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Med Sci (Paris). 2007 February; 23(2): 215–216.
Published online 2007 February 15. doi: 10.1051/medsci/2007232215.

L’autisme d’une entreprise

Bertrand Jorda*

Marseille-Nice Génopole, case 901, Parc Scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Trouble autistique, Droit pénal, Diagnostic précoce, Faux positifs, France, Secteur des soins de santé, Humains, Marketing, Valeur prédictive des tests, Protéine kinase C, Édition, Trousses de réactifs pour diagnostic, Autosoins

 

On se souvient sans doute de l’affaire du « test de l’autisme », survenue il y a bientôt deux ans. Rappelons-en les éléments principaux : le 19 juillet, un communiqué de presse de l’entreprise française Integragen annonçait la commercialisation début 2006 du « premier test génétique de diagnostic de l’autisme », en s’appuyant sur une publication de son équipe de recherches [ 1], dont la conclusion était d’ailleurs assez prudente : « Nos données suggèrent que le gène PRKCB1 pourrait être impliqué dans l’étiologie de l’autisme ». Cette déclaration était critiquable à deux niveaux. Tout d’abord, elle anticipait fortement par rapport à l’article publié : quatre gènes au lieu d’un, quantification d’un risque relatif égal à 15… Et surtout, selon les chiffres même d’Integragen, ce test aurait donné 90 % de faux positifs, c’est-à-dire que sur dix enfants ayant un résultat positif à ce test, un seul serait « destiné » à être autiste1,… Il était aisé d’imaginer les problèmes causés à ceux qui seraient étiquetés à tort « pré-autistes » et les dégâts ainsi provoqués2

Après une information assez neutre parue dans Le Monde le 20 juillet [ 2], plusieurs analyses (dont l’une parue dans Médecine/Sciences [ 3]) mettaient en cause la stratégie commerciale et médiatique d’Integragen. Il ne semble pas y avoir eu, à l’époque, de réaction publique de l’entreprise. Mais l’on apprend maintenant qu’elle attaque en diffamation Déclic, magazine associatif destiné aux parents d’enfants handicapés et édité par Handicap International. L’objet de cette action en justice est un éditorial paru dans le numéro de septembre-octobre 2006 [ 4] et intitulé « À qui profite le crime ? ». Il dénonce en termes très vifs la politique de l’entreprise et n’en donne vraiment pas une image positive, mais de là à intenter un procès et à réclamer 100 000 euros de dommages et intérêts…

Il faut certes avoir conscience de la situation des start up en biotech : petites firmes de création récente, financées par des « capitaux-risqueurs » qui (surtout en France) n’ont guère le goût du risque, elles sont souvent sur la corde raide. Elles perdent de l’argent, beaucoup d’argent, durant plusieurs années : c’est normal, cela correspond à la période de mise au point d’un procédé, d’une molécule ou d’un instrument qui, à terme, pourra rapporter gros. Mais au bout de deux ou trois ans, les investisseurs s’impatientent, exigent des résultats, et la tentation est forte d’anticiper un peu pour les satisfaire. C’est ainsi qu’aux États-Unis nombre d’essais cliniques en thérapie génique ont été lancés de façon trop hâtive - parce que c’était un milestone 3 requis pour débloquer des fonds et non en raison d’une réelle avancée des travaux. Il est probable que l’annonce d’un prochain test de l’autisme découlait, au moins en partie, d’une telle situation. Reste que ces déclarations étaient en effet prématurées : aucun nouveau résultat n’a été publié depuis (alors que la mise en évidence de quatre gènes semblait imminente), et le site Internet de l’entreprise (sur lequel les communiqués de 2005 ont opportunément disparu) indique aujourd’hui que le diagnostic de l’autisme est « en développement » et que des essais auront lieu en 2007…

Quoi qu’il en soit, la procédure judiciaire enclenchée par Integragen appelle une réaction vigoureuse. Même si l’on peut estimer que certains termes parus dans Déclic sont un peu forts, la liberté de commenter l’actualité médicale et industrielle, y compris en mettant en cause certains de ses acteurs, doit impérativement être préservée. La puissance de l’industrie est telle - on l’a vu à une autre échelle avec la propagande déployée durant des décennies par l’industrie du tabac - que tous les contrepouvoirs doivent être protégés. Si Integragen poursuit sa démarche4, il faudra que notre milieu se mobilise pour défendre la liberté de critiquer les stratégies commerciales des entreprises, parfois trop enclines à négliger les retombées sociétales de leurs actions.

 
Footnotes
1 Selon le communiqué de presse d’Integragen : fréquence de l’autisme dans la population égale à 1/150 (donc risque standard = 1/150), risque relatif en cas de test positif = 15, donc le risque absolu pour les « positifs » est de 1/150 × 15 soit 1/10.
2 La société prévoyait une mise sur le marché début 2006 aux États-Unis, plus tard dans la même année en France.
3 Milestone, c’est le terme consacré pour une réalisation, une étape qui figure dans le plan de développement de l’entreprise et conditionne en général le versement par les investisseurs d’une tranche de financement.
4 Cela semble bien être le cas, avec une première assignation le 12 février 2007.
References
1.
Philippi A, Roschmann E, Tores F, et al. Haplotypes in the gene encoding protein kinase c-beta (PRKCB1) on chromosome 16 are associated with autism. Mol Psychiatry 2005; 10 : 950–60.
2.
Nau JY. Le premier test de diagnostic de l’autisme va être lancé. Le Monde 20 juillet 2005.
3.
Jordan B. Demandez le test de l’autisme ! Med Sci (Paris) 2005; 21 : 886–7.
4.
Boutaudou S. À qui profite le crime ? (Éditorial). Déclic 2006; 113 : 9.