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Med Sci (Paris). 2007 June; 23(6-7): 563–564.
Published online 2007 June 15. doi: 10.1051/medsci/20072367563.

Néogamètes : merveilles et vertige

René Frydman1,2,3

1Service de Gynécologie-Obstétrique et Médecine de la Reproduction, Hôpital Antoine Béclère, Clamart, F-92140, France
2Université Paris-Sud, UMR-S0782, Clamart, F-92140, France
3AP-HP, INSERM, U782, Clamart, F-92140, France

MeSH keywords: Développement embryonnaire, Femelle, Cellules germinales, Humains, Mâle, Ménopause, Grossesse

 

Longtemps les cellules germinales ont semblé appartenir à une catégorie du vivant différente des cellules somatiques, associant à leur caractère sacré de transmettre le patrimoine héréditaire, une dimension complexe et mystérieuse au plan biologique. Plusieurs avancées majeures rapportées par Marlène Jagut et Jean-René Huynh (page 611), puis Mounia Guenatri et Déborah Bourc’his (page 619), dans ce numéro de Médecine/Sciences [ 1, 2] éclairent d’un jour nouveau les origines des cellules germinales et nous conduisent à les considérer de plus en plus comme une simple forme différenciée de cellules somatiques. Associés aux résultats spectaculaires concernant la reprogrammation nucléaire abordés dans la Dernière Heure de Laure Coulombel (page 667) [ 3], ces travaux nous enthousiasment mais nous donnent également à réfléchir.

L’œuf fécondé est à l’origine du développement d’un individu complet et des annexes (placenta, membranes), et, jusqu’au stade de 8 cellules (48 heures), l’embryon conserve sa totipotence cellulaire (d’où l’existence de vrais jumeaux à partir d’un seul œuf). Au-delà de ce stade, la totipotence cellulaire est perdue.

Les cellules souches embryonnaires (ES) qui apparaissent au 5/6e jour du développement au sein de la masse cellulaire interne (bouton embryonnaire) sont “seulement” pluripotentes, c’est-à-dire sont capables de former tous les tissus de l’organisme à l’exception des annexes fœtales.

Une partie de ces cellules ES va donner naissance aux cellules germinales primordiales présentes uniquement pendant la vie fœtale. Ces cellules sont à l’origine de la production des gamètes. Ainsi, dès la caractérisation des cellules souches embryonnaires, est-il devenu envisageable d’évoquer la dérivation et la différenciation in vitro de cellules germinales. Les cellules souches germinales peuvent être différenciées, après culture, en ovocytes ou en spermatozoïdes selon le sexe chromosomique (XY ou XX) des cellules souches initiales.

De fait, des études ont démontré, chez la souris, que des cellules ES sont capables de former des cellules germinales in vitro [ 4].

Ces cellules germinales primordiales semblent, chez la souris, pouvoir entrer en méiose et aboutir in vitro à la formation aussi bien des gamètes mâles que des gamètes femelles.

Chez la souris toujours, les cellules ES peuvent se différencier en ovocytes et en structures très proches des follicules normaux. L’extraction de ces ovocytes des cellules environnementales conduit à une activation spontanée et à un développement pouvant atteindre un stade de blastocyste [ 5]. D’autres expériences tentent maintenant de répondre à la question de savoir si ces néo-ovocytes peuvent être fécondés.

Chez la souris encore, les cellules ES embryonnaires sont également capables de fabriquer des cellules primordiales jusqu’au stade de gamète haploïde (spermatocytes) qui, une fois injecté dans un ovocyte, restaure la diploïdie et permet le développement jusqu’au stade blastocyste [ 6, 7].

La différenciation en cellules spermatogoniales souches par traitement de cellules ES par l’acide rétinoïque a bénéficié de plusieurs protocoles dont l’un particulièrement rapide (3 jours au lieu de 10) a abouti à des gamètes fonctionnels comme l’a démontrée la naissance d’animaux viables après ICSI. Ce point est discuté dans l’excellent article de M. Guenatri et D. Bourc’his [2].

Produire in vitro, par différenciation cellulaire, des néogamètes fonctionnels chez l’être humain est donc devenu un champ de recherche prometteur tant au plan cognitif qu’en termes translationnels vers la clinique des infertilités.

L’idée est dérangeante. Imagine-t-on une banque de culture cellulaire, prête à être orientée vers la production de gamètes mâles ou femelles à la demande des couples ?

Imaginons que l’épigénétique ne soit pas préoccupante, c’est-à-dire que l’on ne retrouve pas - chez les individus nés de ces néogamètes - des phénotypes de croissance perturbée, ou une létalité précoce qui rappelleraient les premières naissances après clonage à la manière de Dolly.

On aurait alors à disposition de quoi approvisionner tous les Cecos existants de paillettes de sperme dûment millésimées, et le don de sperme serait remisé au musée de la préhistoire médicale avec sa question surannée d’anonymat.

Les banques d’ovocytes, que ce soit pour le don ou pour permettre des recherches scientifiques, seraient allégées des problèmes éthiques et parfois financiers qui tournent autour de l’origine des ovules prélevés.

Allons plus loin, serait-il nécessaire de recourir à des néogamètes étrangers, puisqu’en fait on pourrait régénérer son propre matériel gamétique ? En effet, un transfert de noyau somatique dans un ovocyte (un néo-ovocyte) permet l’obtention d’un embryon cloné, dès lors que les cellules souches isolées de cet embryon seraient dérivées en gamètes de remplacement, néogamètes provenant de soi-même.

Les situations d’azoospermie, de ménopause précoce, conséquences ou non de traitements tels qu’une chimiothérapie, verraient une solution à la préservation ultérieure de la fertilité.

Mais, après ces bonnes intentions médicales, ne pourra-t-on pas envisager de produire des néo-ovocytes chez des femmes naturellement ménopausées ?

Le vertige gagne.

Ne pourrait-on pas conserver indéfiniment le potentiel de reproduction des grands de ce monde, en mettant de côté quelques cellules somatiques permettant (à leur insu) de les reproduire plus tard.

Le vertige s’installe.

Pourrait-on à partir de mêmes cellules souches, en jouant sur la présence ou l’absence du gène Sry, déterminer à partir du même individu des gamètes mâles et femelles et leur fécondation mutuelle donnerait le plus bel exemple d’impossible auto-reproduction bisexuée ?

Le vertige mène au roman de science fiction mais, si le rêve, ou le cauchemar de l’écrivain ne saurait être balayé d’un revers, revenons pour l’heure sur le terrain de la connaissance que ces études sur la formation de gamètes ne manqueront pas d’apporter.

La constitution de néogamètes est une voie scientifique pleine de richesses cognitives, mais aux applications vertigineuses.

Les cellules ES ne sont pas totipotentes, en cela elles ne constituent pas un embryon mais elles ont la capacité de transmettre cette totipotence et d’être ainsi une part du fil conducteur qui relie les générations en elles.

References
1.
Jagut M, Huynh JR. Régulation des cellules souches de la lignée germinale : la niche s’agrandit chez la drosophile. Med Sci (Paris) 2007; 23 : 611–8.
2.
Guenatri M, Bourc’his D. Sperme express : est-il possible de produire des gamètes mâles in vitro en trois jours ? Med Sci (Paris) 2007; 23 : 619–25.
3.
Coulombel L. Reprogrammation nucléaire d’une cellule différenciée : on efface tout et on recommence. Med Sci (Paris) 2007; 23 : 667–70.
4.
Kehler J, Hübner K, Garrett S, Schöler HR. Generation of oocytes and sperm from embryonic stem cells. Semin Reprod Med 2005; 23 : 222–33.
5.
Hübner K, Fuhrmann G, Christenson LK, et al. Derivation of oocytes from mouse embryonic stem cells. Science 2003; 300 : 1251–6.
6.
Toyooka Y, Tsunekawa N, Akasu R, Noce T. Embryonic stem cells can form germ cells in vitro. Proc Natl Acad Sci USA 2003; 200 : 11457–62.
7.
Geijsen N, Horoschak M, Kim K, et al. Derivation of embryonic germ cells and male gametes from embryonic stem cells. Nature 2004; 427 : 148–54.