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Med Sci (Paris). 2006 December; 22(12): 1107–1109.
Published online 2006 December 15. doi: 10.1051/medsci/200622121107.

Famille et vie professionnelle
Ce sont les femmes qui écopent

Dominique Labie*

Département de génétique, développement et pathologie moléculaire, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Famille, Femelle, Humains, Changement social, Responsabilité sociale, Femmes qui travaillent

 

En France, actuellement, les trois quarts des femmes de 20 à 50 ans ont une activité professionnelle. Elles représentent 46 % du marché du travail, et sont même majoritaires parmi les diplômés. Ce taux d’emploi est variable, et naturellement modifié par l’arrivée d’enfants.

Une enquête de l’INED a porté sur près de 10 000 femmes, cherchant à évaluer comment se conciliaient vie professionnelle et vie familiale au fil des naissances [ 1]. Il apparaît clairement que dans l’état actuel de la société, l’implication masculine dans cette conciliation est faible : d’une façon générale, chez les couples avec enfants, les pères réduisent leur activité vingt fois moins que les mères.

Certes, ce sont les femmes qui mettent les enfants au monde et toute la palette d’ajustements offerte par la législation, allant de l’interruption totale de l’activité professionnelle au choix d’un temps partiel, ou simplement à une modification des horaires, leur semble destinée prioritairement. Dans cette enquête, une coupure nette se révèle en 1994, avec l’application de l’allocation parentale d’éducation (APE), ou « complément de libre choix d’activité » aux familles de deux enfants, permettant au bénéficiaire une interruption de son travail avec versement d’une allocation partiellement compensatrice, et surtout lui donnant la garantie de retrouver son emploi.

Une première donnée est l’évaluation du pourcentage de femmes ne travaillant pas avant et dans les douze mois qui suivent une naissance. Ces valeurs progressent au fil des naissances, de la première à la troisième respectivement : 38 %, 51 % et 69 % après la naissance du premier, second, et troisième enfant (Figure 1).

Chez les femmes qui travaillaient, l’interruption est le plus souvent de courte durée (un an, un an et demi), mais peut cependant se prolonger si une autre naissance a eu lieu entre temps. Le retour à l’emploi se fait de préférence vers la troisième année de l’enfant, lors de sa scolarisation. Les modalités de l’APE en 1994 définissent un clivage : la reprise d’activité est le plus souvent rapide à la première naissance et sans changement à la troisième. Le congé parental, en revanche, est plus souvent utilisé à la deuxième naissance jusqu’à ce que l’enfant ait 3 ans.

Le congé parental est rarement utilisé par les pères (6 % seulement). Les changements professionnels qui suivent des naissances peuvent être ou non en relation avec celles-ci (Figure 2). Mais les modalités sont différentes : les femmes cherchant à diminuer leur temps de travail, et les hommes à en modifier les horaires. Ces choix s’accentuent en fonction du rang de naissance, le recours au congé parental à temps plein étant de plus en plus utilisé par les femmes.

Outre ces données quantitatives, l’enquête a cherché à identifier les différents facteurs qui interviendraient dans la décision : choix délibéré ou nécessité. Entrent en jeu l’âge ou le nombre d’enfants, des facteurs socio-culturels et économiques et, enfin et surtout, à partir de 1994, les avantages de l’APE.

Le rang de naissance1 de l’enfant est sûrement un facteur prédominant. Nous avons vu que la réduction d’activité augmente au fil des naissances, et que l’élargissement de l’APE à deux enfants est nettement incitatif pour que les femmes se retirent du marché du travail. Mais ces facteurs ne sont pas les seuls. Le type de l’emploi occupé intervient, une femme titulaire d’un CDI l’abandonnera plus difficilement qu’un CDD, celle qui n’a qu’un travail précaire et sans contrat cherchera à réduire le moins possible son activité. Il existe une différence entre le secteur public où prédomine une réduction du temps de travail, et le secteur privé plus enclin à la cessation d’activité. Le niveau d’instruction peut jouer aussi, l’abandon d’un emploi s’observant davantage chez les moins diplômées. On constate aussi une tendance pour une fille à reproduire le modèle adopté par sa mère. Et on ne saurait ignorer la situation financière quand elle crée une nécessité. Ce sont en définitive et dans l’ensemble les femmes les mieux insérées dans leur milieu professionnel qui diminuent le moins leur activité.

Il y a les femmes qui travaillent ; il y a aussi celles qui sont au chômage. Comment réagit une femme - ou un couple de chômeurs - face à une naissance ? L’impact semble être plus important pour les hommes, dont plus de la moitié recherchent alors un emploi, que pour les femmes (20 % seulement se mettent à chercher du travail). La naissance aurait plutôt ralenti chez elles les tentatives de recherche. Une observation similaire peut être faite quand la naissance a lieu chez des étudiants. Les pères-élèves cherchent à entrer sur le marché du travail, tandis que chez les étudiantes, il en résulte l’abandon d’un cursus, ou son ralentissement. Toutes ces situations peuvent paraître contrastées. Il n’est cependant pas sans intérêt de les noter. Ces observations devraient permettre une meilleure analyse des situations les plus difficiles afin de pouvoir y remédier.

 
Footnotes
1 Rang de naissance : numéro d’ordre des enfants d’une femme.
References
1.
Pailhé A, Solaz A. Vie professionnelle et naissance : la charge de la conciliation repose essentiellement sur les femmes. Population et Sociétés septembre 2006, n° 426.