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Med Sci (Paris). 2007 January; 23(1): 53–63.
Published online 2007 January 15. doi: 10.1051/medsci/200723153.

Rôle du canal calcique P/Q dans la migraine hémiplégique familiale

Norbert Weiss,1,2,3* Elisabeth Tournier-Lasserve,4,5 and Michel De Waard1,2,3

1Inserm U607, Laboratoire Canaux calciques, fonctions et pathologies, 17, rue des Martyrs, Bâtiment C3, 38054 Grenoble Cedex 09, France 
2CEA, Grenoble, France ; Université Joseph Fourier, Grenoble, France
3Université Joseph Fourier, Grenoble, France
4Inserm U740, Faculté de Médecine Lariboisière, 10, avenue de Verdun, 75010 Paris, France.
5Laboratoire de génétique, AP-HP, Hôpital Lariboisière, 2, rue Amboise Paré, 75010 Paris, France
Corresponding author.
 

La migraine est une affection fréquente dont la prévalence est estimée à environ 10-15 %. Cette affection touche plus souvent les femmes que les hommes et débute généralement dans l’enfance ou l’adolescence. Les critères de l’International Headache Society (IHS) distinguent deux formes de migraine : (1) la migraine sans aura et (2) la migraine avec aura, l’aura étant définie par les troubles neurologiques, le plus souvent visuels, qui précèdent la céphalée migraineuse. Le déterminisme et les mécanismes physiopathologiques de cette affection sont encore mal compris et font probablement intervenir des facteurs environnementaux et génétiques [ 1]. La migraine avec et sans aura est considérée comme une affection polygénique multifactorielle. Il existe, cependant, une forme rare de migraine avec aura, la migraine hémiplégique familiale (MHF) dont le mode de transmission est monogénique, autosomique dominant. Une approche de génétique inverse a permis l’identification des gènes impliqués dans cette forme de migraine. Ainsi, les canaux calciques dépendants du voltage (CCDV) de type P/Q sont apparus être les protagonistes de la MHF de type 1 (MHF-1). Si la recherche et la caractérisation de mutations affectant ce canal ont rapidement fait l’objet de nombreux travaux, ce n’est que récemment que leur implication moléculaire dans un schéma intégré de physiopathologie a réellement émergé. Cet article présente l’implication des canaux P/Q dans cette affection, depuis l’étude clinique et génétique de familles atteintes de MHF et la mise en évidence du gène codant pour la sous-unité Cav2.1 à la caractérisation fonctionnelle de mutations affectant ce canal, débouchant sur un modèle moléculaire à la base de la physiopathologie de cette forme de migraine.

Caractéristiques cliniques de la MHF

La MHF est définie selon les critères de l’IHS comme une forme de migraine avec aura dans laquelle l’aura comporte un certain degré de déficit moteur, cela chez au moins deux apparentés du premier degré. Le mode de transmission est, dans la plupart des familles, compatible avec un mode autosomique dominant, sans toutefois que ce critère fasse partie des critères de définition de l’IHS (Figure 1). Cette affection débute en général dans l’enfance et affecte autant les filles que les garçons. La fréquence des crises varie beaucoup d’un patient à l’autre et au cours de la vie chez un même patient. La symptomatologie peut varier d’une crise à l’autre. Les crises sont caractérisées par la présence d’un déficit moteur isolé ou associé à d’autres symptômes de l’aura : hémianopsie, paresthésies et/ou dysphasie. Ces symptômes durent en général de 30 à 60 minutes et sont suivis d’une céphalée de type migraineux qui dure généralement plusieurs heures. Le déficit moteur est toujours réversible en totalité. Parfois, certaines crises plus sévères peuvent s’accompagner de fièvre, d’une confusion voire même d’un coma. L’imagerie cérébrale à distance de la crise reste, quant à elle, normale.

Dans certaines familles atteintes de MHF, les patients souffrant de crises de migraine hémiplégique peuvent présenter d’autres troubles cliniques. Dans 20 % d’entre elles, les sujets atteints présentent un nystagmus et/ou une ataxie permanente de type cérébelleux. D’autres troubles, paroxystiques ou permanents, ont également été observés tels que crises d’épilepsie, retard mental ou rétinite pigmentaire.

Génétique moléculaire de la MHF

La migraine hémiplégique familiale est une affection autosomique dominante hétérogène génétiquement. Le caractère mendélien (monogénique) de la MHF a permis, grâce à l’utilisation des méthodes de la génétique inverse, de localiser puis d’identifier trois des gènes impliqués dans cette affection, CACNA1A, ATP1A2 et SCN1A [ 25].

Le premier de ces gènes, CACNA1A, localisé sur le chromosome 19, code pour la sous-unité Cav2.1 des CCDV de type P/Q. La moitié environ des familles atteintes de MHF à cas multiples sont liées à ce locus ainsi que la totalité des familles dans lesquelles certains patients présentent, en sus de leur phénotype MH, un nystagmus et/ou une ataxie cérébelleuse [ 6]. À ce jour, 17 mutations dans le gène CACNA1A ont été rapportées dont certaines sont récurrentes dans les familles de migraines hémiplégiques (MH) avec ataxie cérébelleuse [1] (Tableau I, Figure 2). Jusqu’à présent, toutes les mutations détectées sont des mutations faux sens, changeant un des acides aminés de la protéine. Aucun autre type de mutation du gène CACNA1A n’a été rapporté dans les familles atteintes de MHF.

L’analyse clinique détaillée de plus d’une centaine de sujets porteurs d’une mutation dans le gène CACNA1A appartenant à 21 familles non apparentées a permis de mettre en évidence certaines corrélations entre phénotype et nature de la mutation au sein du gène [ 7]. Les mutations observées dans les familles avec MH isolée sont différentes de celles observées dans les familles de MH associée à une ataxie cérébelleuse. À titre d’exemple, la mutation T666M est associée à une pénétrance plus élevée du phénotype MH et une plus grande fréquence de crises sévères.

CACNA1A, migraine sans et avec aura et autres affections neurologiques

Plusieurs études ont été conduites visant à déterminer si le locus ou le gène CACNA1A était impliqué dans les formes fréquentes de migraine avec ou sans aura. Les résultats de ces études ne sont pas en faveur d’une implication de ce gène. Un criblage de tous les exons codants du gène CACNA1A, réalisé récemment chez 25 patients atteints de migraine sans aura et 18 patients atteints de migraine avec aura, n’a détecté aucune mutation de ce gène [ 8]. Il existe donc peu ou pas d’arguments, à ce jour, en faveur d’une implication du gène CACNA1A dans les autres formes de migraine.

En revanche, des mutations de la sous-unité Cav2.1, d’une nature différente de celles observées dans la MHF, ont été détectées dans deux autres affections neurologiques différentes sur le plan clinique, soulevant d’intéressantes questions de physiopathologie [ 9]. L’ataxie épisodique de type 2 (EA2) est en effet liée essentiellement à des mutations tronquantes de la sous-unité Cav2.1 et l’ataxie spinocérébelleuse SCA6 à une amplification du triplet CAG situé dans la partie 3’ du gène CACNA1A [ 3, 10].

Le canal calcique de type P/Q : de sa fonction à sa structure

Le canal calcique de type P/Q (Cav2.1) constitue un membre de la grande famille des CCDV, représentée également par les canaux de type L (Cav1.1 à Cav1.4), N (Cav2.2), R (Cav2.3) et T (Cav3.1 à Cav3.3), et dont l’activation fait suite à une modification du potentiel de membrane de la cellule [ 11]. Bien que très largement présents au niveau du cervelet [ 12, 13], l’expression des canaux P/Q s’étend également au reste des structures cérébrales incluant celles impliquées dans la physiopathologie de la migraine, à savoir le cortex cérébral, le ganglion trijumeau et le tronc cérébral. De par leur localisation subcellulaire au niveau des terminaisons présynaptiques, les canaux P/Q, en régulant finement l’entrée de calcium dans la cellule nerveuse, jouent un rôle essentiel dans le contrôle de la libération des neuromédiateurs [ 14]. Ils représentent une étape clef dans la conversion du message électrique en message chimique, se présentant ainsi comme des acteurs essentiels dans les processus de transmissions synaptiques. Ces canaux sont également présents au niveau somatodendritique où ils participent à de nombreuses autres fonctions cellulaires telles que l’excitabilité neuronale, l’expression génique ou encore la synaptogenèse. Enfin, ces canaux jouent également un rôle important au niveau des jonctions neuromusculaires en contrôlant la libération d’acétylcholine [ 15]. Leur implication a été confirmée chez des patients atteints du syndrome de Lambert-Eaton, une maladie auto-immune où la présence élevée d’anticorps dirigés contre les canaux P/Q altère la libération d’acétylcholine, conduisant progressivement à une myopathie [ 16].

D’un point de vue structural, le canal P/Q se présente sous la forme d’un hétérocomplexe, composé d’une sous-unité principale Cav2.1 comportant le pore ionique, centrée autour de sous-unités auxiliaires β, γ et α2-δ [ 17]. Dans le but de mieux appréhender les effets fonctionnels des mutations MHF-1 affectant les canaux P/Q que nous décrirons par la suite, il est important de bien comprendre la structure de la sous-unité Cav2.1 ainsi que les déterminants moléculaires majeurs gouvernant ses propriétés biophysiques. Il s’agit d’une protéine membranaire d’environ 2 400 acides aminés, pour un poids moléculaire compris entre 250 et 275 kDa (variable suivant les variants d’épissage). En l’absence de donnée cristallographique relative à cette protéine, la topologie membranaire de la sous-unité Cav2.1 repose sur les données structurales disponibles pour les canaux potassiques dépendants du voltage [18] dont les comparaisons de séquences suggèrent une grande homologie avec les CCDV. La sous-unité Cav2.1 pourrait ainsi s’organiser sous la forme de quatre domaines membranaires, chacun constitués de six segments transmembranaires ou sous-membranaires (S1 à S6). Ces quatre domaines sont liés entre eux par des boucles cytoplasmiques (Figure 2). Les segments S4 sous-membranaires, de par leur composition riche en résidus basiques (positivement chargés) arginines et lysines, constituent le senseur de voltage et seraient à l’origine de la détection des modifications du potentiel électrique de membrane de la cellule à l’origine de l’ouverture du canal. Les boucles extracellulaires et transmembranaires reliant les segments S5 et S6 (boucles P) s’organisent pour former le pore ionique à proprement parler et déterminent également la sélectivité ionique [ 19]. Enfin, les boucles cytoplasmiques I-II et III-IV, reliant respectivement les domaines I et II et les domaines III et IV, constituent quelques uns des éléments importants dans les processus d’inactivation du canal [ 20, 21].

Ces structures étant impliquées dans le contrôle des propriétés biophysiques du canal, des mutations au sein de l’ensemble de ces déterminants structuraux seraient susceptibles de conduire à une altération de son activité. Ainsi, la recherche et la caractérisation de mutations dans le gène CACNA1A représentent une étape clé dans la compréhension des mécanismes moléculaires conduisant au développement de la MHF-1.

À la recherche de mutations…

Depuis l’identification en 1996 du gène CACNA1A comme premier gène responsable de la MHF [3], 17 mutations portées par ce gène ont été identifiées (Tableau I). Ces mutations se répartissent sur l’ensemble des quatre domaines membranaires de la sous-unité Cav2.1, certaines affectant des structures importantes comme le senseur de voltage ou le pore ionique (Figure 2). Il s’agit exclusivement de mutations ponctuelles faux sens conduisant à la substitution d’un acide aminé par un autre. La comparaison des séquences protéiques des sous-unités Cav des différents CCDV et des sous-unités Nav des canaux sodiques neuronaux dépendants du voltage (Nav1.1, Nav1.2, Nav1.3, Nav1.6) [ 22] révèle que ces mutations affectent des acides aminés hautement conservés au niveau de leur identité ou de leur homologie, suggérant que ces acides aminés représentent des éléments déterminants nécessaires au bon fonctionnement des canaux ioniques (Figure 3). Dans l’espoir de mieux comprendre les conséquences fonctionnelles de ces mutations, onze d’entre elles ont été caractérisées au niveau fonctionnel par réexpression des sous-unités Cav2.1 porteuses des mutations MHF-1 dans différents systèmes d’expression hétérologue tels que l’ovocyte de xénope, la lignée cellulaire de mammifère HEK293 (Figure 4) ou encore dans des neurones granulaires du cervelet ou d’hippocampe de souris Cav2.1−/− [ 2329]. Un certain nombre de caractéristiques biophysiques du canal ont ainsi été étudiées aussi bien au niveau de la cellule entière (voltage dépendance d’activation/inactivation, cinétiques d’activation/inactivation…) que du canal unitaire (probabilité d’ouverture et conductance unitaire) (Tableau II). D’une manière générale, la presque totalité de ces mutations (dix des onze caractérisées) confère au canal un déplacement de sa voltage dépendance d’activation vers des potentiels moins dépolarisants, c’est-à-dire une diminution de son seuil d’activation conduisant à une ouverture facilitée du canal au niveau unitaire et une augmentation de l’entrée calcique à des potentiels pour lesquels les canaux P/Q sauvages ne sont normalement pas activés. À titre d’exemple, la sous-unité Cav2.1, porteuse de la mutation S218L dans la boucle reliant les segments S4 et S5 du premier domaine membranaire, présente un seuil d’activation aux alentours de -50 mV/-60 mV dans les neurones granulaires du cervelet de souris Cav2.1−/− , seuil proche du potentiel de repos de la cellule nerveuse [ 27]. Cependant, l’explication moléculaire du déplacement de la voltage dépendance d’activation du canal reste difficile à établir. Il est, en effet, classiquement admis que la sensibilité au voltage des CCDV est conférée par les segments S4. Or, parmi les dix mutations MHF-1 affectant la voltage dépendance d’activation du canal, six d’entre elles ne se situent pas dans les segments S4 ou proche des segments S4 (boucles S3-S4 et boucles S4-S5) (Tableau I, Figure 2). De plus, parmi les quatre mutations localisées dans l’environnement des segments S4 et conduisant à un déplacement de la voltage dépendance d’activation du canal, la mutation R583Q conduit à une perte de charge positive, la mutation K1336E conduit au gain d’une charge négative et la mutation S218L n’entraîne pas de modification de charge. Ainsi, l’effet fonctionnel de ces mutations se révèle être à l’opposé de ce que l’on pourrait attendre d’un point de vue purement théorique. Inversement, la mutation R192Q, portée par le segment S4 du premier domaine membranaire, conduit à une perte de charge positive sans pour autant altérer la voltage dépendance d’activation du canal étudiée dans l’ovocyte de xénope (Tableau II). Ces données suggèrent que les effets fonctionnels de certaines mutations MHF-1 ne passent pas directement par une altération de la sous-unité Cav2.1 elle-même, mais peut être par une altération de sa régulation par d’autres partenaires moléculaires. En revanche, les mutations T666M et V1457L, portées par les boucles P des second et troisième domaines membranaires, confèrent au canal un déplacement du potentiel d’inversion du calcium témoignant d’une altération de la sélectivité ionique dont elles sont responsables (Tableau II).

Bien que l’ensemble des mutations fonctionnellement caractérisées altèrent au moins une des caractéristiques biophysiques du canal, force est de constater que ces altérations dépendent de la mutation considérée, du type cellulaire dans lequel la caractérisation est réalisée, mais également des différentes sous-unités régulatrices du canal présentes. Ainsi, l’expression fonctionnelle de certaines mutations semble dépendre très largement de l’isoforme de la sous-unité b. A titre d’exemple, l’altération de la cinétique d’inactivation du canal engendrée par la mutation V1696I (Tableau II), portée par le segment S5 du quatrième domaine membranaire, se manifeste uniquement en présence des sous-unités β1 ou β3, mais pas en présence de la sous-unité β4 [ 28]. Sachant que la sous-unité β4 est la sous-unité β préférentiellement associée aux canaux P/Q, du moins in vivo dans le cervelet [ 30], il est important de considérer avec prudence le phénotype engendré par ces mutations caractérisées in vitro en système d’expression hétérologue. Une alternative consiste à réintroduire in vivo chez l’animal le gène CACNA1A porteur de mutations MHF-1 (knock-in). Cette technique, bien que nécessitant un travail considérable, présente l’avantage indéniable de replacer la sous-unité Cav2.1 mutée dans un environnement intact, en présence de l’ensemble de ses partenaires moléculaires. Ce travail a été réalisé très récemment chez la souris avec le knock-in de la mutation R192Q portée par le segment S4 du premier domaine membranaire [ 31]. Ces animaux présentent un gain de fonction, caractérisé par (1) une augmentation de la densité de courant portée par les canaux P/Q dans les cellules granulaires du cervelet, (2) une augmentation de la neurotransmission au niveau des jonctions neuromusculaires, (3) un déplacement de la voltage dépendance d’activation des canaux P/Q vers des potentiels moins dépolarisants à l’origine d’une diminution du seuil d’excitabilité des neurones corticaux. À noter que cette mutation, initialement caractérisée in vitro en système d’expression hétérologue en présence des sous-unités régulatrices β1b et α2δ, n’altérait pas la voltage dépendance d’activation du canal, confirmant l’idée que l’expression fonctionnelle des mutations MHF-1 passe très probablement par une altération des régulations de la sous-unité Cav2.1 plus que par une altération intrinsèque du canal calcique lui-même.

Une des régulations majeures des canaux P/Q au niveau présynaptique met en jeu l’activation de récepteurs couplés aux protéines G hétérotrimériques [ 32]. Cette régulation mobilise le dimère Gβγ dont la fixation directe sur la sous-unité Cav2.1 est à l’origine d’une inhibition du courant calcique porté par ces canaux, permettant ainsi de diminuer l’activité synaptique. Ainsi, la mutation R192Q semble s’opposer à l’inhibition des canaux P/Q par les protéines G [ 33]. L’inhibition des CCDV par les protéines G étant levée par le décrochage du dimère Gβγ en réponse à l’ouverture du canal, l’augmentation de la probabilité d’ouverture du canal engendrée la mutation R192Q (Tableau I) est très certainement à l’origine de l’altération de cette régulation. La majorité des mutations MHF-1 modifiant la voltage dépendance de l’activation des canaux P/Q, leur caractérisation systématique dans le contexte de leur régulation par les protéines G hétérotrimériques devrait apporter des informations importantes dans la compréhension des mécanismes moléculaires à l’origine de la MHF.

Des mutations à la compréhension de la physiopathologie de la MHF

Bien que la recherche systématique de mutations et leur caractérisation fonctionnelle constituent des informations importantes pour la compréhension des mécanismes moléculaires conduisant aux symptômes migraineux, force est de constater que pour l’heure, l’origine de la maladie reste mal comprise. S’il est maintenant admis que la crise migraineuse résulte d’un dysfonctionnement d’une région du cerveau conduisant à l’activation des voies nociceptives trigéminales (pour une revue relative à la douleur trigéminale, voir [ 34]), l’une des questions majeures en suspens est de comprendre la nature des mécanismes moléculaires à la base de l’activation du système trigéminal. La théorie de la dépression corticale (CSD, cortical spreading depression) est pour l’heure l’explication la plus rationnelle. Il s’agit d’un phénomène électrophysiologique observé pour la première fois dans le cortex cérébral de lapin par Leao dans les années quarante. Il se caractérise par une phase d’hyperactivité neuronale se propageant lentement à la surface du cortex cérébral (2 à 6 mm/min), suivie d’une longue phase de silence électrique (dépression) des neurones impliqués, ces deux événements étant associés respectivement à une augmentation puis une diminution locale du flux sanguin cérébral [ 35]. Sur la base de perturbations similaires du flux sanguin cérébral observées chez des patients soufrant de migraine avec aura, la théorie de la dépression corticale a été proposée comme étant à l’origine des migraines avec aura. De plus, des perturbations de l’activité électrique neuronale observées chez l’homme et compatibles avec la théorie CSD [ 36], ainsi que l’étude de modèles animaux, ont définitivement confirmé l’idée que la dépression corticale était capable d’activer le système trigéminal, pouvant ainsi être à l’origine du déclenchement des symptômes migraineux [ 37]. Dans ce contexte, les altérations biophysiques des canaux P/Q engendrées par les mutations MHF-1 prennent toute leur importance. En effet, ces mutations, en diminuant le seuil d’activation des canaux P/Q, conduisent à une diminution du seuil d’excitabilité cellulaire pouvant être à l’origine de l’initiation du phénomène CSD et de la phase d’hyperactivité neuronale (Figure 5).

De plus, bien que les canaux P/Q représentent les canaux caractéristiques de la MHF-1, ils ne sont pas les seuls canaux ioniques associés aux MHF. Des mutations ont également été identifiées dans le gène ATP1A2 codant pour la sous-unité α2 de la pompe Na+/K+-ATPase et sont caractéristiques de la MHF de type 2. À l’âge adulte, cette pompe est exprimée de manière constitutive par les cellules astrocytaires où elle est à l’origine du gradient électrochimique Na+/K+ par hydrolyse de l’ATP. Les mutations relevées dans le gène ATP1A2 sont également des mutations faux sens (très rarement des mutations non sens), mais contrairement aux mutations relevées dans le gène CACNA1A, ces mutations conduisent à une perte de fonction de la pompe Na+/K+-ATPase. L’implication moléculaire de cette protéine dans la CSD a également été proposée sur la base d’un modèle de coopérativité entre cellule neuronale, cellule astrocytaire et circulation sanguine [38]. Le glutamate (neuromédiateur excitateur) libéré par les neurones présynaptiques des synapses excitatrices du système nerveux central est recapté par la cellule astrocytaire environnante, contribuant d’une part à la terminaison du signal et, d’autre part, au recyclage du glutamate qui sera redistribué au neurone présynaptique afin de recharger les vésicules en neuromédiateurs ; la recapture du glutamate par la cellule astrocytaire étant tributaire du gradient électrochimique de Na+. Ainsi, toute perturbation de ce gradient conduit inévitablement à une altération de la recapture du neuromédiateur. Les mutations MHF-2, à l’origine d’une perte d’activité de la pompe Na+/K+-ATPase, altèrent le gradient électrochimique de Na+ et aboutissent par voie de conséquence à une diminution de la recapture du glutamate. Les terminaisons présynatiques se trouvent alors déplétées en glutamate, conduisant à une phase d’inactivité neuronale observée dans le phénomène de CSD (Figure 5).

Enfin, très récemment, une mutation dans le gène SCN1A a été relevée dans trois familles présentant des cas de MHF [5]. Ce gène code pour la sous-unité Nav1.1 des canaux sodiques neuronaux dépendants du voltage dont la structure membranaire est similaire à celle des CCDV. Il s’agit d’une mutation faux sens (Q1489K) dans la boucle cytoplasmique reliant les domaines membranaires III et IV. Bien que l’activité du canal sodique ne semble être que très faiblement affectée en système d’expression hétérologue, il n’est pas exclu que cette mutation puisse modifier les propriétés biophysiques du canal dans d’autres environnements moléculaires. Les canaux sodiques dépendants du voltage, en étant à l’origine de l’excitabilité membranaire et de la propagation du message nerveux, pourraient donc également participer au phénomène de CSD, leur implication directe restant à être démontrée.

Conclusions

Pour l’heure, différentes mutations ont été identifiées dans les gènes CACNA1A et ATP1A2 et associées à des formes familiales de migraine hémiplégique. La caractérisation fonctionnelle de ces mutations in vitro et in vivo chez l’animal a définitivement fait de la MHF une canalopathie d’origine synaptique. Ainsi, la diminution du seuil d’activation des canaux P/Q ainsi que l’altération de l’activité de la pompe Na+/K+ ATPase engendrée par ces mutations apparaissent être les éléments moléculaires à l’origine de l’initiation du phénomène de CSD. Cela permet de proposer un schéma séduisant de physiopathologie de la migraine hémiplégique familiale. En revanche, à ce jour, aucune mutation dans le gène CACNA1A ni dans le gène ATP1A2 n’a été détectée dans les formes fréquentes de migraine non hémiplégique. Les gènes impliqués dans ces formes fréquentes de migraine avec et sans aura restant pour l’instant inconnus. Bien qu’une dizaine de loci ait été rapportée dans des études pan-génome ou ciblées, aucun n’a été confirmé pour l’instant.An external file that holds a picture, illustration, etc., usually as some form of binary object. The name of referred object is medsci2007231p53-img1.jpg

 
Footnotes

Article reçu le 17 février 2006, accepté le 20 mars 2006.

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