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Med Sci (Paris). 2007 August; 23(8-9): 694–695.
Published online 2007 August 15. doi: 10.1051/medsci/20072389694.

L’atrophie hippocampique chez l’homme
Conséquence ou origine des troubles mentaux ?

Sonia J. Lupien*

Centre d’Études sur le stress humain, Hôpital Douglas-Université McGill, 6875, boulevard LaSalle, Verdun (Québec), H4H 1R3 Canada
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Sujet âgé, Sujet âgé de 80 ans ou plus, Vieillissement, Atrophie, Hippocampe, Humains, Troubles mentaux, Adulte d'âge moyen, Taille d'organe

 

Entre 1997 et 2007, de nombreuses études font état d’une réduction du volume de l’hippocampe dans diverses affections psychiatriques, notamment dépression [ 1], schizophrénie [ 2] et perturbations du comportement d’origine post-traumatique [ 3]. Les données recueillies ont été interprétées en fonction de l’hypothèse de la neurotoxicité, selon laquelle l’exposition chronique à des stress et/ou à un traumatisme important au cours de la vie d’un individu peut avoir des effets neurotoxiques sur les cellules hippocampiques et mener à une atrophie de cette structure [ 4].

Des données appuyant l’hypothèse de la neurotoxicité ont aussi été obtenues dans des populations ne souffrant pas de troubles mentaux. Ainsi, en 1998, nous avons rapporté que l’exposition cumulative à des concentrations élevées de glucocorticoïdes (une hormone de stress) chez des personnes âgées, de 65 à 80 ans, est associée à des troubles de la mémoire et à une réduction de l’ordre de 14 % du volume de leur hippocampe ; phénomènes dont sont, en comparaison, épargnées les personnes ne démontrant pas d’augmentation significative des taux de glucocorticoïdes [ 5].

Or, une étude publiée en 2002 a soulevé un important doute quant à la validité de l’hypothèse de la neurotoxicité. Gilbertson et al. [ 6] ont mesuré le volume hippocampique de vétérans de la guerre du Vietnam. Dans une première phase de leur étude, ils ont confirmé les résultats de travaux antérieurs en démontrant que les vétérans qui ont développé des troubles d’origine post-traumatique présentent un volume hippocampique réduit comparé à celui des vétérans n’ayant pas développé de perturbations d’origine post-traumatique, quel que soit l’âge. Toutefois, Gilbertson et al. ont aussi mesuré le volume hippocampique des frères jumeaux homozygotes de tous les participants de la phase 1. Ce qu’il est important de souligner ici c’est que tous ces frères jumeaux homozygotes n’avaient pas participé à la guerre et donc n’avaient pas été soumis au traumatisme subi par leur frère. Lorsque Gilbertson et al. ont mesuré le volume de l’hippocampe de ces hommes, ils ont observé un volume hippocampique significativement réduit chez les frères jumeaux homozygotes des hommes qui avaient développé un désordre d’origine post-traumatique. Les premiers n’ayant pas été exposés à la guerre, les résultats de Gilbertson et al. ont permis de montrer que la réduction du volume hippocampique serait en fait un facteur de vulnérabilité (hypothèse de la vulnérabilité), qui prédisposerait certains individus à développer un trouble mental lorsqu’ils sont exposés à un traumatisme important.

L’hypothèse de la vulnérabilité, telle qu’elle est suggérée par ces auteurs, implique un point important qui n’a jamais été testé dans les publications scientifiques. En effet, l’hypothèse selon laquelle un petit volume hippocampique peut prédisposer un individu à développer un désordre mental lorsqu’il est exposé à un stress chronique ou à un traumatisme implique que dans une population jeune et en bonne santé, une variabilité importante des volumes hippocampiques devrait exister. Or, la majorité des études ayant comparé le volume hippocampique de populations jeunes (participants âgés de 18 à 35 ans) et âgées (participants âgés de 65 à 85 ans) rapporte que les personnes âgées présentent systématiquement un volume hippocampique plus petit que les personnes jeunes [ 7]. Ces données ont mené à l’idée implicite que chez les jeunes, les volumes de l’hippocampe sont peu variables et que l’âge augmente la variabilité des volumes hippocampiques.

Dans le but de vérifier si tel est le cas, nous avons comparé le volume hippocampique de 177 individus âgés de 18 à 85 ans qui ont tous été testés à l’Institut neurologique de Montréal (Québec) en utilisant le protocole provenant du International Consortium for Brain Mapping [ 8]. Tous les volumes hippocampiques ont ensuite été calculés par les mêmes personnes en utilisant une méthode validée et publiée précédemment [ 9].

Les résultats obtenus démontrent que bien que le volume hippocampique des personnes dont l’âge varie de 60 à 85 ans soit plus petit que le volume hippocampique des individus âgés de 18 à 40 ans, l’écart-type de la moyenne (la variabilité inter-participant) ne l’est pas [ 10]. En fait, notre analyse a permis de démontrer que 25 % des jeunes individus âgés entre 18 et 25 ans présentent des volumes hippocampiques semblables à ceux de personnes âgées de 60 à 75 ans. Ainsi, ces résultats démontrent qu’il existe une importante variabilité inter-individuelle dans les volumes hippocampiques de populations jeunes. Cela confirme la viabilité de l’hypothèse de la vulnérabilité selon laquelle un petit volume hippocampique chez un individu jeune ou âgé peut le prédisposer à développer un trouble mental lorsqu’il est exposé à un stress chronique ou à un traumatisme important.

L’origine de ces grandes différences inter-individuelles du volume hippocampique chez l’homme reste à découvrir. Toutefois, les études portant sur le stress et ses effets néfastes sur la neurogenèse hippocampique et la réorganisation cellulaire permettent de suggérer qu’en fait, l’hypothèse de la neurotoxicité et l’hypothèse de la vulnérabilité peuvent cohabiter. En effet, il est possible que l’exposition à l’adversité précoce chez l’enfant induise un retard ou un arrêt de développement de l’hippocampe, et que le petit volume qui résulte de cet arrêt de développement augmente la vulnérabilité de cette personne à développer un trouble mental (dépression, désordre d’origine post-traumatique) en réponse à l’exposition au stress chronique ou à un trauma. Si tel est le cas, ce qui a été appelé une « atrophie » de l’hippocampe pourrait, en fait, être un arrêt développemental de cette structure en réponse à l’adversité environnementale au cours du jeune âge. Des études sont en cours dans notre laboratoire pour tester cette hypothèse.

References
1.
Videbech P, Ravnkilde B. Hippocampal volume and depression: a meta-analysis of MRI studies. Am J Psychiatry 2004; 161 : 1957–66.
2.
Nelson MD, Saykin AJ, Flashman LA, Riordan HJ. Hippocampal volume reduction in schizophrenia as assessed by magnetic resonance imaging: a meta-analytic study. Arch Gener Psychiatry 1998; 55 : 433–40.
3.
Smith ME. Bilateral hippocampal volume reduction in adults with post-traumatic stress disorder: a meta-analysis of structural MRI studies. Hippocampus 2005; 15 : 798–807.
4.
Sapolsky RM, Krey LC, McEwen BS. The neuroendocrinology of stress and aging: the glucocorticoid cascade hypothesis. Endocrinol Rev 1986; 7 : 284–301.
5.
Lupien SJ, de Leon M, de Santi S, et al. Cortisol levels during human aging predict hippocampal atrophy and memory deficits. Nat Neurosci 1998; 1 : 69–73.
6.
Gilbertson MW, Shenton ME, Ciszewski A, et al. Smaller hippocampal volume predicts pathologic vulnerability to psychological trauma. Nat Neurosci 2002; 5 : 1242–7.
7.
Van Petten C. Relationship between hippocampal volume and memory ability in healthy individuals across the lifespan: review and meta-analysis. Neuropsychologia 2004; 42 : 1394–413.
8.
Mazziotta JC, Toga AW, Evans A, Fox P, Lancaster J. A probabilistic atlas of the human brain: theory and rationale for its development. The International consortium for brain mapping (ICBM). Neuroimage 1995; 2 : 89–101.
9.
Pruessner JC, Li LM, Serles W, et al. Volumetry of hippocampus and amygdala with high-resolution MRI and three-dimensional analysis software: minimizing the discrepancies between laboratories. Cereb Cortex 2000; 10 : 433–42.
10.
Lupien SJ, Evans A, Lord C, et al. Hippocampal volume is as variable in young as in older adults: implications for the notion of hippocampal atrophy in humans. Neuroimage 2007; 34 : 479–85.