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Med Sci (Paris). 2007 June; 23(6-7): 568–570.
Published online 2007 June 15. doi: 10.1051/medsci/20072367568.

Au cœur des cellules souches cardiaques

Luc Pardanaud*

Inserm U833, Chaire de Médecine Expérimentale, Collège de France, 11, place Marcelin Berthelot, 75005 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Différenciation cellulaire, Coeur, Humains, Myocarde, Transplantation de cellules souches, Cellules souches

 

L’intérêt des cellules souches ne fait aucun doute aujourd’hui, d’abord sur un plan purement fondamental puis en raison des perspectives thérapeutiques et financières que ce domaine suscite. De nombreuses recherches sont actuellement menées pour tenter de remonter toujours plus loin dans la hiérarchie des étapes primitives à l’origine de la diversité cellulaire d’un organisme, avec pour ambition de se rapprocher au plus près de la seule cellule réellement totipotente, le zygote. Néanmoins, plutôt que la totipotentialité, les récentes recherches nous conduisent aujourd’hui à prendre en compte la multipotentialité.

Ainsi, trois publications indépendantes [ 13] ont permis de compléter le modèle de la différenciation cardiovasculaire chez l’embryon (Figure 1). Le système cardiovasculaire, le premier système à se mettre en place, associe la différenciation d’un réseau endothélial fonctionnel et la formation du cœur, tous deux dérivés du feuillet mésodermique. Toute perturbation dans l’organisation cellulaire et moléculaire de ce système conduit presque inéluctablement à la mort de l’embryon.

Le cœur se développe à partir de deux territoires cardiaques issus de deux populations mésodermiques distinctes et apparaissant à des stades différents de l’ontogenèse [ 4]. Le premier territoire émerge du mésoderme splanchnopleural antérieur et forme le tube cardiaque primitif, puis contribue, plus tard, au ventricule gauche et à une partie des oreillettes [4]. Le second territoire cardiaque dérive du mésoderme pharyngien et donne naissance à l’extrémité artérielle du tube cardiaque précoce puis au ventricule droit, à l’outflow tract et contribue au ventricule gauche ainsi qu’aux oreillettes [4]. Précocement, ces deux lignages cardiaques ségrégent à partir d’un précurseur commun [ 5]. Chacune de ces deux populations mésodermiques se caractérise par l’expression spécifique de marqueurs, en particulier les facteurs de transcription Nkx2.5 pour le premier territoire et Isl1 pour le second [4].

Chez la souris, des recherches utilisant des approches génétiques de traçage cellulaire ainsi que des cultures clonales de cellules souches (CS) embryonnaires ont permis de proposer une filiation cellulaire depuis les étapes précoces du développement jusqu’à la différenciation cardiaque terminale [13]. Une cellule progénitrice formant des colonies cardiovasculaires multipotentes (CV-CFC) est ainsi mise en évidence. Cette cellule a la capacité de donner naissance aux cellules myocardiques, aux cellules endothéliales (CE), endocarde compris, et aux cellules musculaires lisses vasculaires (CMLV). Il est intéressant de noter que ce progéniteur qui exprime VEGFR2, le récepteur 2 au VEGF (vascular endothelial growth factor), s’individualise à partir d’une population cellulaire qui, transitoirement, a perdu l’expression de ce récepteur. En conséquence, ce progéniteur CV-CFC est différent de la population cellulaire formant des colonies blastiques VEGFR2+ (BL-CFC, blast colony-forming cell), qui, plus précocement, s’engage vers la voie hémangioblastique pour donner naissance, dans le sac vitellin, aux CE VEGFR2+ et aux cellules hématopoïétiques exprimant, par exemple, le facteur de transcription SCL/Tal. L’existence de ces deux progéniteurs distincts à potentialité endothéliale amène à se poser la question de la similitude ou de la différence des CE issues des BL-CFC et des CV-CFC : l’expression du gène de la neuréguline, un marqueur endocardique, dans les CV-CFC mais pas dans les colonies blastiques hémangioblastiques semble aller dans le sens d’une différence entre ces deux populations.

La coexpression de Nkx2.5 et de Isl1 par le progéniteur cardiovasculaire multipotent confirme que les lignages cardiaques primaire et secondaire partagent bien un ancêtre commun. La ségrégation des CMLV, exprimant l’actine du muscle lisse de type α (SMA α) se réalise via deux progéniteurs bipotents indépendants, le premier à l’origine des CE et des CMLV, le second produisant des progéniteurs myocardiques et des CMLV. Plus tardivement, les progéniteurs myocardiques contribuent à la différenciation cardiaque terminale avec la mise en place des fibres de Purkinje et des myocytes auriculaires et ventriculaires, ces derniers exprimant le gène de la chaîne légère de la myosine de type auriculaire ou ventriculaire (MLC2a/v). Chacune des étapes de la différenciation cardiovasculaire s’accompagne de l’allumage et de l’extinction de marqueurs variés. Parmi eux, le gène Brachyury, un marqueur du mésoderme précoce, demeure présent jusqu’au stade du progéniteur multipotent mais disparaît lorsque la différenciation cardiovasculaire s’opère ; le récepteur c-kit (dont le ligand est le stem cell factor), un indicateur du potentiel de développement dans différents organes, s’exprime plus longtemps, jusqu’au stade du progéniteur cardiaque bipotent à l’origine des CMLV et des myocytes.

Il apparaît donc qu’un ancêtre commun donne naissance aux CE, aux CMLV et au lignage myocardiaque [1, 2]. Ce schéma, établi essentiellement à partir de résultats d’expériences in vitro, demande bien évidemment confirmation in vivo, les approches sur l’embryon étant à mon sens plus succinctement abordées dans ces articles. Si ces études ne préjugent en rien de l’élaboration rapide de protocoles thérapeutiques applicables à l’adulte, l’identification d’un progéniteur multipotent pourrait, à plus long terme, permettre d’obtenir des progéniteurs cardiaques spécifiques, développés notamment à partir de clones de CS embryonnaires. On pourrait alors imaginer de nouvelles stratégies de régénération des différentes populations cardiaques endommagées lors de diverses pathologies.

Ces résultats sont nouveaux, car jusqu’à présent, seule l’existence de progéniteurs bipotents donnant naissance aux CE et aux CMLV musculaires lisses avait pu être mise en évidence dans le système cardiovasculaire. Des cellules ES murines VEGFR2+ sont capables de se différencier en CE et en CMLV lorsqu’elles sont injectées dans la circulation d’un embryon de poulet [ 6, 7]. In vivo, chez la souris, le somite produit des cellules à double potentialité, endothéliale et musculaire lisse [ 8] ; chez l’oiseau, cette capacité du somite existe in vitro mais pas in vivo [ 9]. En ce qui concerne l’identification d’un progéniteur commun aux CE et aux myocytes, des cellules ES murines VEGFR2+ ont récemment pu donner naissance, in vitro, à ces deux types cellulaires [ 10, 11]. In vivo, chez le poisson zèbre, il a été montré qu’une cellule unique présente dans le territoire marginal ventral avait la capacité de se différencier en cellules cardiaques et endothéliales [ 12]. Chez l’oiseau, si cette capacité a été mise en évidence in vitro [ 13], les études in vivo n’ont pu la démontrer [ 14]. Chez l’adulte, il semble que les progéniteurs endothéliaux circulants humains aient également la propriété de se différencier en CE et en cellules myocardiques [ 15].

Si l’idée d’isoler la CS totipotente est séduisante voire fascinante, tous les travaux que nous discutons ici montrent surtout qu’un lignage donné peut émerger de progéniteurs multipotents différents qui, finalement, donnent naissance à des types cellulaires proches mais pas identiques, comme dans le cas des CE du sac vitellin et de celles différenciées dans le cœur. À ce titre, la découverte récente que les îlots sanguins du sac vitellin ont une origine pluriclonale [ 16, 17] bouscule quelque peu le dogme de l’hémangioblaste unique produisant toutes les CE et les CH dans cet organe bien que son existence à des stades de développement plus précoces ne soit pas infirmée. Ainsi, à défaut d’un hémangioblaste princeps, l’existence d’hémangioblastes, présents dans l’embryon ou chez l’adulte, est plus probable. Dans le même ordre d’idée, les CMLV, isolées à partir du somite ont-elles les mêmes caractéristiques que celles produites par le progéniteur cardiovasculaire multipotent ? Affaire à suivre…

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