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Med Sci (Paris). 2007 August; 23(8-9): 769–771.
Published online 2007 August 15. doi: 10.1051/medsci/20072389769.

Le devenir de l’enfant dans les pays en développement

Dominique Labie*

Département de génétique, développement et pathologie moléculaire, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adolescent, Développement de l'adolescent, Enfant, Développement de l'enfant, Enfant d'âge préscolaire, Pays en voie de développement, Géographie, Humains, Nourrisson, Pauvreté

 

Une fois passée la mortalité de la période périnatale et des premiers mois, l’enfant des pays en développement reste encore exposé à des risques multiples. La pauvreté, la malnutrition, les accidents de santé, les mauvaises conditions d’hygiène, l’insalubrité de l’habitat, les risques d’épidémies dans les bidonvilles, ne favorisent guère un développement harmonieux. Ces conditions défavorables touchent environ 200 millions d’enfants. Le retentissement touche tous les domaines : déficits moteur et cognitif, difficultés relationnelles. Certains paramètres sont difficiles à évaluer, les plus précis étant ceux qui concernent le niveau d’éducation et de connaissances. Une série d’articles dans le Lancet a récemment tenté de faire le point sur ce problème en abordant les données, les facteurs responsables, et les stratégies qui pourraient permettre d’y remédier.

Les données chiffrées

Les chiffres sont impressionnants [ 1]. Le fait est d’autant plus grave qu’un développement insuffisant, une éducation inachevée retentiront sur la génération suivante. On sait que si les fonctions de base, vision, audition, acquisition et usage d’un langage sont précoces, d’autres fonctions cognitives ne se développent que sur plusieurs années de l’enfance. Des études menées dans différents pays, dont le Guatemala et l’Afrique du Sud, ont montré que ces premières étapes prédisent les résultats scolaires ultérieurs. L’ONU a formulé la recommandation d’une scolarité primaire complète [ 2]. Mais les statistiques donnent 99 millions d’enfants non scolarisés, et 78 millions qui ne terminent pas leur scolarité primaire, surtout en Afrique subsaharienne. De ceux qui ont fait un cursus normal, 50 % seulement poursuivent en école secondaire. Dans 12 pays d’Afrique, on constate qu’en fin de scolarité primaire, plus de la moitié des enfants ne savent pas lire. À ce dysfonctionnement, on connaît deux causes principales : l’hypotrophie et l’extrême pauvreté.

Ces deux facteurs peuvent interagir. Plus qu’à des causes génétiques, l’hypotrophie est due aux infections et aux carences nutritionnelles. On a évalué la pauvreté absolue : < 1US $ par jour. Dans 45 pays, elle toucherait le tiers des enfants, et il est évident qu’elle entraîne malnutrition, développement insuffisant, et le plus souvent déficience des soins maternels. On a pu constater en Équateur que l’acquisition du langage varie de 36 à 72 mois selon la situation économique de la famille. Même si ces valeurs ne sont pas absolues, elles se retrouvent statistiquement, selon une classification de l’UNICEF, dans presque tous les pays non industrialisés. Ces données ont été vérifiées par des études longitudinales, au Pakistan ou au Guatemala : une hypotrophie précoce annonce des retards scolaires, et le non achèvement des études. Tout se tient, le bien-être à la maison, l’acquisition du langage, la scolarisation, les acquisitions, et la corrélation s’établit statistiquement entre le statut économique des familles et le QI des enfants.

Une appréciation quantitative a été tentée par l’OMS en 2004 dans 156 pays. L’hypotrophie s’avérait fréquente dans 126 d’entre eux, et dans 88 on notait une proportion notoire de pauvreté absolue. Sur 559 millions d’enfants de moins de 5 ans, les chiffres seraient de 120 millions d’enfants hypotrophiques, et 88 millions en pauvreté absolue, valeurs approximatives, et qui se recoupent en partie ; l’évaluation totale est approximativement de 219 millions d’enfants dits « handicapés ». En valeur absolue, on retrouve les pays de l’Asie du Sud (Inde, Chine, Bangladesh, Indonésie, Pakistan), puis des pays africains (Nigeria, Ethiopie, République Démocratique du Congo, Ouganda, Tanzanie), ces dix pays représentant à eux seuls 66 % des enfants handicapés du monde (Figure 1). Ces valeurs sont sous-estimées. La pauvreté va souvent de pair avec des familles nombreuses dont les mères sont illettrées, et s’accompagne de carences alimentaires.

Les conséquences économiques sont claires, les adultes seront peu productifs, l’enfant non scolarisé gagnera moins. Différents modes de calcul ont été employés. On a évalué que chaque année de scolarisation accomplie se traduit par un gain dans le salaire de 7 à 10 %, qu’un enfant qui a été hypotrophique ne réalisera les épreuves scolaires qu’à 71 % environ.

Rapporté aux données démographiques, l’enfant handicapé devient un adulte dont le déficit annuel sera de 19,8 %. Cette inégalité retentira sur la génération suivante, et affectera de ce fait le développement à long terme de l’ensemble du pays.

Quels sont les facteurs qui entravent le développement de l’enfant ?

On peut schématiquement classer ces facteurs dans deux catégories : les uns sont biologiques, les autres psycho-sociologiques [ 3]. Dans la première catégorie, on note d’abord le retard de croissance intra-utérin. Si on tient compte des enfants dont le poids de naissance était < 2 500 g, les statistiques effectuées dans divers pays montrent un retard de développement physique et psychologique. À ces déficiences prénatales s’ajoutent les carences nutritionnelles ultérieures et leurs conséquences : hypotrophie, déficits cognitifs vers 2 ou 3 ans. Certaines carences plus spécifiques sont bien connues. Ainsi le déficit en iode, qui a existé en Europe dans des régions montagneuses, est fréquent et aboutit à une hypothyroïdie. Il serait facile à combattre par une supplémentation en iode pendant la grossesse. De même une carence martiale s’observe chez près de la moitié des enfants, avec l’anémie qui en est la conséquence. D’autres déficits sont établis de façon moins précise, mais existent certainement : carence en vitamines A et B12, en zinc, qui touche environ un tiers des enfants. Les statistiques faites surtout en Amérique centrale ou du sud, montrent toutes un abaissement du QI à l’adolescence (Figure 2).

À ces causes nutritionnelles il faut ajouter les maladies infectieuses dans des pays où l’accès à l’eau potable est rare. Les maladies diarrhéiques sont fréquentes, ainsi que le paludisme, les parasitoses intestinales. Le nombre des enfants qui en souffrent en Afrique subsaharienne est de l’ordre de 300 à 600 millions. Il faut aussi prendre en compte l’existence de produits toxiques dans l’environnement. On estime qu’environ 40 % des enfants sont exposés à une intoxication par le plomb. En Asie du sud, la présence d’arsenic, très au-dessus des normes admises, est fréquente, ainsi que celle de manganèse. D’autres intoxications, pesticides, méthylmercure, sont moins bien documentées.

Certains handicaps, enfin, sont d’ordre psychologique ou sociologique. On s’occupe peu des enfants, et ce manque de stimulation est cause de retard cognitif, accru par la fréquence des carences maternelles. Il y a, enfin, la violence à laquelle est exposé l’enfant, qu’elle soit familiale ou sociétale, par les faits de guerre ou de rivalité ethnique entre communautés. Si l’on fait le bilan de tous ces risques, il faudrait situer en premier lieu l’hypotrophie, les carences en iode, en fer, et le défaut de stimulation familiale. Il apparaît qu’au moins un quart des enfants des pays en développement ne parviennent pas au potentiel qui devrait être le leur.

Quelles stratégies employer pour faire face à ces problèmes de l’enfance ?

Tous les handicaps observés interfèrent, se traduisant par un mauvais état de santé, des lacunes scolaires qui entravent la situation économique, et se perpétuent de génération en génération. Des stratégies possibles doivent tenir compte de tous ces facteurs [ 4]. Des programmes sont analysés dans un dernier papier qui envisage comment obtenir la succession normale des étapes d’un développement physique et psychologique. La coopération des autorités locales, qui tendent à prendre conscience de ce besoin, est indispensable. Les programmes ne peuvent que répondre aux déficits observés. Il faut améliorer l’alimentation des femmes enceintes et des enfants, remédier à la carence en iode en l’introduisant dans le sel, à la carence martiale de façon préventive, éventuellement à d’autres déficits alimentaires. L’importance d’une stimulation a été vérifiée dans des centres d’adoption. L’idéal serait d’associer mesures nutritionnelles et centres éducatifs. Le rôle bénéfique de ces centres a été expérimenté dans divers pays africains et asiatiques (Cap Vert, Guinée, Sénégal, Bangladesh), associé à des visites dans les familles et à des sessions de formation. Un programme intégré ICDS (integrated child development services) s’adresse ainsi à des femmes enceintes ou qui allaitent, et durant toute la période préscolaire. Mais malheureusement, les essais ont été surtout menés en Asie ou en Amérique du sud, beaucoup plus rarement en Afrique. Tous les programmes ont démontré l’importance d’associer tous les paramètres, ainsi que celle d’une action sur la durée.

Des mesures sociétales doivent accompagner les progrès familiaux. Il faudrait soustraire les enfants à la violence, et aussi tenir compte du nombre immense d’enfants orphelins. On en comptait 43,4 millions en 2004 en Afrique subsaharienne, dont 28 % du fait du VIH/Sida. La prévention des risques infectieux est multiple, VIH, paludisme, accès à l’eau potable… Toutes ces observations définiraient des priorités, malheureusement limitées par un investissement insuffisant pour des raisons économiques ou administratives. Ces mesures préconisées sont cependant économiquement rentables. Il est intéressant de comparer les résultats obtenus dans divers pays en relation avec la prise en charge préscolaire des enfants (Figure 3). Et l’histoire des pays industrialisés a montré qu’il est possible de réduire progressivement les disparités entre les groupes sociaux, d’étendre le système de santé et la scolarité à tous, d’améliorer le comportement des parents. Aux côtés des gouvernements, le rôle des ONG s’avère essentiel. Adéquation, durée, intensité, qualité des programmes, la mise en Ĺ“uvre devrait se faire, et persévérer longtemps.

References
1.
Grantham-McGregor S, Cheung YB, Cueto S, et al. and the International Child Development Steeri Ang Group. Child development in developing countries. 1. Developmental potential in the first five years for children in developing countries. Lancet 2007; 369 : 60–70.
2.
United Nations. Road map toward the implementation of the United Nations Millenium Declaration. United Nations General Assembly, Document A56/326. New York : United Nations, 2002.
3.
Walker SP, Wachs TD, Gardner JM, et al. and the International Child Development Steeri Ang Group. Child development in developing countries. 2. Child development : risk factors for adverse outcomes in developing countries. Lancet 2007; 369 : 145–57.
4.
Enggle PL, Block MM, Behrman JR, et al. and the International Child Development Steeri Ang Group. Child development in developing countries. 3. Strategies to avoid the loss of developmental potential in more than 200 million children in the developing world. Lancet 2007; 369 : 229–42.