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Published online 2004 January 15. doi: 10.1051/medsci/200420145.

Le système endocannabinoïde central

Laurent Venance,1* Raphael Maldonado,2 and Olivier Manzoni3

1Laboratoire de neurobiologie pharmacologique, Inserm U.114, Collège de France, 11, place Marcelin-Berthelot, 75005 Paris, France
2Laboratoire de neuropharmacologie, Université Pompeu Fabra, C/Dr Aiguader 80, 08003 Barcelone, Espagne
3Équipe Avenir «Plasticité synaptique: maturation et addiction», Inserm U.378, Institut Magendie des neurosciences, rue Camille Saint-Saens, 33077 Bordeaux France
Corresponding author.
 

Au milieu du XIXe siècle, les chimistes recherchant le principe actif de la plante Cannabis sativa explorèrent, par analogie avec d’autres phytocomposés psychoactifs identifiés (morphine et cocaïne), la piste d’un alcaloïde. Celle-ci égara les recherches pendant plus de 100 ans, puisqu’il faut attendre 1964 et les travaux du groupe de Raphael Mechoulam pour obtenir la purification et l’identification du principe actif du cannabis : le Δ9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC), qui s’avéra finalement être un terpénoïde (Figure 1). La chimie des cannabinoïdes (CB) connut un fulgurant essor tandis que, paradoxalement, leurs mécanismes d’actions moléculaires demeuraient flous. En effet, le Δ9-THC était supposé appartenir au groupe des lipides bioactifs, et donc avoir des mécanismes d’action comparables à ceux des anesthésiques et solvants, c’est-à-dire indépendants d’une liaison à un récepteur. Or, la stéréospécificité de l’action du Δ9(-)-THC fut mise en évidence, favorisant l’hypothèse de l’existence d’un récepteur pouvant lier ces molécules psychoactives. En 1990, le premier récepteur des CB (CB1) fut cloné dans le système nerveux central (SNC) [ 1], ouvrant la voie à la recherche d’un système endocannabinoïde (endoCB). En effet, s’il existait un récepteur d’un composé exogène d’origine végétale (Δ9-THC), une ou des molécules endogènes agonistes de ce récepteur existaient probablement (de manière similaire au trio opiacés/peptides opioïdes endogènes/récepteurs opioïdes).

Là encore, de nombreuses pistes infructueuses furent explorées : aucun des neurotransmetteurs, hormones ou diverses substances biologiquement actives ne se lièrent au récepteur CB1. La nature chimique de l’agoniste endogène constitua, encore une fois, le principal frein à son identification : il s’agissait d’un acide gras ; or, une telle molécule n’était pas le meilleur candidat pour être agoniste d’un récepteur. De plus, sa purification constituait un tour de force technique, qui fut également réalisé par le groupe de R. Mechoulam [2]. Cet endocannabinoïde (endoCB), l’arachidonoyléthanolamide, fut dénommé anandamide (AEA), fusion des mots ananda, signifiant bonheur suprême en sanskrit, et d’« amide », du fait de sa structure chimique. Rapidement, un second récepteur des CB (CB2) fut cloné à partir de rate de rat [ 3, 9], puis d’autres molécules endogènes pouvant se lier aux récepteurs CB furent identifiées. La mise en évidence d’un véritable système endoCB était en cours.

Le système endocannabinoïde

Il est composé de récepteurs, d’endoCB et des systèmes de synthèse, transport et dégradation de ceux-ci [ 4].

Un endoCB est une molécule endogène capable de se lier à un récepteur cannabinoïde (identifié grâce à des CB exogènes synthétiques) et d’activer les voies de transduction du signal auxquelles est couplé le récepteur. Cinq ont été identifiés : trois anandamides, le 2-arachidonoyl glycérol (2-AG) et le 2-AG éther (Figure 1). Les études, qui ont principalement porté sur le « vrai » anandamide (AEA) et le 2-AG, montrent qu’ils possèdent toutes les caractéristiques des neurotransmetteurs « classiques », à une exception près, leur mode de stockage et de libération : en effet, les neurotransmetteurs « classiques » sont synthétisés dans le cytoplasme des neurones, puis stockés dans des vésicules synaptiques à partir desquelles ils sont libérés par exocytose dans la fente synaptique. Les endoCB sont synthétisés (dans les neurones et les astrocytes) « à la demande », après stimulation de différents récepteurs conduisant à l’hydrolyse de précurseurs lipidiques membranaires. De par leur nature lipidique, ils ne sont donc pas stockés dans des vésicules synaptiques, et diffusent librement après leur production [ 8].

Les récepteurs cannabinoïdes appartiennent à la famille des récepteurs à 7 domaines transmembranaires, groupe 1 de la famille A, et sont couplés à des protéines G. Le récepteur CB2 présente 44 % d’homologie avec le CB1. Si le profil d’expression du CB1 est extrêmement large (système nerveux central, tissus périphériques), celui du CB2 semble restreint aux cellules du système immunitaire. CB1 est ainsi plutôt impliqué dans les effets psychotropes des CB, alors que CB2 l’est dans leurs effets immunomodulateurs. Le CB1 est l’un des récepteurs dont le taux d’expression est le plus élevé dans le SNC, mais quasiment absent du tronc cérébral, en accord avec l’absence de toxicité aiguë et de doses létales des dérivés du cannabis. Plusieurs études ont montré, pharmacologiquement [ 10] ou grâce à des lignées de souris CB1−/− [ 11, 12], qu’il devait exister au moins un autre récepteur CB.

Le métabolisme des endocannabinoïdes a surtout été étudié pour l’AEA et le 2-AG [8, 13]. On peut noter que ce système endoCB semble être très ancien d’un point de vue phylogénétique, puisqu’il est présent des invertébrés jusqu’aux vertébrés, à l’exception notable des insectes.

Endocannabinoïdes et voies de signalisation intracellulaire

Les endoCB agissent principalement sur trois voies de signalisation intracellulaire : la modulation de l’adénylate cyclase, la modulation de la perméabilité de certains canaux ioniques et l’activation de la voie des protéine kinases activées par des agents mitogènes (MAP kinases) [ 14, 15] (Figure 2).

Les études ont montré que l’AEA active le récepteur VR1, alors que le 2-AG est incapable de s’y fixer [12]. Ce constat est capital pour l’orientation des recherches futures, puisque qu’il indique une quasi-dichotomie au sein des endoCB : le 2-AG serait le « véritable » endoCB, tandis que l’AEA serait un trans endoCB pouvant activer les CB1-2, mais aussi d’autres récepteurs.

Fonctions des endocannabinoïdes dans la neurotransmission : des messagers à contre-courant

Les effets psychotropes des dérivés du cannabis sont dus à l’action de leurs principes actifs appelés phytoCB (dont le Δ9-THC), qui prennent la place des endoCB sur les récepteurs CB1 centraux [14]. Les zones de forte expression des récepteurs CB1 sont les ganglions de la base, le cervelet (effets réversibles sur les performances psychomotrices et la coordination motrice), l’hippocampe (effets réversibles sur la mémoire à court terme et les fonctions cognitives) et le cortex, surtout au niveau des fibres et des terminaisons présynaptiques, plus faiblement dans les dendrites et les soma des neurones principaux. L’activation des CB1 par les endoCB inhibe différents canaux calciques et module certains canaux potassiques présents à la fois sur les corps cellulaires et les prolongements axonaux [14]. Cela entraîne une réduction de la libération de neurotransmetteurs, de la durée du potentiel d’action et de la fréquence de décharge neuronale, à l’origine d’une mise sous silence transitoire (d’où l’absence d’effets neurotoxiques) des neurones exprimant les CB1.

Si l’activation des récepteurs CB1 entraîne une inhibition de l’activité de certains neurones, cela ne signifie pas pour autant que les cannabinoïdes sont « inhibiteurs » des fonctions cérébrales. En raison d’effets de circuits, par exemple d’un effet de « désinhibition » par lequel les endoCB peuvent activer un circuit en inhibant des voies inhibitrices, les cannabinoïdes ont également la capacité, in fine, de provoquer l’excitation de populations neuronales ou de noyaux cérébraux [ 23].

Les endoCB sont capables, du fait de leur mode de production « à la demande » et de leurs propriétés chimiques particulières, d’intervenir « à contre-courant » de la transmission synaptique pour moduler de manière transitoire ou durable la libération de neurotransmetteurs [ 24, 25]. Dès 1991, l’équipe d’Alain Marty avait observé que la dépolarisation des cellules de Purkinje dans le cervelet entraînait une diminution, durant plusieurs dizaines de secondes, des événements postsynaptiques spontanés inhibiteurs GABAergiques (sIPSC) [ 26]. Ce nouveau phénomène, appelé DSI (depolarization induced suppression of inhibition), ne semblait pas d’origine postsynaptique (l’amplitude des sIPSC n’étant pas altérée lors du phénomène), mais présynaptique (la fréquence des sIPSC étant diminuée). Une DSI a également été rapportée au niveau des synapses GABAergiques de l’aire CA1 de l’hippocampe [ 27]. Le messager rétrograde à l’origine de ce curieux mode de régulation de la présynapse par l’activité postsynaptique est resté inconnu jusqu’aux récents travaux de R.I. Wilson et R.A. Nicoll [24] : dans l’hippocampe, l’inhibition des récepteurs CB1 bloque la DSI, tandis que les CB synthétiques entraînent l’occlusion de la DSI. Parallèlement, le rôle central des endoCB a également été révélé dans la DSE (depolarization induced suppression of excitation) du cervelet où la signalisation rétrograde endoCB module des synapses excitatrices glutamatergiques [25]. Ainsi, les endoCB sont des messagers rétrogrades qui, en réponse à une dépolarisation postsynaptique, réduisent pendant quelques dizaines de secondes la libération de neurotransmetteur, à contre-courant de la transmission synaptique inhibitrice ou excitatrice. L’étude pharmacologique des mécanismes de la DSI et de la DSE a révélé que, au niveau postsynaptique, la production d’endoCB implique de manière parallèle les récepteurs métabotropiques du glutamate (mGlu) et les canaux calciques [25] (Figure 3).

L’efficacité des connexions synaptiques peut également, de manière durable (plusieurs heures in vitro, plusieurs jours in vivo), être modulée par leur propre activité. Ces formes élémentaires d’apprentissage sont regroupées sous le terme de plasticité synaptique à long terme. Fonctionnellement, la stimulation répétitive à haute fréquence (autour de 100 Hz) induit une potentialisation durable de la transmission synaptique (à intensité de stimulation présynaptique égale, la réponse postsynaptique est plus grande), nommée potentialisation à long terme. D’autres modes de stimulation (à basse fréquence) induisent au contraire une dépression à long terme (DLT) pouvant durer plusieurs heures in vitro. Ces deux formes archétypiques ont été observées au niveau de très nombreuses synapses excitatrices du SNC. Or, les endoCB pourraient moduler la plasticité synaptique à long terme, comme cela a été montré au niveau du noyau accumbens, structure centrale de la voie corticomésolimbique. Le noyau accumbens reçoit, entre autres, des afférences glutamatergiques du cortex préfrontal. La stimulation de ces fibres excitatrices, à une fréquence correspondant aux rythmes de décharge, mesurés in vivo, des neurones du cortex prélimbique (13 Hz, 10 minutes), entraîne une DLT importante de l’efficacité de la transmission excitatrice corticale afférente au noyau accumbens. Les récepteurs CB1 étant présents sur les terminaisons en provenance du cortex prélimbique [ 28], et compte tenu du rôle de la voie de signalisation rétrograde endoCB dans la DSI et la DSE, il est possible que les endoCB contrôlent la plasticité synaptique à long terme. Corroborant cette hypothèse, cette DLT est absente chez des souris CB1−/−, et bloquée par un antagoniste CB1 chez des souris sauvages [29, 30]. Des résultats similaires ont été obtenus au niveau des synapses corticostriatales [ 31].

Les endoCB sont des messagers rétrogrades qui diffusent au-delà des synapses glutamatergiques à l’origine de leur production pour agir sur les synapses environnantes. Ainsi, la stimulation à haute fréquence de l’amygdale basolatérale entraîne une DLT des synapses GABAergiques voisines [ 32], qui pourrait être associée à l’extinction des mémoires d’aversion. Les endoCB interviendraient donc dans la plasticité synaptique « en volume », c’est-à-dire en réglant l’efficacité synaptique de terminaisons neuronales voisines des synapses, lieux de leur production. Les endoCB représentent donc une nouvelle classe de messagers diffusibles impliqués dans les régulations à court et à long terme de la transmission synaptique [24, 25, 30].

Effets comportementaux des endocannabinoïdes

Les endoCB produisent des effets somatiques similaires à ceux induits par les phytoCB [ 33]. Ces effets incluent chez le rongeur des réponses bien définies : antinociception, hypothermie, hypolocomotion et catalepsie. Les doses faibles produisent chez l’animal des réponses comportementales qui sont un mélange des effets stimulateurs et dépresseurs des CB sur le SNC. Cependant, à doses élevées, les effets des CB sont toujours de type dépresseur [ 34].

Effets moteurs
Des doses élevées de CB induisent chez la souris un comportement pop corn : les souris restent dans un état de sédation apparente, mais bondissent (hyperréflexie) lors de stimulus tactiles ou auditifs. Chez le rat, des doses élevées de CB induisent un comportement de rotation autour du corps [3335]. Dans le striatum, les endoCB jouent un rôle inhibiteur sur le contrôle de la motricité qui s’opposerait aux effets facilitateurs de la dopamine. Par ailleurs, le cervelet participe lui aussi à certaines actions motrices des CB, comme l’ataxie et la perte de coordination.
Effets antinociceptifs
Les CB ont des effets antinociceptifs dans différents modèles animaux, et l’antagoniste CB1 SR141716A induit des effets hyperalgiques qui suggèrent l’existence d’un tonus endoCB analgésique [ 36]. Les endoCB modulent la nociception par des mécanismes supraspinaux, spinaux et périphériques. La micro-injection centrale de CB a permis d’identifier différentes régions responsables de ces réponses, telles que la substance grise périaqueducale ou la partie rostroventromédiane du bulbe rachidien. Une partie des effets antinociceptifs centraux semble due à la modulation de l’activité du système inhibiteur descendant. Au niveau spinal, les CB sont efficaces pour inhiber la transmission des fibres nociceptives de petit diamètre, et ils diminueraient la libération de neurotransmetteurs tels que la substance P ou le calcitonin gene-related peptide, responsables de la transmission de la douleur [36]. De plus, les récepteurs vanilloïdes participeraient à ces réponses antinociceptives [ 37]. Enfin, au niveau périphérique, les récepteurs CB1 et CB2 jouent un rôle synergique d’inhibition des stimulus nociceptifs [ 38] : une libération d’AEA et de palmityl éthanolamine a ainsi été démontrée dans des modèles de douleurs d’origine inflammatoire.
Effets sur la mémoire
Les CB, via les CB1, diminuent l’acquisition des apprentissages et la mémoire de travail, mais n’ont pas d’effet sur la mémoire de référence. L´hippocampe serait la principale structure responsable des effets des CB sur la mémoire : ainsi, les CB diminuent la potentialisation et la dépression à long terme observées dans les neurones de l’hippocampe [ 39]. Les endoCB sont libérés par la stimulation des neurones hippocampiques, suggérant un rôle tonique important dans leur contrôle physiologique de la mémoire [ 40]. En accord avec ces résultats, les souris CB1−/− semblent se comporter mieux que leurs congénères sauvages dans un test de mémorisation hippocampique [ 41].
Autres réponses comportementales
Les CB augmentent le sommeil par l’intermédiaire d’un lipide, l’oléamide (augmentation des phases lente et paradoxale REM, rapid eye movements), avec pour corollaire une diminution du temps d’éveil [ 42]. De plus, l’antagoniste CB1 SR141716A augmente l’état d’éveil, suggérant un rôle physiologique du système endoCB dans le contrôle des états de sommeil et de vigilance.

Les effets des CB sur l’anxiété sont biphasiques. Des effets anxiogènes ont été observés après l’administration de doses élevées de différents agonistes CB [ 43], tandis que des doses faibles induisent des effets anxiolytiques [ 44]. Par ailleurs, l’antagoniste CB1 SR141716A induit des effets anxiogènes, ce qui suggère que le blocage du tonus endoCB augmente l’anxiété. Des effets opposés des CB ont également été décrits concernant l’agressivité : l’administration chronique de doses élevées du principe actif des cannabinoïdes, le THC, induit une augmentation de l’agressivité chez le rat ; en revanche, des doses faibles de THC, plus proches des doses éventuellement consommées par l’homme via le cannabis, induisent une diminution de l’agressivité [ 45].

Enfin, un lipide de la même famille que les endoCB, l’oléyléthanolamide, est impliqué dans le contrôle physiologique de la prise alimentaire [ 46].

Potentiel thérapeutique du cannabis ou de ses dérivés : un remède vieux comme le monde

Les premières traces d’un usage médicinal des dérivés du cannabis sont retrouvées dans des textes chinois et égyptiens datés de plusieurs centaines d’années avant J.-C. Les phytoCB sont utilisés depuis des millénaires pour traiter la douleur, les spasmes, les nausées, l’insomnie ou le manque d’appétit.

Traitement de la douleur

Les phytoCB et les endoCB se sont révélés très efficaces (parfois plus que les opiacés) dans des modèles animaux de douleurs aiguës, inflammatoires, neuropathiques et d’hyperalgie [36, 47], et le pouvoir anti-nociceptif des agonistes CB1 a également été observé chez l’homme [ 48]. Le fait que les endoCB agissent, dans certains cas, de manière indépendante des récepteurs classiques des CB au niveau central permet d’envisager le développement de molécules thérapeutiques sans effets psychotropes. Par ailleurs, puisque les récepteurs CB1 et CB2 semblent tous deux impliqués dans l’effet antinociceptif au niveau périphérique, il existe une possibilité de développer des agents thérapeutiques spécifiques des CB2, efficaces sur la douleur mais dépourvus d’effets psychotropes.

Traitement de glaucomes
Les dérivés du cannabis sont depuis longtemps utilisés pour traiter les glaucomes, l’activation des récepteurs CB1 causant une vasodilatation et une réduction de la pression intra-oculaire [ 49]. Il est probable que la découverte récente de récepteurs CB1 et du système endoCB dans l’œil permette le développement de préparations à application locale, permettant ainsi d’éviter les effets psychoactifs des CB1 [49].
Traitement de désordres du comportement alimentaire
Les phytoCB et les endoCB stimulent l’appétit, tandis que les antagonistes CB1 sont anorexigènes et entraînent une perte de poids chez les souris obèses [ 50]. De plus, le 2-AG présent dans le lait maternel stimule la tétée, le blocage des récepteurs CB1 chez les souriceaux nouveau-nés entraînant un arrêt de la prise de lait et la mort des animaux [4]. Ces propriétés laissent présager du potentiel thérapeutique des agents pharmacologiques CB et endoCB dans le traitement de désordres aussi importants que l’obésité ou l’anorexie.

Par ailleurs, les caractéristiques anti-émétiques bien connues des CB s’ajoutent à leurs effets orexigènes et expliquent les résultats encourageants obtenus avec des agonistes CB1 utilisés dans le traitement des effets secondaires particulièrement dévastateurs des chimiothérapies anticancéreuses et des pertes de poids accompagnant l’infection par le VIH [4, 50].

Traitement de désordres moteurs
Au niveau des ganglions de la base, la stimulation des récepteurs CB1 diminuerait les symptômes d’hyperactivité dopaminergique liés à de nombreuses maladies neuropsychiatriques. Ainsi, les CB présenteraient un intérêt thérapeutique dans le traitement des tics accompagnant le syndrome de Gilles de la Tourette, dans la réduction des dyskinésies induites par le traitement lévodopa des parkinsoniens et dans certaines formes de tremblements et de dystonies [ 51, 52]. Notons enfin les résultats significatifs obtenus dans le traitement des tremblements et des spasmes chez les malades atteints de sclérose en plaques, ainsi que dans un modèle animal auto-immun de sclérose en plaques [ 53].
Traitement d’ischémies cérébrales
Il n’existe pas de traitement approprié aux accidents cérébraux d’origine traumatique ou ischémique. Une stratégie proposée consisterait à contrer le principal mécanisme secondaire, l’excitotoxicité glutamatergique, en agissant sur les voies neuroprotectrices et réparatrices endogènes. La capacité des endoCB à réduire la libération de glutamate jouerait un rôle important dans le fort pouvoir neuroprotecteur des phytoCB et des endoCB observé dans des modèles animaux [51, 54].
Traitement de gliomes
C’est là une des potentialités thérapeutique les plus prometteuses des CB, puisque les gliomes sont jusqu’à présent des maladies au pronostic très réservé. Les CB participent au contrôle du devenir cellulaire, survie ou mort, via l’induction de la synthèse de céramide. On sait que des concentrations élevées et soutenues de céramide induisent une apoptose cellulaire, alors que des concentrations élevées mais brèves favorisent au contraire la régulation de fonctions métaboliques. Or, dans plusieurs types de gliomes, l’activation des récepteurs CB conduit à des concentrations chroniquement élevées de céramide et donc à l’apoptose de ces cellules tumorales. Cet effet est propre aux gliomes, l’activation même soutenue des récepteurs CB astrocytaires ou neuronaux entraînant des élévations aiguës (et non chroniques) de céramide, n’ayant ainsi aucun effet apoptotique sur ces cellules [21, 22].
Conclusions

L’étude du système endocannabinoïde est fascinante par son intérêt propre, qui dépasse très largement les effets des cannabinoïdes exogènes, mais aussi par l’histoire de son étude. Celle-ci a en effet été jalonnée de rebondissements, qui ont souvent pris en défaut la logique scientifique, mais qui ont abouti à la mise en évidence d’un système endocannabinoïde extrêmement complexe. Les progrès récents réalisés dans la compréhension des effets cellulaires et moléculaires des endocannabinoïdes, ainsi que dans le développement d’agents pharmacologiques sélectifs de leurs différentes voies de synthèse et de dégradation, suggèrent que ces molécules agissent de manière extrêmement fine sur de multiples voies de transduction du signal et de l’information. Le système endocannabinoïde apparaît dès lors comme un formidable terrain de recherche pour le développement de nouvelles thérapeutiques.

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