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Med Sci (Paris). 2007 February; 23(2): 115–116.
Published online 2007 February 15. doi: 10.1051/medsci/2007232115.

Immunologie : vers la fin des amateurs ?

Bernard Malissen*

Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy, Inserm U631, CNRS, UMR6102, Université de la Méditerrannée, Case 906, 13288 Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Allergie et immunologie, Biologie moléculaire, Biologie des systèmes

 

Dans un article intitulé « En attendant la Fin » [ 1], Niels Jerne résumait les résultats d’un symposium qui s’était tenu en 1967 et survenait à un moment où l’impact de la biologie moléculaire commençait à se manifester dans le champ de l’immunologie, impact qui allait conduire à la résolution des mécanismes génétiques présidant à la synthèse et à la diversité des anticorps. Alors que les années 1980 et 1990 ont été dominées par l’étude des lymphocytes B et T en tant qu’acteurs de l’immunité adaptative, un détour inattendu par la drosophile a plus récemment permis le retour au-devant de la scène de l’immunité innée et des cellules myéloïdes et la re-découverte que ces dernières opéraient au niveau d’organes non « stériles » où coexistent d’innombrables bactéries. Quarante ans après l’article de N. Jerne, la Fin n’est donc toujours pas en vue et la série d’articles publiés dans ce numéro de Médecine/Sciences démontrent la vitalité de l’immunologie.

Malgré les connaissances accumulées en quarante ans, il reste pourtant difficile de manipuler à façon le système immunitaire afin d’exalter (dans le cas de maladies infectieuses ou tumorales) ou de diminuer (dans le cas de maladies auto-immunes) ses propriétés. Dans son article de 1967, N. Jerne suggérait qu’au moment où une jeune génération de biologistes moléculaires « professionnels » progressait vers la solution du problème du codage génétique de la diversité des anticorps, les « vieux amateurs », au nombre desquels il se comptait, n’avaient plus qu’à s’asseoir et à attendre la Fin. Alors que la Biologie des Systèmes et la Biologie Synthétique poursuivent leur développement, n’est-il pas aussi venu le temps pour nous, « vieux amateurs » habitués jusque-là à étudier le système immunitaire de manière fragmentaire, de décrocher et d’attendre la Fin ?

Si l’on excepte l’élaboration d’une nomenclature des molécules exprimées à la surface des cellules du système immunitaire, les recherches en immunologie se sont jusqu’à maintenant déroulées en l’absence de toute coordination internationale. Elles ont cependant permis le recensement de bien des acteurs moléculaires et cellulaires impliqués dans les réponses immunitaires. Tirant parti du fait que le système immunitaire est un « tissu fluide » et du nombre sans cesse croissant d’anticorps monoclonaux, la cytométrie multiparamétrique a engendré la plupart des informations quantitatives nécessaires à cette phase de recensement. Cependant, nous manquons encore d’informations quantitatives et standardisées sur la plupart des niveaux d’intégration qu’aborde l’immunologie. Par exemple, dans le cas des mécanismes de transduction du signal se déroulant à la membrane d’un lymphocyte, les concentrations intracellulaires locales des partenaires impliqués et la dynamique de leurs interactions conduisant à la naissance de « signalosomes » restent encore méconnues. De plus, chacune des voies de signalisation est généralement traitée comme une entité propre constituée d’interactions « verticales » allant de la surface vers le noyau et dénuée d’interactions « horizontales » avec d’autres voies de signalisation. Bien qu’impliquant des boucles de régulation positive et négative de plus en plus nombreuses, il est clair que les modèles « intuitifs » de signalisation intracellulaire qui ornent nos publications ont atteint leur limite.

À l’image des peintres de la Renaissance représentant le martyr de saint Sébastien, la plupart d’entre nous utilisent toujours les flèches de manière non codifiée. Si nous voulons intégrer l’ensemble des observations qui surviennent à diverses échelles spatio-temporelles dans un modèle du système immunitaire qui serait à la fois quantitatif et prédictif, il est clair que la seule issue passe désormais par l’utilisation des outils développés par la Biologie des Systèmes. Cependant, les acteurs de cette nouvelle discipline ne sont pas omniscients et la valeur prédictive de leur modèle est dépendante des valeurs numériques prises en considération. Le génome ne spécifie qu’indirectement l’organisation spatio-temporelle des systèmes biologiques et cette dernière repose sur des interactions moléculaires de nature non-covalente qui sont dictées par les lois de la physico-chimie. Les mesures par corrélation de fluorescence et la spectrométrie de masse devraient largement pourvoir à l’obtention de telles valeurs nécessaires à l’élaboration de modèles biologiques. Cependant, les contraintes actuellement inhérentes à ces techniques (sensibilité ou nécessité de travailler avec des cellules immobiles : une hérésie pour des cellules lymphoïdes et myéloïdes par nature mobiles), en limite encore le domaine d’application.

Il est également intéressant de noter l’émergence d’une immunologie dite synthétique et visant à reconstituer in toto soit une voie de signalisation, soit un organe. Ainsi, en utilisant une maille architecturale faite de biomatériaux, il a déjà été possible de reconstituer un ganglion lymphatique fonctionnel [ 2]. Les efforts visant à humaniser le système immunitaire de la souris appartiennent également à ce nouveau domaine. Au-delà de ces exploits techniques permis par l’extraordinaire « boîte à outil » dont nous sommes en possession, cette approche devrait aussi conduire à créer de novo des circuits de signalisation et des cellules dotées de propriétés immunitaires nouvelles car jusque-là non essayées par l’évolution.

L’immunologie intégrative et synthétique n’est donc probablement pas une nouvelle usine à gaz destinée à lever des fonds mais la seule réponse viable à la complexité du puzzle que constitue le système immunitaire. Seule la combinaison de ces nouveaux outils et de nos vieilles méthodes d’amateurs permettra de visualiser la manière dont l’information se propage à l’intérieur d’une cellule ou d’un tissu avec une haute résolution temporelle et spatiale, et de prédire le comportement du système immunitaire lorsqu’il est confronté à une perturbation génétique, environnementale ou pharmacologique. La Fin n’est toujours pas en vue !

References
1.
Jerne NK. Summary: waiting for the end. Cold Spring Harb Symp Quant Biol 1967; 32 : 591–603.
2.
Suematsu S, Watanabe T. Generation of a synthetic lymphoid tissue-like organoid in mice. Nat Biotechnol 2004; 22 : 1539–45.