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Med Sci (Paris). 2007 May; 23(5): 475–477.
Published online 2007 May 15. doi: 10.1051/medsci/2007235475.

ICSI et signalisation calcique

Jean-Philippe Wolf,1 Ahmed Ziyyat,1 and Brigitte Ciapa2*

1Université Paris 13, Laboratoire de Biologie de la Reproduction, UPRES 3410, UFR SMBH, Bobigny, France. AP-HP, Hôpital Jean Verdier, Service d’Histologie, Embryologie et Cytogénétique, Bondy, France
2UMR CNRS 8080, Développement et Évolution, Université Paris XI, bâtiment 445, 91405 Orsay Cedex, France et GDR 2688
Corresponding author.

MeSH keywords: Signalisation du calcium, Fécondité, Empreinte génomique, Humains, Infertilité masculine, Mâle, Modèles biologiques, Transduction du signal, Injections intracytoplasmiques de spermatozoïdes

 

L’activation de l’ovocyte lors de la fécondation est induite par des variations du niveau intracellulaire de calcium (Cai) quelle que soit l’espèce considérée. Chez les mammifères dont l’homme, des oscillations de Cai dont l’intensité et la fréquence dépendent de l’espèce, sont non seulement nécessaires et suffisantes pour la reprise de la méiose en métaphase II et l’activation du métabolisme, mais pourraient également contrôler le développement précoce de l’embryon. L’ICSI (intracytoplasmic sperm injection) est reconnue à ce jour comme étant l’approche thérapeutique la plus performante pour pallier une infertilité masculine sévère ou des échecs de FIV (fécondation in vitro). Des résultats obtenus ces quatre dernières années sont susceptibles d’expliquer non seulement les mécanismes à l’origine des oscillations calciques, mais également certains cas d’infertilité pouvant être liés à des défauts de la liaison inter gamétique ou de l’activation ovocytaire, ou d’échecs de fécondation lors de procédures de FIV ou d’ICSI.

L’interaction du spermatozoïde au niveau de la membrane plasmique de l’ovocyte est court-circuitée pendant l’ICSI. Cela conforte l’hypothèse selon laquelle l’activation de l’ovocyte serait due à l’injection d’un (ou de plusieurs) facteur(s) contenu(s) dans le spermatozoïde et possédant les propriétés d’un oscillateur calcique. Cependant, il est possible que certaines voies de signalisation, normalement déclenchées au niveau de la membrane plasmique lors de l’interaction avec le spermatozoïde, ne soient pas activées après ICSI et puissent engendrer des anomalies au cours du développement embryonnaire.

Le signal calcique de la fécondation

Dans toutes les espèces animales analysées jusqu’à ce jour, une augmentation rapide et transitoire de la concentration intracellulaire en calcium libre (Cai) apparaît dans l’ovocyte après fécondation. Ce « signal Cai » est nécessaire et suffisant pour l’activation de l’ovocyte. En effet, son inhibition bloque l’activation de l’œuf fécondé alors que son induction artificielle provoque tous les événements précoces observés lors de la fécondation [ 1]. Chez l’homme, le signal Cai se présente sous la forme d’oscillations de Cai, comme pour tous les mammifères [ 2].

L’ovocyte de mammifère fécondable est bloqué en métaphase de seconde division méiotique. Cet arrêt de la progression du cycle cellulaire est dû au maintien d’activités élevées de MAPK (M-phase activating protein kinase) et de MPF (mitosis promoting factor), le signal Cai généré lors de la fécondation provoquant l’inactivation de ces deux kinases et la sortie de méiose [1]. Des défauts des voies de signalisation, soit à l’origine soit en aval de ce signal, pourraient donc avoir des répercussions sur les événements précoces du développement embryonnaire qui dépendent par exemple de ces deux activités.

Le signal Cai est dû essentiellement à une libération de Cai du réticulum endoplasmique. Plusieurs voies, non exclusives et pouvant intervenir ensemble lors de la fécondation, ont été proposées pour expliquer comment, à partir du point de fusion avec l’ovocyte, le spermatozoïde déclenche ce signal. À ce jour, aucune n’a été définitivement validée, toute espèce animale confondue (Figure 1) [1, 3]. Certains éléments de ces voies situés au niveau de la membrane plasmique sont nécessairement court-circuités après ICSI.

Le signal calcique après ICSI

Chez l’homme, les oscillations calciques sont observées aussi bien lors de FIV conventionnelles qu’après ICSI [2]. Cependant, alors que les premiers pics calciques apparaissant après ICSI sont tronqués et retardés, les suivants se produisent de façon typique de ceux qui surviennent lors d’une fécondation normale [2]. Lors d’une ICSI, le spermatozoïde, immobilisé puis récupéré dans la pipette d’injection, est injecté dans l’ovocyte en même temps que du cytoplasme de l’ovocyte préalablement aspiré, afin de s’assurer de la rupture de sa membrane plasmique, condition sine qua non du succès de la fécondation. Cette procédure déclenche un influx calcique - lequel peut être obtenu après injection de milieu sans spermatozoïde - mais ne provoque alors pas d’activation de l’ovocyte [2]. Cet influx calcique provoqué après ICSI est donc nécessaire mais pas suffisant pour activer l’ovocyte. Il serait le signal « déclencheur » normalement activé lors de l’interaction entre les membranes plasmiques du spermatozoïde et de l’ovocyte.

Les méthodes d’immobilisation du spermatozoïde utilisées lors de l’ICSI (pipetage, écrasement, application piezo) influencent le démarrage des oscillations Cai. Elles endommagent la membrane plasmique du spermatozoïde, condition nécessaire pour libérer soit un facteur spermatique activateur soit des co-facteurs ou des substrats intervenant dans les oscillations Cai. La « méthode piezo » est celle qui induit les oscillations Cai le plus rapidement et le pourcentage de réussite de fécondation le plus élevé [ 4].

Le décours des oscillations Cai varie en fonction de la maturité de chacun des gamètes utilisés lors de l’ICSI. Les techniques d’ELSI (elongated spermatid injection) et de ROSI (round spermatid injection) conduisent à l’activation de l’ovocyte chez la souris, le hamster et l’homme, l’activation de l’ovocyte après ROSI pouvant se produire sans l’apparition d’oscillations Cai normales [ 5]. L’ICSI, pratiquée sur des ovocytes maturés in vitro, peut conduire également à des naissances [ 6]. Le signal Cai pourrait être modifié dans ce cas de façon indirecte par le niveau de MPF qui détermine le temps de formation du pronucléus, lequel régule les oscillations Cai de la fécondation [1].

Enfin, il a été fait état, ces deux dernières années, de naissances obtenues après ICSI dans des ovocytes pré-activés par du ionophore de calcium [ 7, 8]. Cette technique a été pratiquée à la suite d’échecs répétés de fécondation après ICSI classique, mais donc directement chez l’homme sans aucune donnée obtenue au préalable chez la souris ou toute autre espèce animale utilisée en laboratoire. La signalisation Cai dans ces conditions est probablement perturbée, le ionophore de calcium entraînant une augmentation massive de Cai secondaire à un apport du milieu extérieur et à une fuite de Cai des réserves intracellulaires.

ICSI et empreinte génomique

Chaque cellule possède deux copies de chaque gène, d’origine maternelle et paternelle, mais il existe des gènes pour lesquels une seule des deux copies s’exprime, l’autre étant réprimée selon l’origine parentale : c’est ce qu’on appelle l’empreinte génomique. Avant la fécondation, un des allèles, maternel ou paternel, est rendu silencieux, puis transmis à la descendance dans cette configuration. Chez l’homme, ce processus est essentiel pour le développement du placenta et de l’embryon. Les mécanismes à l’origine de l’empreinte restent à ce jour mal compris et feraient intervenir des modifications « épigénétiques », c’est-à-dire non liées à des modifications de la séquence de l’ADN.

L’ensemble du génome subit des modifications épigénétiques lors de la gamétogenèse et pendant le développement embryonnaire selon trois processus: le mutisme des ARN correspondants, des modifications des histones, et la méthylation de l’ADN, celle-ci étanttotalement effacée dans les cellules germinales puis ré-établie lors de la gamétogenèse. Après la fécondation, seuls les quelques gènes soumis à l’empreinte parentale restent méthylés. Pour la quasi-totalité du génome, non soumise à l’empreinte parentale, la déméthylation du génome paternel est activée dans les premières heures suivant la fécondation, puis elle est suivie d’une déméthylation passive du génome maternel. L’ensemble du génome est ensuite re-méthylé lors du développement embryonnaire [ 9]. Les mécanismes à l’origine de la déméthylation active du génome paternel après la fécondation, ainsi que ceux protégeant le génome maternel à ce tout début de l’embryogenèse, sont mal définis à ce jour.

Des défauts épigénétiques peuvent conduire à des pathologies majeures incluant des cancers, divers syndromes liés à des instabilités chromosomiques, et des retards mentaux. Des perturbations de l’empreinte parentale ont aussi été associées à certaines maladies, notamment au cancer [ 10]. Une anomalie de la répression des deux copies d’un gène contrôlant la prolifération cellulaire peut en effet contribuer à la genèse de certaines tumeurs. Des défauts de l’empreinte génétique d’une région du chromosome 15 conduisent aux syndromes de Prader-Willi ou d’Angelman qui sont associés à divers problèmes de développement et de comportement, et mentaux. Or, une augmentation possible de la fréquence de l’apparition de ces deux syndromes chez des enfants conçus par fécondation assistée et plus précisément après ICSI a été suggérée, le nombre de ces cas rapportés restant cependant insuffisant pour en tirer une conclusion [ 11]. En revanche, un risque accru de développement du syndrome de Beckwith-Wiedemann a été démontré chez les enfants conçus par FIV. Ce syndrome est associé à des anomalies épigénétiques dans un cluster de gènes soumis à l’empreinte dans une région du chromosome 11 et entraîne une macrosomie et un risque de néoplasie augmenté [ 12]. De même, il a été rapporté une augmentation de la fréquence des anomalies graves chez les enfants issus de FIV et des nouveau-nés à petits poids de naissance sans qu’il soit possible de savoir, pour le moment, si le risque est lié à la FIV ou à la cause de l’infertilité des parents [ 13].

Conclusions

Les voies de signalisation issues de la membrane plasmique et activées par l’interaction et la fusion entre les gamètes sont court-circuitées lors de l’ICSI. Un chaînon ou un élément manquant peut-il avoir des répercussions sur les processus épigénétiques ? La déméthylation active du génome paternel est-elle liée à la signalisation calcique lors de la fécondation ? Des défauts des oscillations calciques, ou des signaux calciques aberrants, par exemple issus de l’activation préalable de l’ovocyte par du ionophore au calcium comme mentionné ci-dessus, peuvent-ils avoir une incidence sur les mécanismes d’épigenèse stimulés après fécondation ? L’ICSI est pratiquée depuis 1992, et aucun des enfants n’a donc encore à ce jour atteint l’âge adulte. Or, certains cancers et certaines maladies neurologiques ou musculaires ne se révèlent qu’à l’âge adulte. La sécurité vis-à-vis de l’empreinte génétique des techniques utilisées en FIV demanderait à être évaluée avec attention.

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