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Med Sci (Paris). 2007 April; 23(4): 358–359.
Published online 2007 April 15. doi: 10.1051/medsci/2007234358.

Au fil de la littérature sur les cellules ES

Pierre Savatier*

Inserm U846, Institut Cellules souches et Cerveau, 18, avenue Doyen Lépine, 69500 Bron, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Lignée cellulaire, Cellules souches embryonnaires, Analyse de profil d'expression de gènes, Humains, Protéines et peptides de signalisation intercellulaire, Souris, Cellule souche pluripotente, Spécificité d'espèce, Transcription génétique

 

En 2005-2006, la recherche sur les cellules souches embryonnaires (ES) a été marquée par deux avancées technologiques majeures pouvant avoir un impact en thérapie cellulaire (d’autres avancées fondamentales dans ce domaine des cellules ES ont été traitées par ailleurs récemment dans Médecine/Sciences) [ 13]. La première est la dérivation de lignées de cellules souches pluripotentes à partir de cellules somatiques chez la souris. L’équipe de Shinya Yamanaka (Nara, Japon) a obtenu la re-programmation de fibroblastes embryonnaires et adultes grâce à la surexpression de quatre facteurs de transcription, Oct4, Sox2, Myc et Klf4 [ 4]. Ces facteurs sont connus pour leur rôle dans le maintien des cellules ES à l’état pluripotent chez la souris (Oct4, Sox2, Myc, Klf4) et chez l’homme (Oct4, Sox2). Les cellules pluripotentes ainsi obtenues sont appelées iPS (induced pluripotent stem) afin de les différencier des véritables cellules ES obtenues à partir d’embryons. Les cellules iPS présentent les caractéristiques cardinales de cellules ES, en particulier un potentiel de prolifération illimité et la capacité de différenciation en cellules des trois feuillets embryonnaires, ectoderme, mésoderme et endoderme, et ce en l’absence d’anomalies chromosomiques. On ne peut exclure, ni que les cellules ainsi reprogrammées sont des cellules souches tissulaires résiduelles (et non des fibroblastes différenciés), ni que ce processus de re-programmation nécessite un ou plusieurs évènements secondaires de nature inconnue, car l’efficacité de cette re-programmation est faible. Néanmoins, ce travail fait la preuve du concept de re-programmation directe d’une cellule somatique en cellule souche pluripotente. La preuve de ce concept doit maintenant être faite chez l’homme. La capacité de cellules iPS humaines à s’autorenouveler sans altération génétique dans un milieu de culture dépourvu de composants d’origine animale, puis à se différencier in vitro en cellules d’intérêt thérapeutique, devra être étudiée et confirmée. L’efficacité de la re-programmation devra être augmentée, sans doute grâce à l’ajout d’autres gènes de pluripotence ou à l’utilisation d’inhibiteurs pharmacologiques de diverses voies de signalisation impliquées dans la différenciation. À terme, cette technologie est susceptible de permettre la production de cellules différenciées histocompatibles sans passer par l’étape du transfert nucléaire et la constitution d’embryons clonés. Par ailleurs, cette avancée technologique illustre la nécessité de poursuivre les recherches sur les mécanismes de contrôle de l’autorenouvellement et de la pluripotence des cellules ES afin, à terme, de maîtriser totalement le processus de re-programmation.

La deuxième avancée concerne l’identification de facteurs de croissance (et des voies de signalisation correspondantes) capables de maintenir les cellules ES humaines (HES) dans un état d’autorenouvellement. Plusieurs travaux réalisés par les équipes de Jamie Thomson (Université du Wisconsin, États-Unis) [ 5, 6], Ali Hemmati-Brivanlou (Université Rockefeller, États-Unis) [ 7] et Roger Pedersen (Cambridge, Royaume-Uni) [ 8, 9] ont démontré le rôle de l’Activine et de Nodal (facteurs de la famille du TGF-β, transforming growth factor β), ainsi que des facteurs FGF2 et Wnt, dans la stimulation de l’autorenouvellement et l’inhibition de la différenciation. En revanche, les facteurs activant l’autorenouvellement des cellules ES de souris sont inactifs sur les cellules HES. Par ailleurs, des études de transcriptomique ont révélé des différences importantes entre les cellules ES de souris et d’homme. Toutes ces différences pourraient résulter de changements dans les mécanismes de développement embryonnaire au cours de l’évolution des mammifères. Elles pourraient également résulter d’un « dé-synchronisme » dans le développement embryonnaire des deux espèces, de sorte que les cellules ES de souris et d’homme seraient le reflet de stades développementaux différents.

L’identification de facteurs de croissance capables d’inhiber la différenciation des cellules HES et de maintenir leur caractère pluripotent a conduit à concevoir des milieux de culture de cellules HES dépourvus de composants d’origine animale. Des travaux récents sont particulièrement prometteurs, l’un de l’équipe de Michael Snyder à l’Université de Yale (États-Unis) (milieu HESCO) [ 10], l’autre de l’équipe de Jamie Thomson (milieu mTeSR1) [6]. Dans les deux cas, les milieux sont constitués exclusivement de composants recombinants d’origine humaine et les cellules HES sont cultivées en l’absence de cellules nourricières. En outre, le milieu mTeSR1 a permis la dérivation de deux nouvelles lignées de cellules HES. Ces lignées pourraient théoriquement être utilisées pour la production de cellules différenciées transplantables à l’homme. Il convient de souligner que l’utilisation de ces milieux de culture complexes ne fait que remplacer les cellules nourricières, ou le milieu conditionné à partir de ces cellules, mais n’améliorent pas la qualité intrinsèque des cultures de cellules HES. En outre, il sera nécessaire de déterminer si la stabilité génétique des cellules HES ainsi obtenues n’est pas diminuée.

Les conditions actuelles de culture des cellules HES sont associées à la survenue d’anomalies chromosomiques entraînant une accélération de la prolifération et une diminution concomitante du potentiel de différenciation. L’apparition de ces anomalies ne peut être évitée qu’au prix du respect de conditions de culture extrêmement fastidieuses, incompatibles avec une utilisation clinique. Ces anomalies chromosomiques reflètent un phénomène d’adaptation des cellules HES aux conditions sub-optimales de culture. Un travail récent publié par l’équipe de Peter Andrews (Université de Sheffield, Royaume-Uni) suggère que ces anomalies s’apparentent à la transformation tumorale, en particulier à celle qui est observée dans les tumeurs germinales testiculaires [ 11]. Les recherches visant à identifier de nouvelles voies de signalisation capables de pérenniser plus efficacement l’autorenouvellement des cellules HES restent donc d’actualité et sont indispensables dans la perspective d’une utilisation thérapeutique.

L’année 2006 a été également marquée par la dérivation de plusieurs centaines de nouvelles lignées de cellules HES dans différents pays (Espagne, Royaume-Uni, Suède, Turquie, Iran, Singapour, Chine, Japon, Corée du Sud, etc.). Notons toutefois que toutes ces lignées n’ont pas fait l’objet de l’ensemble des étapes de caractérisation et, qu’à l’heure actuelle, il est difficile de déterminer le nombre exact de lignées de cellules HES remplissant tous ces critères. Des lignées ont également été établies à partir de blastomères isolés (Robert Lanza, Advanced Cell Technology) [ 12] ou d’embryons dits « en arrêt de développement » (Miodrag Stojkovic, Université de Newcastle, Royaume-Uni) [ 13], dans le but de contourner le problème éthique lié à la destruction d’embryons humains. Outre le fait que ces méthodes ne règlent en rien les problèmes éthiques qu’elles sont censées résoudre, il reste à démontrer sur le long terme que ces lignées ne sont pas altérées dans leur capacité d’autorenouvellement et de différenciation.

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