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Med Sci (Paris). 2005 May; 21(5): 517–522.
Published online 2005 May 15. doi: 10.1051/medsci/2005215517.

Interaction des virus avec la voie cellulaire de réponse à l’hypoxie

Sylvie Pillet1* and Nathalie Le Guyader2

1Laboratoire de bactériologie-virologie, Hôpital Nord et Faculté de médecine Jacques Lisfranc, CHU de Saint-Étienne, 27, boulevard Pasteur, 42100 Saint-Étienne, France
2Service de pharmacie, Hôpital Armand Trousseau, 26, avenue du Docteur Arnold Netter, 75012 Paris, France
Corresponding author.
 

La mesure de la pression partielle en oxygène (pO2) dans les tissus humains montre qu’elle est très largement inférieure à celle de l’air que nous respirons. En effet, si la pO2 est de 15 % au niveau des alvéoles pulmonaires, elle n’est que de 4 % dans le foie, de 3 % au niveau de la moelle osseuse et de 2 % au niveau des cellules tubulaires rénales [ 1, 2]. Ces conditions d’hypoxie relative dans l’organisme correspondent en fait à un état de « normoxie » physiologique puisqu’elles sont compatibles avec le fonctionnement normal des cellules et des tissus in vivo. Ainsi, le développement fœto-placentaire [ 3] (→) , la formation du cartilage par les chondrocytes [ 4], ou encore la différenciation et la maturation des précurseurs hématopoïétiques [ 5] ne se réalisent correctement qu’à faible concentration d’oxygène. Notons que la pO2 des étuves dans lesquelles sont incubées les cellules utilisées pour la réplication des virus in vitro est de 20 % et donc bien loin de respecter ces conditions physiologiques.

(→) m/s 2003, n° 11, p.1120

L’hypoxie tissulaire au sens strict se définit comme une concentration en oxygène inférieure aux valeurs physiologiques et qui ne permet pas de satisfaire aux besoins des tissus [1]. Ces conditions sont décrites, par exemple, au cours d’ischémies lors des angéites [ 6] ou au sein des tumeurs solides [ 7].

Réponse cellulaire à l’hypoxie

Les mécanismes impliqués dans la réponse cellulaire à l’hypoxie ont fait l’objet d’un article récent (→) et ne seront rappelés ici que très brièvement (Figure 1) [ 8]. Le facteur majeur de réponse à l’hypoxie est nommé HIF-1 (hypoxia inducible factor-1). Il s’agit d’un hétérodimère constitué de deux protéines de la famille bHLH-PAS : HIF-1β ou ARNT (aryl hydrocarbon receptor nuclear translocator) et HIF-1γ (→) C’est la régulation de la stabilité et de l’activité transcriptionnelle de la sous-unité α par la concentration d’O2 intracellulaire qui module l’activité du facteur HIF-1 (→).

(→) m/s 2002, n° 1, p 70

(→) m/s 1999, n° 12, p. 1379.

(→) m/s 2002, n° 1, p. 70.

Dès que la tension partielle en oxygène est inférieure à 6 %, la protéine HIF-1α est stabilisée, migre dans le noyau cellulaire et s’associe à son partenaire HIF-1β ; le dimère ainsi formé recrute de nombreux cofacteurs, en particulier CBP/p300. Le complexe transcriptionnel actif va alors se fixer sur un motif spécifique présent dans les régions régulatrices des gènes cibles et nommé HBS (HIF-binding site). Ce motif a pour séquence consensus 5’RCGTG3’ où R est une purine. Cette séquence est retrouvée dans les régions régulatrices de nombreux gènes cellulaires dont l’expression est contrôlée par la tension en oxygène. Elle est ainsi présente dans la région 3’ régulatrice (enhancer) du gène codant pour l’érythropoïétine (Epo) et participe au contrôle de la synthèse de l’Epo par les cellules péritubulaires rénales en réponse à une diminution du taux de l’hémoglobine. Cette séquence est également retrouvée dans le promoteur du gène codant pour le VEGF (vascular endothelial growth factor) et son activation, en hypoxie, participe à la néo-angiogenèse tumorale (pO2 intra-tumorale inférieure à 1 %).

Virus et réponse cellulaire à l’hypoxie

Des études récentes montrent que des virus peuvent interférer avec la voie cellulaire de réponse à l’hypoxie, soit en perturbant la régulation de l’expression d’HIF-1α dans le cas des virus oncogènes, soit en utilisant le facteur de transcription HIF-1 pour augmenter l’expression de leurs gènes (Tableau I).

Protéines virales oncogènes et régulation d’HIF-1α
Les protéines virales oncogènes, en activant notamment la voie des MAP-kinases, sont capables de stabiliser et d’activer HIF-1α. Par ce mécanisme, l’oncoprotéine HBx du virus de l’hépatite B participe à la néo-angiogenèse de l’hépatocarcinome en favorisant la production de VEGF [9, 10] (Figure 2A). De plus, HBx interagit directement avec HIF-1α, empêchant ainsi sa dégradation et favorisant son interaction avec ses partenaires transcriptionnels [ 11]. Notons que la synthèse de HBx est également augmentée dans des conditions d’hypoxie in vitro (Tableau I) [ 12] et que HBx est capable de stimuler l’activité transcriptionnelle de son propre promoteur in vitro ; cette boucle d’autorégulation amplifie encore la production de facteurs pro-angiogéniques.

De même, la protéine membranaire LMP1 (latent membrane protein 1) codée par le virus d’Epstein-Barr est susceptible d’activer de nombreuses voies de transduction, en particulier celles des MAP- kinases et des dérivés réactifs de l’oxygène, et ainsi d’augmenter l’expression de HIF-1α in vitro (Figure 2B) [13]. Ce phénomène, reproduit dans un modèle in vitro, pourrait expliquer l’augmentation de l’expression de HIF-1α et de VEGF observée sur des coupes de cancer du nasopharynx, dans lequel la protéine LMP1 est surexprimée [ 14].

Le génome du virus herpès 8 (HHV8) code pour des protéines qui possèdent de fortes homologies fonctionnelles avec des médiateurs cellulaires. Ainsi, la protéine vGPCR (viral G protein-coupled receptor) présente une homologie importante avec le récepteur cellulaire de l’interleukine-8, chimiokine qui possède des propriétés pro-angiogéniques. Le domaine intra-cytoplasmique de la protéine virale vGPCR s’associe aux protéines G sous-membranaires et active de manière constitutive les kinases intracellulaires, telles que les MAPK p44/p42 et p38, la PI3K/Akt, ainsi que la synthèse de nombreux facteurs de croissance et cytokines [15]. Parmi ceux-ci, on peut citer le VEGF qui permet la prolifération des cellules fusiformes et des cellules endothéliales (Figure 2C). L’activation des kinases cellulaires conduit également à la stabilisation et à la migration nucléaire du facteur HIF-1α (→), ce qui exacerbe encore la synthèse de VEGF au niveau des lésions du sarcome de Kaposi, caractérisées par la prolifération de cellules fusiformes et une angiogenèse importante.

(→) m/s 2002, n° 1, p. 70

HIF-1 et expression des gènes viraux
Le virus HHV8, outre le fait de perturber l’expression d’HIF, est capable d’utiliser ce facteur de transcription pour optimiser sa réplication. En effet, le génome de ce virus possède de nombreux sites de fixation pour le complexe HIF-1 [16]. En condition d’hypoxie, la fixation de HIF-1 en amont des gènes viraux stimule l’expression des protéines lytiques et structurales du HHV8 ainsi que sa réplication in vitro dans des cellules de lymphome B des séreuses infectées chroniquement (Figure 2C et Tableau I) [17]. Le sarcome de Kaposi se développe plus particulièrement au niveau de la micro-circulation où l’hématocrite, et donc la concentration en oxygène, est très faible. Cet environnement pourrait favoriser d’une part la réplication virale, ainsi que l’expression de protéine(s) oncogène(s), d’autre part la production de facteurs de croissance impliqués dans la prolifération des cellules endothéliales et tumorales.

Le parvovirus humain B19 semble également capable d’utiliser le facteur HIF-1. Ce virus, en infectant et en détruisant les précurseurs érythroïdes, est responsable de crises d’érythroblastopénie aiguë chez les patients atteints de drépanocytose, et de mort fœtale in utero par anasarque fœto-placentaire 1. Des facteurs érythroïdes spécifiques sont probablement mis en jeu, mais ne semblent pas suffisants pour expliquer le tropisme étroit de ce virus particulièrement difficile à cultiver in vitro [ 18]. Seule l’infection de cellules humaines de la lignée érythroïde permet une réplication, cependant très limitée, du parvovirus B19. Au laboratoire, nous avons pu montrer que la culture de progéniteurs érythroïdes en hypoxie augmente la synthèse et la production des protéines structurales et non structurales du parvovirus B19 [19]. Cette expression virale accrue en situation d’hypoxie s’explique au moins en partie par la fixation du complexe HIF-1 sur un site HBS présent dans le promoteur viral. L’activation de la réplication du parvovirus B19 en hypoxie s’accompagne d’une augmentation significative de la production de particules virales infectieuses (Tableau I). Des études réalisées in vitro et la mesure de la pO2 intramédullaire montrent que la maturation et la différenciation des précurseurs érythroïdes, cibles du parvovirus B19, s’effectuent à faible concentration d’oxygène [5, 20]. L’environnement intramédullaire pauvre en O2 et riche en progéniteurs érythroïdes serait favorable à la réplication du parvovirus B19 et à la production de nombreux virions (1012 particules virales/ml de sérum). L’érythropoïèse inefficace et les complications thrombo-emboliques de la drépanocytose participent à l’hypoxie tissulaire et favorisent probablement la réplication du virus chez ces patients. De même, le développement HIF-dépendant des tissus fœtaux [3] (→) pourrait participer à la sensibilité particulière du fœtus à l’infection par le parvovirus B19 (Figure 3).

(→) m/s 2003, n° 11, p. 1111

Notons que des sites HBS sont également retrouvés dans le génome de parvovirus animaux, en particulier le parvovirus H-1 et le virus minute de la souris. Ces virus non pathogènes pour l’homme possèdent un oncotropisme et des propriétés oncolytiques bien étayés [ 21] qui leur confèrent un intérêt pour la mise au point de nouveaux traitements de cancers résistants ou inaccessibles aux thérapies conventionnelles. En l’absence d’étude publiée, nous ne pouvons actuellement que spéculer sur le fait que l’environnement intratumoral, présentant une pO2 très faible [7] et des quantités importantes d’HIF-1 [ 22], est probablement favorable à l’expression et la réplication in situ de ces virus.

Perspectives thérapeutiques

Utilisée dans certaines infections à bactéries anaérobies [ 23], l’oxygénothérapie, en association à des molécules antivirales, pourrait avoir un intérêt dans le traitement d’infections virales. D’ailleurs, l’oxygène hyperbare a déjà été utilisé comme traitement adjuvant de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1) [ 24]. Les bases moléculaires de ce traitement restent mal explorées, puisqu’une seule étude publiée en 1991 a montré que la culture en hypoxie des cellules lymphoïdes de lignée T chroniquement infectées par le VIH-1 induit l’augmentation de la synthèse des ARNm rétroviraux, de la protéine de capside p24 et de la glycoprotéine d’enveloppe gp160 (Tableau I) [ 25]. Soulignons cependant que les ganglions constituent des carrefours importants du système immunitaire et des « réservoirs » de cellules cibles pour le VIH, dans lesquels la pO2 est d’environ 4 %, ce qui pourrait favoriser la réplication in vivo du VIH. Le développement d’agents susceptibles d’interférer avec la voie d’activation du facteur HIF-1α (activateurs d’hydroxylases, phosphatases…) pourrait également constituer une nouvelle voie de recherche pour le traitement de certaines infections virales et des complications néoplasiques que certains virus engendrent.

Conclusions

L’interaction des virus avec la voie de réponse à l’hypoxie est encore peu documentée. Cependant, le contrôle de nombreuses fonctions cellulaires par la voie HIF, telles que la régulation du cycle, de l’apoptose et de la différenciation, suggère que d’autres protéines virales sont très certainement susceptibles d’interagir avec ce facteur de transcription. De plus, il nous paraît important de souligner que la culture des virus dans des conditions qui se rapprochent des conditions physiologiques habituelles (type cellulaire, mais aussi pH, concentration en oxygène) permettra la réplication de virus réputés « non cultivables in vitro ».

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient le Professeur Frédéric Morinet (Virologie et UPR CNRS 9051) pour son soutien scientifique et amical. Les travaux réalisés sur le parvovirus B19 exposés dans cette revue ont été financés par l’Association pour la Recherche sur le Cancer, l’Établissement Français du Sang, l’AP/CNRS et la Fondation pour la Recherche Médicale.

 
Footnotes
1 Œdème généralisé et intense de l’œuf tout entier (placenta et fœtus), avec production d’ascite.
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