes ont été découverts, les immunologistes n’ont eu de cesse que de classer ces cellules en différentes catégories selon les molécules qu’elles sécrètent ou qu’elles expriment à leur surface. Cette classification s’est révélée particulièrement informative pour comprendre comment l’organisme se défend contre les micro-organismes pathogènes. Ainsi, les lymphocytes Th1 identifiés à l’origine parce qu’ils produisaient de l’IFN-γ, se sont révélés indispensables pour l’élimination des bactéries et des parasites intracellulaires. De même, les lymphocytes Th2 producteurs d’IL-4 sont apparus comme jouant un rôle fondamental dans le contrôle des infections par les parasites extracellulaires. En 1995, une nouvelle cytokine fut découverte et appelée IL-17 [ 3]. Très rapidement, des lymphocytes T producteurs d’IL-17, opportunément baptisés « Th17 », furent détectés dans plusieurs situations pathologiques chez l’homme et chez l’animal. Contrairement aux lymphocytes Th1 et Th2, les lymphocytes Th17 ne produisent ni IFN-γ, ni IL-4, IL-5 ou IL-13. Ils ne produisent pas non plus de TGF-β ou d’IL-10 comme les lymphocytes T régulateurs, une population de cellules tombée momentanément dans l’oubli mais qui est de nouveau sous le feu des projecteurs depuis les années 1990 [ 4]. Ainsi, les lymphocytes Th17 constituaient bien une nouvelle classe de lymphocytes T. Outre la production d’IL-17 qui les caractérise, ces cellules produisent également de l’IL-22, une cytokine appartenant à la même famille que l’IL-10 et qui exerce une activité pro-inflammatoire sur les cellules épithéliales et fibroblastiques. Comme pour les lymphocytes Th1, Th2 et les lymphocytes T régulateurs, les immunologistes se sont ensuite attachés à identifier les conditions qui favorisent le développement des lymphocytes Th17, et en particulier la nature des cytokines qui induisent leur différenciation ou leur expansion. Si un certain nombre de questions restent encore sans réponse, notamment sur l’existence de différences entre les molécules qui sont mises en jeu chez homme et chez la souris [2] (→), nous avons maintenant une vision assez précise des facteurs transcriptionnels, des cytokines et des récepteurs qui sont nécessaires, qui favorisent, ou au contraire qui inhibent le développement des lymphocytes Th17 [1] (→).

(→) voir l’article de Vassili Soumelis et Elisabetta Volpe et celui de Stéphane Leung-Theung-Long et Sylvie Guerder, pages 925 et 972 de ce numéro

Les lymphocytes Th1 détrônés au profit des lymphocytes Th17

Une des raisons pour lesquelles les lymphocytes Th17 ont suscité tant d’intérêt est que leur découverte a conduit à réévaluer le rôle des lymphocytes Th1 dans le développement des maladies auto-immunes. Pendant de nombreuses années, les lymphocytes Th1 ont en effet été considérés comme les seuls responsables du développement de ces maladies, et notamment du diabète auto-immun, de la polyarthrite rhumatoïde, du psoriasis, ou de l’encéphalomyélite auto-immune expérimentale (EAE), une maladie qui présente des similitudes avec la sclérose en plaques chez l’homme. Dès le début des années 1990, les immunologistes avaient observé que la simple injection à des souris de lymphocytes Th1 autoréactifs provoquait une inflammation et le développement de syndromes auto-immuns comparables à ceux observés chez l’homme ou l’animal. De même, certaines manipulations génétiques ou immunologiques ayant pour cible l’IL-12, une cytokine indispensable au développement des lymphocytes Th1, pouvaient prévenir l’auto-immunité. Enfin, la présence d’IFN-γ dans un tissu était très fréquemment associée à une inflammation et au développement d’une réponse auto-immune. Plusieurs observations restaient toutefois difficiles à interpréter, et en particulier le fait que certaines manipulations, connues pour prévenir le développement des réponses Th1 ou inhiber la production d’IFN-γ, n’avaient aucun effet sur les réponses auto-immunes, ou parfois même les exacerbaient. La découverte des lymphocytes Th17 et des facteurs qui favorisent leur différenciation, leur prolifération ou leur survie a permis de réconcilier l’ensemble de ces observations et de montrer que les lymphocytes Th17, plus que les lymphocytes Th1, jouent un rôle majeur dans le développement de l’auto-immunité. Bien entendu, les conséquences en matière de recherche de nouveaux traitements sont considérables puisqu’elles conduisent tout simplement à se focaliser sur d’autres cibles, et notamment sur des facteurs pouvant moduler d’une manière ou d’une autre le développement ou l’activité des lymphocytes Th17.

Un lien inattendu avec les lymphocytes T régulateurs

Une des particularités des lymphocytes Th17 est que leur développement nécessite la présence de TGF-β. Ce résultat est a priori surprenant car les lymphocytes Th17 ont des propriétés pro-inflammatoires et que le TGF-β est une cytokine immunosuppressive qui est à la fois produite par, et nécessaire au développement des lymphocytes T régulateurs. En fait, si le TGF-β est effectivement indispensable pour que des lymphocytes T naïfs se différencient en lymphocytes Th17 ou en lymphocytes T régulateurs, c’est la présence ou l’absence d’autres cytokines, et en particulier d’IL-21, d’IL-6 ou d’IL-1β, qui oriente la différenciation cellulaire dans une voie ou dans une autre. Étant donné les rôles opposés des lymphocytes Th17 et des lymphocytes T régulateurs dans le développement de l’auto-immunité, on comprend bien tout l’intérêt qu’il peut y avoir à trouver des moyens d’intervention pour faire pencher la balance vers l’un ou l’autre de ces types cellulaires.

Un rôle encore incertain des lymphocytes Th17 dans les maladies inflammatoires du tube digestif

Une particularité surprenante des lymphocytes Th17 est d’être présents en grand nombre dans la lamina propria, un tissu conjonctif situé sous les cellules épithéliales de la muqueuse digestive [ 5]. Heureusement, chez la très grande majorité des individus, ces cellules ne provoquent pas de lésions inflammatoires, probablement parce que cette muqueuse contient également des lymphocytes T régulateurs. Pourquoi les lymphocytes Th17 sont-ils « naturellement » présents dans la lamina propria ? Est ce que ces cellules sont impliquées dans le développement des maladies inflammatoires du tube digestif, comme la maladie de Crohn ? Les réponses à ces questions sont encore partielles mais nos connaissances dans ce domaine progressent rapidement. Des études récentes ont ainsi mis en lumière un rôle déterminant des bactéries de la flore intestinale dans la différenciation des lymphocytes Th17 [ 6]. En produisant de l’adénosine triphosphate (ATP), une molécule utilisée chez tous les organismes vivants pour fournir de l’énergie aux réactions chimiques, les bactéries de la flore favoriseraient la production de cytokines nécessaires au développement des lymphocytes Th17, notamment l’IL-6, l’IL-23 et le TGF-β. Plus surprenant, toutes les bactéries présentes dans le tube digestif n’auraient pas le même effet sur le développement des lymphocytes Th17 [ 7]. Ainsi, le nombre de lymphocytes Th17 dans la muqueuse digestive, et plus généralement l’équilibre entre lymphocytes T régulateurs et lymphocytes Th17, seraient largement influencés par la composition de la flore intestinale, une composition qui varie d’un individu à l’autre, selon la nature de l’alimentation, mais également consécutivement à l’administration d’antibiotiques. Sachant que les lymphocytes Th17 ont une activité inflammatoire et qu’ils sont naturellement présents dans la muqueuse digestive, il est assez logique de penser que ces cellules pourraient jouer un rôle dans le développement des maladies inflammatoires du tube digestif. Les choses ne sont toutefois peut-être pas si simples. Ainsi, si il est maintenant acquis que l’IL-23 joue un rôle déterminant dans le développement des maladies inflammatoires du tube digestif chez l’homme comme chez l’animal [ 8], une étude récente mené chez la souris a montré que cette cytokine exercerait son effet délétère, non pas en favorisant l’expansion ou l’activité des lymphocytes Th17, mais plutôt en exerçant un effet inhibiteur sur les lymphocytes T régulateurs [ 9]. Ainsi, si l’IL-23 et son récepteur constituent clairement des cibles prometteuses dans le traitement des maladies inflammatoires du tube digestif, il reste à démontrer que c’est également le cas pour les cytokines qui sont produites par les lymphocytes Th17 (IL-17, IL-22) ou pour les molécules qui favorisent leur développement (IL-6, ATP).

Les enjeux des prochaines années

La découverte des lymphocytes Th17 et des molécules qu’ils produisent ou qui favorisent leur développement a ouvert de nouvelles possibilités en matière de recherche de nouveaux traitements contre les maladies auto-immunes. Les médecins ont aujourd’hui à leur disposition plusieurs médicaments qui ciblent les cytokines inflammatoires, et notamment le TNF-α (Infliximab, Remicade, Adalimumab, Humira, Etanercept, Enbrel), ou l’IL-1 (Anakinra). Ces médicaments ont d’ores et déjà prouvé leur efficacité, seuls ou combinés à d’autres, chez des patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde ou de psoriasis. En juillet 2008, la Food and Drug Administration a autorisé pour la première fois l’utilisation d’un inhibiteur de l’IL-6, le Tocilizumab, dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde. Étant donné le rôle déterminant de l’IL-6 dans le développement des lymphocytes Th17, on peut espérer que ce nouveau médicament sera efficace non seulement dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, mais également des autres maladies auto-immunes dans lesquelles les lymphocytes Th17 jouent un rôle. L’évolution rapide de nos connaissances sur les lymphocytes Th17 ont également incité les entreprises pharmaceutiques à développer et à tester l’efficacité de molécules agissant comme antagonistes de l’IL-17 ou de l’IL-22. Ainsi, plusieurs essais cliniques visant à tester l’effet de l’administration d’anticorps anti-IL-17 chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde ou de psoriasis sont également en cours (http://clinicaltrials.gov). L’IL-21 et l’IL-23, deux cytokines favorisant le développement des lymphocytes Th17 sont également des cibles prometteuses et sont dans le pipeline des entreprises pharmaceutiques.

Un des enjeux importants de la recherche dans les prochaines années sera de déterminer si les lymphocytes Th17 jouent un rôle dans le développement des maladies inflammatoires du tube digestif, et plus particulièrement dans celui de la maladie de Crohn. Si tel était le cas, l’IL-21, l’IL-22 et l’IL-17 deviendraient des cibles potentielles pour le traitement de ces maladies. Étant donné le rôle déterminant que semble jouer la flore intestinale dans le développement des lymphocytes Th17, il est très probable que des traitements, ou des compléments alimentaires, visant à modifier la composition de la flore intestinale, seront également envisagés.

References
1.
Leung-Theung-Long S, Guerder S. Les cellules Th17, une nouvelle population de cellules T CD4 effectrices pro-inflammatoires. Med Sci (Paris) 2008; 24 : 972–6.
2.
Soumelis V, Volpe E. Différenciation des lymphocytes th17 : des souris et des hommes. Med Sci (Paris) 2008; 24 : 925–7.
3.
Yao Z, Painter SL, Fanslow WC, et al. Human IL-17: a novel cytokine derived from T cells. J Immunol 1995; 155 : 5483–6.
4.
Infante-Duarte C, Horton HF, Byrne MC, Kamradt, T. Microbial lipopeptides induce the production of IL-17 in Th cells. J Immunol 2000; 165 : 6107–15.
5.
Ivanov II, McKenzie BS, Zhou L, et al. The orphan nuclear receptor RORgammat directs the differentiation program of proinflammatory IL-17+ T helper cells. Cell 2006; 126 : 1121–33.
6.
Atarashi K, Nishimura J, Shima T, et al. ATP drives lamina propria T(H)17 cell differentiation. Nature 2008; 455 : 808–12.
7.
Ivanov II, Frutos R de L, Manel, N. Specific microbiota direct the differentiation of IL-17-producing T-helper cells in the mucosa of the small intestine. Cell Host Microbe 2008; 4 : 337–49.
8.
Cho JH, Weaver CT. The genetics of inflammatory bowel disease. Gastroenterology 2007; 133 : 1327–39.
9.
Izcue A, Hue S, Buonocore S, et al. Interleukin-23 restrains regulatory T cell activity to drive T cell-dependent colitis. Immunity 2008; 28 : 559–70.