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Med Sci (Paris). 2006 November; 22(11): 930–932.
Published online 2006 November 15. doi: 10.1051/medsci/20062211930.

Un canal sans pore  ? La structure primaire d’un canal perméable aux protons enfin dévoilée

Mohamed Chahine,1,2* Jonathan Blanchet,1,2 Antoun El Chemaly,3 and Patrick Bois3

1Institut de cardiologie de Québec, Centre de recherche, Hôpital Laval, 2725, chemin Sainte-Foy, Québec (Québec), G1V 4G5 Canada
2Département de Médecine, Université Laval, Québec (Québec), G1K 7P4 Canada
3Institut de physiologie et biologie cellulaires, CNRS UMR 6187, Universite de Poitiers, Poitiers Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Perméabilité de la membrane cellulaire, Canaux ioniques, Protéines membranaires, Modèles biologiques, Peptides

 

Les canaux à protons activés par le voltage, ont été identifiés pour la première fois en 1982 dans les neurones d’escargots [ 1] et ont été caractérisés également dans les cellules épithéliales alvéolaires, les macrophages, les granulocytes, les ostéoclastes, les microglies [ 2] et, plus récemment, dans les fibroblastes cardiaques humains [ 3, 4]. Ces canaux jouent, entre autres, un rôle important dans la régulation de la production des anions superoxyde (O2-) durant le processus de la défense immunitaire, le remodelage osseux et, plus généralement, dans le contrôle du pH intracellulaire. Contrairement à d’autres canaux cationiques, la nature moléculaire des protéines responsables de ces conductances est demeurée longtemps obscure. Récemment, deux équipes (l’une japonaise et l’autre américaine) ont annoncé le clonage d’un ADN complémentaire (ADNc) d’une protéine ayant une haute homologie avec le domaine senseur de voltage des canaux ioniques dépendants du voltage [ 5, 6]. L’équipe de Sasaki [5] a cloné cette protéine, nommée mVSOP (membrane voltage sensor only protein), chez la souris. De leur côté, Ramsey et ses collaborateurs [6] sont arrivés à la même séquence chez l’hom-me et, par conséquent, ont nommé la protéine Hv1 (human voltage sensor one). Dans ces deux études, la séquence primaire de la protéine clonée est homologue au senseur de voltage et ne contient aucune autre région homologue à un pore de canal ionique ou à une enzyme (Figure 1). Ces travaux font suite à la découverte, par l’équipe de Okamura [ 7], d’un senseur de voltage lié à une phosphatase (Figure 1). L’activité de cette enzyme ou Ci-VSP (ascidian C. intestinalis voltage-sensor-containing phosphatase) est dépendante de la variation du potentiel transmembranaire.

L’expression de ces protéines engendre un courant sortant qui possède les mêmes propriétés électrophysiologiques que le courant protonique décrit depuis quinze ans sur les préparations excitables et non excitables. Ce courant dépendant du voltage dépolarisant présente des cinétiques d’activation lentes, une sensibilité au pH et aux ions Zn2+. D’autres études sur le tissu natif ont montré que l’inhibition par le zinc est dépendante du pH externe. À pHo=7, les courants sont bloqués par le zinc à 10 μM tandis qu’il faut 100 μM à pHo=6. L’inhibition augmente de dix fois pour une diminution d’une unité du pHo.

Les potentiels d’inversion du courant, mesurés à différents pH intra- et extracellulaires, correspondent aux potentiels d’équilibre pour les protons tel que prédits par l’équation de Nernst, suggérant que ce canal serait hautement sélectif aux protons. Contrairement à la pompe aux protons, par exemple la F-ATPase (Figure 2), le mouvement des protons est passif puisqu’il suit le gradient électrochimique des H+. Par ailleurs, des expériences réalisées en imagerie montrent que le pH intracellulaire, après surcharge acide, se rétablit beaucoup plus rapidement dans les cellules transfectées avec le gène codant mVSOP que dans les cellules non tranfectées [5]. Dans ce modèle expérimental, les propriétés d’activation, les cinétiques et les propriétés pharmacologiques (inhibition par les cations divalents tels que le Zn2+ et le Cd2+) des courants produits par mVSOP sont identiques à celles des courants macroscopiques sélectifs aux protons enregistrés dans les tissus natifs. De même que les courants à protons décrits dans les tissus natifs, les canaux exprimés sont très sensibles aux changements de température [2]. Ces travaux montrent également, par analogie aux expérimentations décrites sur le senseur de voltage d’un canal ionique bactérien [ 8], que la neutralisation des charges positives du segment transmembranaire S4 provoque un déplacement du seuil d’activation vers des potentiels plus positifs (estimé à 50 mV pour mVSOP).

Les régions S2, S3 et S4 du canal à protons contiennent des acides aminés chargés positivement (S4) et des résidus chargés négativement (S2-S3). Ces résidus, conservés dans tous les domaines senseurs de voltage des canaux ioniques, joueraient donc un rôle de détecteur de voltage dans les canaux protons. Ainsi, une variation du voltage membranaire, par suite d’une stimulation électrique, ferait changer la conformation du canal pour permettre le passage des protons de part et d’autre de la membrane cellulaire. Dans ces conditions, comment le segment S4 se déplace-t-il dans le champ électrique ? L’équipe de Mackinnon [ 9], après avoir cristallisé le domaine senseur du voltage du canal potassique de Aeropyrum pernis (ou KvAP), a montré que le mouvement est grand et de type paddles. Ce mouvement est incompatible avec les données biophysiques qui prônent un mouvement plus discret de l’hélice α du segment S4. La cristallisation du canal à protons pourrait s’avérer importante pour élucider les diverses hypothèses et répondre aux récentes controverses [ 10].

Quelle est la région limitant sélectivement le passage des protons, connue sous le terme de filtre sélectif, et comment fonctionne-t-elle ? Deux hypothèses ont été émises : soit la perméabilité aux protons requiert un mouvement de la région S4 pour aligner les résidus et permettre le passage de protons (comme dans le cas de la gramicidine [ 11]), soit le mouvement du senseur du voltage expose des résidus accepteurs de protons et permet ainsi leur perméabilité. Des travaux réalisés sur le canal potassique Shaker montrent que la substitution d’un résidu arginine du segment S4 par une histidine (R362H) rend le canal potassique perméable aux protons à des potentiels plus hyperpolarisants [ 12]. Fait intéressant, les mutations des résidus histidine au niveau de Hv1, localisés à proximité de la région S4, n’ont aucun effet sur la perméabilité, suggérant que d’autres résidus joueraient un rôle dans le transfert des protons à travers ce canal [6]. Il n’est pas exclu que cette protéine ne serait qu’une sous-unité régulatrice et que la perméabilité dépendrait de la présence d’une protéine encore non identifiée qui serait présente de façon endogène dans les cellules utilisées.

Comme pour toute nouvelle découverte fondamentale, les travaux de Sasaki et de Ramsey engendrent plusieurs questions liées au rôle de la protéine mVSOP dans l’organisme. Existe-t-il des mutations à l’origine d’un dysfonctionnement de ce canal, qui aboutiraient à une perte de fonction de cette nouvelle protéine et, par conséquent, sous-jacentes à une pathologie humaine ? Des études de génomique et des expériences sur des souris knock-out seront nécessaires pour évaluer ce rôle. Enfin, considérant la ressemblance des canaux à protons avec les domaines de senseur de voltage des canaux ioniques, on peut également se questionner sur le lien évolutif qu’il y a entre les deux gènes.

References
1.
Thomas RC, Meech RW. Hydrogen ion currents and intracellular pH in depolarized voltage-clamped snail neurones. Nature 1982; 299 : 826–28.
2.
DeCoursey TE. Voltage-gated proton channels and other proton transfer pathways. Physiol Rev 2003; 83 : 475–579.
3.
El Chemaly A., Guinamard R, Demion M, et al. A voltage-activated proton current in human cardiac fibroblasts. Biochem Biophys Res Commun 2006; 340 : 512–6.
4.
Cherny VV, Murphy R, Sokolov V, et al. Properties of single voltage-gated proton channels in human eosinophils estimated by noise analysis and by direct measurement. J Gen Physiol 2003; 121 : 615–28.
5.
Sasaki M, Takagi M, Okamura Y. A voltage sensor-domain protein is a voltage-gated proton channel. Science 2006; 312 : 589–92.
6.
Ramsey IS, Moran MM, Chong JA, Clapham DE. A voltage-gated proton-selective channel lacking the pore domain. Nature 2006; 440 : 1213–6.
7.
Murata Y, Iwasaki H, Sasaki M, et al. Phosphoinositide phosphatase activity coupled to an intrinsic voltage sensor. Nature 2005.
8.
Chahine M, Pilote S, Pouliot V, et al. Role of arginine residues on the S4 segment of the Bacillus halodurans Na+ channel in voltage-sensing. J Membr Biol 2004; 201 : 9–24.
9.
Jiang Y, Lee A, Chen J, et al. X-ray structure of a voltage-dependent K+ channel. Nature 2003; 423 : 33–41.
10.
Ahern CA, Horn R. Stirring up controversy with a voltage sensor paddle. Trends Neurosci 2004; 27 : 303–7.
11.
Pomes R, Roux B. Molecular mechanism of H+ conduction in the single-file water chain of the gramicidin channel. Biophys J 2002; 82 : 2304–16.
12.
Starace DM, Bezanilla F. A proton pore in a potassium channel voltage sensor reveals a focused electric field. Nature 2004; 427 : 548–53.