Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2004 March; 20(3): 274–277.
Published online 2004 March 15. doi: 10.1051/medsci/2004203274.

L’opsine en liberté, une des causes de l’amaurose congénitale de Leber

Simone Gilgenkrantz*

9, rue basse, 54330 Clerey-sur-Brenon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Protéines de transport, Protéines de l'oeil, Humains, Mutation, Atrophie optique héréditaire de Leber, Cellules photoréceptrices, Épithélium pigmentaire de l'oeil, Protéines, Opsines des bâtonnets, Cis-trans-isomerases

 

Décrite en 1869 par Theodor Leber, l’amaurose congénitale (LCA) est une entité clinique caractérisée par un déficit visuel, diagnostiqué à la naissance ou dans les premiers mois de la vie, et transmis, dans la quasi-totalité des cas, de façon récessive autosomique. Elle représente au moins 5 % des dystrophies rétiniennes et constitue l’une des principales causes de cécité chez l’enfant [ 1]. L’extinction de l’électrorétinogramme atteste de l’atteinte des deux types de récepteurs : cônes et bâtonnets. Elle peut accompagner des désordres systémiques (syndromes de Joubert, de Lhermitte-Duclos, de Refsum, et de Zellweger, entre autres). Dans sa forme non syndromique, la LCA regroupe un ensemble de dystrophies rétiniennes dont l’origine génétique est très hétérogène et dont la classification est encore incomplète. Des locus - 14q24 pour LCA3 et 6q11-q16 pour LCA5 - ont été trouvés mais pas les gènes correspondants. Des mutations attestent l’implication de six gènes (Tableau I), mais elles ne sont impliquées que dans 50 % des LCA observées en clinique [ 2].

Gènes et produits de gènes impliqués dans la LCA

Les six gènes impliqués dans les LCA - qui interviennent aussi dans d’autres dystrophies rétiniennes, à l’exception de RPGRPI1 - sont exprimés exclusivement ou principalement dans les photorécepteurs ou l’épithélium pigmentaire de la rétine (RPE). La localisation sub-cellulaire des protéines codées par ces gènes est un préalable pour comprendre leur rôle dans la différenciation et le fonctionnement des photorécepteurs et/ou dans la cascade des mécanismes de phototransduction (Figure 1).

  • La protéine AIPL1 (aryl hydrocarbon receptor-interactive protein-like 1), membre de la famille des protéines liant FK-506, contient des répétitions tétratricopeptides (TPR) existant dans les protéines chaperons, suggérant qu’elle pourrait être impliquée dans le transport et le repliement des protéines de la rétine.
  • CRB1 est l’homologue humain de la protéine Crumbs de la drosophile qui, en interaction avec Par-6, est essentielle à la morphogenèse des photorécepteurs. Elle est nécessaire à la biogenèse de la zonula adherens, une structure circulaire encerclant l’apex des cellules épithéliales.
  • CRX est un facteur de transcription à homéoboîte indispensable à la différenciation et à la maintenance des photorécepteurs ainsi qu’au déroulement de la cascade de phototransduction dans les cônes et les bâtonnets.
  • GUCY2D, une guanylate cyclase, est une protéine membranaire située surtout dans les segments externes des cônes. Découverte par une équipe française [ 3], elle intervient dans la restauration de la cascade de phototransduction : les taux de GMPc sont restaurés par conversion de GPT en GMPc sous l’action de la GUCY2D (‹).
    (‹) m/s 1997, n° 4, p. 581
  • RPGRIP1 interagit avec RPGR (retinitis pigmentosa GTPase regulator) qui est impliqué dans RP3, une rétinite pigmentaire liée à l’X. Il pourrait ancrer RPGR au cil axonémal, à la jonction entre les segments internes et externes, ce qui aurait pour effet de faciliter le transport des protéines au cours de la phototransduction.
  • RPE65 joue un rôle crucial dans le métabolisme de la vitamine A. La régénération du pigment visuel s’effectue dans le RPE et nécessite l’isomérisation du rétinol tout-trans en rétinol 11-cis [ 4]. En l’absence de RPE65, le processus d’isomérisation est bloqué, ce qui entraîne une accumulation des rétinoïdes dans le RPE. On aurait donc pu penser que cette accumulation était à l’origine de la mort des photorécepteurs. Il n’en est rien. Une étude récente vient d’élucider les mécanismes physiopathologiques très particuliers et inattendus qui se produisent dans la LCA de type 2, avec déficience en RPE65 [ 5].

On savait qu’il existait, pour cette forme de LCA, un modèle canin spontané chez des Briards atteints de cécité nocturne, tous porteurs de la même délétion de 4pb dans le gène RPE65, ce qui suggère un effet fondateur [ 6]. Il existe aussi un modèle murin transgénique, avec invalidation du gène Rpe65 et dégénérescence rétinienne progressive. C’est à partir de ces souris Rpe65−/− que des chercheurs ont découvert et analysé le trouble fonctionnel entraînant la dégénérescence des photoneurones.

Auparavant, il est utile de rappeler les grandes lignes de la transduction du signal lumineux.

Phototransduction avec et sans RPE65

À l’état normal, l’apoprotéine opsine et le rétinal 11-cis (11c), un dérivé de la vitamine A, se lient pour former la rhodopsine (Rho). Le rétinal 11-cis agit comme agoniste inverse et l’activité intrinsèque de l’apoprotéine se trouve donc réduite. En présence de lumière, le rétinal 11-cis se photo-isomérise en rétinal tout-trans (at), ce qui conduit à l’activation de la rhodopsine. L’absorption du photon par la rhodopsine active une protéine G, la transducine (Td) entraînant le processus de phototransduction avec signal électrophysiologique passant à travers la membrane des cellules photoréceptrices. En présence de RPE65, le rétinal tout-trans est réisomérisé en rétinal 11-cis qui est réincorporé à l’opsine pour reconstituer la rhodopsine. Mais, dans le cas de LCA2, en l’absence de RPE65, l’opsine continue à activer la transduction, et les photorécepteurs, soumis à une activité faible, mais continue, sont détruits, qu’ils soient ou non exposés à la lumière (Figure 2).

Chez la souris Rpe65−/−, qui est un modèle pour LCA2, les résultats obtenus confirment tous l’hypothèse de l’effet destructeur de l’activité permanente de l’opsine .

  • Par rapport à des souris témoins, l’amplitude et la sensibilité de la réponse à la lumière des bâtonnets des souris Rpe65−/− sont diminuées. Les canaux dépendant du GMPc ont conservé une fonction normale.
  • Comme l’atteste l’examen des coupes histologiques de rétine, la suppression de la transducine protège les souris Rpe65−/− de la dégénérescence rétinienne : les doubles mutantes Rpe65−/−/ Gnat−/− ont un épithélium indemne, identique à celui des souris témoins.
  • La dégénérescence est indépendante de l’exposition à la lumière : à 28 semaines de vie, la diminution de la couche nucléaire externe, chez des souris Rpe65−/− élevées dans l’obscurité, est identique à celle observée chez des souris Rpe65−/− élevées au jour.
  • Actuellement, on ignore encore si ce sont les quantités très diminuées de calcium dans le segment externe qui ont le pouvoir d’induire l’apoptose.

Le rôle pathogène de l’opsine non liée

Ainsi, les photorécepteurs des souris Rpe65−/− sont soumis à un phénomène ambigu : du fait de la très faible quantité de rhodopsine, ils sont protégés contre les fortes expositions de lumière, mais l’activité de l’opsine, correspondant à une exposition faible en permanence, entraîne une dégénérescence irréversible. Le phénomène est d’autant plus intéressant que les souris Rpe65−/− sont aussi un modèle pour la carence en vitamine A dans laquelle les bâtonnets, privés de rétinal mais contenant de l’opsine, subissent aussi une dégénérescence.

C’est la première fois qu’un tel mécanisme physiopathologique est démontré en pathologie humaine : en l’absence de mutation, un trouble fonctionnel d’un récepteur couplé à une protéine G est capable de produire des lésions. Il sera intéressant de rechercher si d’autres récepteurs couplés à des protéines G peuvent également être à l’origine de maladies humaines.

References
1.
Kaplan J, Rozet J, Gerber S, et al. Des gènes pour les dystrophies rétiniennes des enfants. Med Sci (Paris)1995; 11 : 325–35.
2.
Cremers FPM, van den Hurk JAJM, den Hollander AI. Molecular genetics of Leber congenital amaurosis. Hum Mol Genet 2002; 11 : 1169–76.
3.
Perrault I, Rozet JM, Calvas P, et al. Retinal specific guanylate cyclan gene mutations in Leber’s congenital amaurosis. Nat Genet 1996; 14 : 461–4.
4.
Hamel C, Marlhens F. Des mutations de gènes contrôlant le métabolisme des rétinoïdes 11-cis responsables de dystrophies rétiniennes sévères. Med Sci (Paris) 1998; 14 : 754–7.
5.
Wooruff ML, Wang Z, Chung HY, et al. Spontaneous activity of opsin apoprotein is a cause of Leber congenital amaurosis. Nat Genet 2003; 35 : 158–64.
6.
Agurirre GD, Baldwin V, Pearcez-Kelling S, et al. Congenital stationary night blindness in the dog : common mutation in the RPE65 gene indicates founder effect. Mol Vision 1998; 4 : 23.
7.
Remé CE, Wenzel A. The dangers of seeing light in the dark. Nat Genet 2003; 35 : 115–6.