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Med Sci (Paris). 2002 December; 18(12): 1257–1265.
Published online 2002 December 15. doi: 10.1051/medsci/200218121257.

Les statines en thérapeutique cardiovasculaire

Gilles Nalbone,* Denis Bernot, Franck Peiretti, Marie-Christine Alessi, and Irène Juhan-Vague

Inserm EPI 99-36, Faculté de Médecine, 27, boulevard Jean Moulin, 13385 Marseille Cedex 5, France
 

L’athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique, lentement évolutive, qui affecte la morphologie et la fonction des artères au niveau de zones bien précises, en particulier les bifurcations où l’écoulement sanguin est irrégulier. C’est une pathologie résultant d’étiologies multiples qui font intervenir des facteurs environnementaux, des anomalies plasmatiques et génétiques, ainsi que des dysfonctionnements cellulaires. Ainsi, une succession d’événements conduit à la formation du thrombus au niveau de la paroi, prélude à l’obstruction du vaisseau: infiltration puis oxydation des LDL (low density lipoproteins), pénétration des cellules immunitaires, production de médiateurs pathogènes (cytokines inflammatoires, radicaux libres oxygénés, chimiokines chimio-attractrices…), différenciation des monocytes en macrophages spumeux suivie de leur apoptose et donc de l’augmentation du cœur lipidique pariétal, dysfonctionnement endothélial, protéolyse péricellulaire favorisant la rupture de plaque… Ainsi, nombreuses sont les stratégies thérapeutiques qui, pour réduire l’incidence des pathologies isché-miques, ont pour objectif d’abaisser le taux de cholestérol associé aux LDL circulantes.

Dans un travail rassemblant les études d’intervention pharmacologique et nutritionnelle réalisées entre 1966 et 1996, Bucher et al. [1] concluent que les statines apportent une protection supérieure, en termes de décès d’origine cardiovasculaire ou autre, à celle des autres traitements hypolipémiants (fibrates, résines, acides gras n-3…). Les études cliniques de prévention secondaire (4S, CARE, LIPID) ou primaire (Woscops, AFCAPS/TexCAPS) des maladies cardiovasculaires rapportent des diminutions de la cholestérolémie totale de 25 % à 35 % après traitement par les statines, et l’on peut effectivement attendre d’un traitement hypolipémiant qu’il apporte à long terme un bénéfice lié à la diminution de l’infiltration pariétale de LDL potentiellement athérogènes. Cependant, des analyses par sousgroupes d’individus ont progressivement conduit cliniciens et biologistes à envisager que la baisse du cholestérol circulant observée lors d’un traitement par les statines n’était pas la seule responsable de la protection cardiovasculaire. D’ailleurs, le contexte inflammatoire dans lequel agissent les statines, la rapidité de leurs effets et leur mécanisme d’action intracellulaire confortent l’idée que ces molécules corrigent le dysfonctionnement vasculaire indépendamment de la baisse du cholestérol circulant.

Les effets secondaires indésirables des statines (douleurs musculaires, rhabdomyolyse) sont connus. En revanche, les décès associés à la prise de cérivastatine rapportés durant l’été 2001 semblent liés à des surdosages et à son association avec les fibrates. Toutefois, il n’est pas exclu que ces effets aient été aggravés par une toxicité propre à la molécule elle-même, ce qui a justifié son retrait du marché: en effet, de telles complications n’avaient encore jamais été décrites depuis que les statines sont prescrites. L’objectif ici n’est pas de débattre de ce sujet, car on ne dispose pas de tous les éléments d’appréciation nécessaires.

Statines : origine et mode d’action

Le premier des composés étudiés au début des années 1980 a été la mévastatine, isolée du champignon Penicillium citrinum. La simvastatine et la lovastatine sont également d’origine fongique (Aspergillus terreus), tandis que la pravastatine est obtenue après modification chimique de la bactérie Nocardia autotrophica. La fluvastatine et l’atorvastatine sont quant à elles synthétiques.

Les statines, du fait de leur analogie structurale avec l’HMG-CoA, inhibent de façon compétitive et réversible sa transformation en mévalonate par l’HMG-CoA réductase. Il s’ensuit une baisse de la concentration de tous les métabolites situés en aval du mévalonate, dont le cholestérol. Dans le foie, la diminution de la concentration intracellulaire en cholestérol entraîne une augmentation de l’expression des récepteurs hépatiques des LDL, ce qui conduit à un accroissement de l’épuration plasmatique des LDL circulantes. Ce phénomène, associé à une diminution de la production des VLDL (very low density lipoproteins) hépatiques et à une augmentation des HDL (high density lipoproteins) anti-athérogènes [2], améliore ainsi sensiblement le profil lipoprotéique. Les statines, en agissant très en amont dans la chaîne de synthèse du cholestérol, inhibent de ce fait la production de nombreux métabolites issus du mévalonate (Figure 1), et plus particulièrement des isoprénoïdes, farnésylpyrophosphate (FPP) et géranylgéranylpyrophosphate (GGPP). Ces composés interviennent dans la modification post-traductionnelle de différentes protéines de signalisation qui lient et hydrolysent le GTP. Ces protéines, qui ne possèdent pas de domaine transmembranaire, ont besoin d’acquérir un ancrage hydrophobe apporté par ces isoprénoïdes, qui se fixent de façon covalente à une cystéine située dans la région C-terminale appartenant au motif CAAX des petites protéines G de type Ras ou Rho/Rac. La formation de cette liaison est catalysée par des prényltransférases, spécifiques du FPP (farnésyl transférase) ou du GGPP (géranylgéranyl transférase type I). La spécificité est dictée par la nature de l’acide aminé X: si celui-ci est la méthionine, la sérine, l’alanine ou la glutamine, ce sera le FFP; si X est une leucine, ce sera le GGPP. Ainsi, les protéines Rho/Rac, qui contiennent le motif CAAX se terminant par X = leucine, seront prénylées par la géranylgéranyl transférase I.

Si l’on prend l’exemple des protéines Ras, substrat des farnésyl transférases (Figure 2), la présence du résidu farnésyl accroît l’hydrophobicité de la protéine Ras et permet son ancrage à la membrane du réticulum endoplasmique. Une protéolyse spécifique destinée à ôter les acides aminés AAX ainsi qu’une étape de carboxyméthy-lation de la cystéine par une méthyl transférase spécifique des cystéines prénylées permettent de renforcer l’hydrophobicité de la protéine Ras prénylée et de stabiliser son accrochage à la membrane. Cette séquence de modifications post-traductionnelles est essentielle dans l’adressage des petites protéines G à la membrane plasmique et participe de façon décisive à la régulation de leur activité de signalisation. Ainsi, l’inhibition de la synthèse des isoprénoïdes par les statines diminue le niveau de prénylation des protéines G et, par voie de conséquence, la quantité de ces protéines ancrées à la membrane, et donc actives. Soulignons que la sous-unité ydes protéines G hétérotrimériques est également prénylée par le GGPP, ce qui affecte notamment l’activité des sous-unités effectrices αi et αs.

On imagine aisément que le spectre d’action des statines est large, puisque les protéines G, placées en amont des voies de signalisation, participent à la régu-ation de l’expression de nombreux gènes et fonctions cellulaires.

Statines et tonus vasculaire

Le dysfonctionnement endothélial est l’une des caractéristiques majeures de la pathologie athéroscléreuse. Elle se manifeste en particulier par une perte de la vasoreaxation, que l’on peut évaluer par la réponse à l’acétylcholine du débit sanguin au niveau de l’avant-bras (plé-thysmographie). Chez les patients présentant une hypercholestérolémie sévère, les statines améliorent les propriétés vasodilatatrices de l’endothélium [3]. Ces améliorations sont rapides, puisqu’elles sont observées après un mois seulement de prise du médicament, et sont dissociées de la baisse du taux de cholestérol circulant [4].

Pour tenter d’expliquer ces effets, les chercheurs se sont logiquement intéressés à la modulation de la production du monoxyde d’azote (NO), médiateur clé du tonus vasculaire. La production de NO est neutralisée par les LDL oxydées qui inhibent la transcription du gène de la NO synthase endothéliale. Dans les cellules endothéliales en culture, l’inhibition de la NO synthase par les LDL oxydées est levée par l’atorvastatine, qui restaure des niveaux normaux d’ARNm de la protéine en les stabilisant [5]. L’effet de la statine est bien lié à l’inhibition de l’HMG-CoA réductase, puisque l’ajout de mévalonate, en rétablissant la voie de synthèse des isoprénoïdes, annule cet effet. Ces résultats concordent avec ceux obtenus in vivo, où la biodisponibilité du NO, abaissée chez les sujets hypercholestérolémiques, est rétablie par un traitement à base de satines [3]. Un mécanisme complémentaire d’action des statines contribuerait à augmenter la biodisponibilité du NO, via une inhibition de la production de l’anion superoxyde produit par la NAD(P)H oxydase. Les statines, en empêchant l’induction de cette enzyme par les LDL oxydées, réduiraient la production d’anion superoxyde et de ce fait l’inactivation de NO [6].

Les statines diminuent la vasoconstriction en réduisant la production d’endothéline par l’intermédiaire d’une baisse significative des niveaux de l’ARNm du précurseur de l’endothéline (pré-proendothéline) [7]. Le mécanisme implique l’inhibition de l’activité de la protéine Rho par défaut de prénylation, puisque l’ajout de GGPP annule l’effet de la statine.

Statines et contexte inflammatoire

On sait que les médiateurs de l’inflammation jouent un rôle primordial dans le développement de l’athérosclérose [8]. La protéine C réactive (CRP) a longtemps été considérée comme un marqueur de l’état inflammatoire accompagnant l’athérosclérose. On semble lui accorder aujourd’hui un rôle plus direct dans cette pathologie, à travers ses effets proinflammatoires: stimulation de la synthèse du facteur tissulaire (FT) et du facteur chimio-attracteur des monocytes, MCP-1. Les travaux de Ridker et al. ont montré que le contexte inflammatoire que révèle la CRP, en particulier, serait une composante déterminante de l’efficacité des statines. Dans une étude princeps [9], ces auteurs ont en effet évalué l’impact d’un traitement par la pravastatine sur le risque de récidive d’infarctus chez des sujets préalablement classés en quintiles croissants de concentration sérique en CRP. Il a été constaté que la statine exerçait son effet protecteur le plus prononcé, en termes de récidive, dans le quintile où le taux de CRP était le plus élevé. Cette action semblait indépendante de la cholestérolémie, puisque celle-ci était, au début de l’étude, comparable chez les sujets présentant ou non des signes d’inflammation. De même, chez des sujets coronariens présentant des risques élevés d’infarctus du myocarde, le traitement par la statine s’est avéré plus protecteur, en termes de survie, chez les patients ayant le taux de CRP le plus élevé [10]. Cet effet protecteur est concordant avec le fait que les statines réduisent les niveaux de CRP circulante [11].

Statines et potentiel fibrinolytique endothélial

Les statines moduleraient également certaines propriétés hémostatiques de l’endothélium. La diminution de la thrombomoduline, marqueur de la souffrance endothéliale, observée chez les transplantés cardiaques traités par la fluvastatine en est ainsi le reflet [12]. Le PAI-1, inhibiteur des activateurs du plasminogène (t-PA et u-PA) de type I, ralentit la dégradation du caillot de fibrine par la plasmine. Il est à ce titre considéré comme potentiellement impliqué dans le risque thrombotique, des taux élevés de PAI-1 circulant constituant un facteur de risque d’infarctus du myocarde, en particulier chez les sujets obèses résistants à l’insuline [13]. Le PAI-1 interviendrait également dans le développement de lésions vasculaires, même si la nature de son rôle reste controversée. En effet, le PAI-1, en empêchant la formation de plasmine, a une action négative sur l’activation des métalloprotéases, et peut donc diminuer le risque de rupture de la plaque d’athérosclérose. En revanche, il peut également favoriser les dépôts de fibrine intrapariétaux et contribuer ainsi à maintenir un état inflammatoire, et donc la croissance de la plaque [14].

Les résultats des études cliniques réalisées jusqu’à présent ne permettent pas de conclure à un effet univoque des statines sur le potentiel fibrinolytique plasmatique. Cependant, la mesure du taux circulant du PAI-1 n’est pas le reflet fidèle de celui existant au niveau des zones lésées de la paroi, mais de l’ensemble des territoires dans lesquels il est produit (tissu adipeux, foie, arbre vasculaire). Différents résultats obtenus sur des cultures de cellules endothéliales humaines indiquent que les statines ont tendance à augmenter le potentiel fibri-nolytique de la cellule endothéliale en diminuant la production de PAI-1 et en augmentant celle du t-PA [15, 16]. L’effet inhibiteur sur la synthèse de PAI-1 est de type transcriptionnel et implique probablement la protéine Rho, puisque l’ajout du GGPP empêche cette inhibition. Il est donc possible que les statines concourent à imiter l’accumulation de fibrine au niveau de zones de la paroi (ulcération, apoptose) propices à l’activation de la coagulation.

Statines et potentiel d’adhérence endothélial

L’adhérence des monocytes à l’endothélium, processus de type inflammatoire, est l’une des étapes les plus précoces de l’athérosclérose. En effet, dès que les LDL ont infiltré l’intima et subi une oxydation même minime, elles induisent dans la cellule endothéliale l’expression de molécules d’adhérence (E-sélectine, P-sélectine, VCAM-1 - vascular cell adhésion molécule, ICAM-1 -intercellular adhésion molécule) qui reconnaissent leurs igands monocytaires, les intégrines. Les monocytes infiltrent ensuite la paroi vers les zones de l’intima où siège le foyer inflammatoire lésionnel. Si ce processus est salvateur au début, puisque chargé d’éliminer des composants athérogènes dans la paroi (LDL oxydées en particulier), il devient progressivement pathogène en raison d’un dérèglement du macrophage.

La technique de microscopie intravitale a permis de montrer que, chez le rat hypercholestérolémique, les statines entraînent une baisse de l’adhérence des monocytes à l’endothélium induite par des inhibiteurs de production de NO ou par le PAF (platelet activating factor) [17]. Ce phénomène s’explique bien au niveau du monocyte, puisque les statines y diminuent l’expression de surface des intégrines [18]. De plus, une autre propriété originale des statines, indépendante de la voie du mévalonate, est de reconnaître un domaine extracelulaire de l’intégrine LFA-1 (leukocyte function antigen-l) et d’empêcher ainsi l’adhérence cellulaire. Des modifications ciblées de la molécule de statine rendant saiaison à l’intégrine plus spécifique ont confirmé ses propriétés anti-inflammatoires chez la souris [19].

En revanche, l’effet des statines au niveau de la cellule endothéliale semble plus complexe. L’adhérence des monocytes à la cellule endothéliale stimulée par le TNFα (tumor necrosis factor α ), mesurée in vitro en conditions de flux, est significativement diminuée par l’ator-vastatine. De façon surprenante, on constate une augmentation de l’expression des molécules d’adhérence (ICAM-1, VCAM-1 et E-sélectine) à la surface de la cellule endothéliale[20] , au lieu de la diminution logiquement attendue, telle qu’elle est observée, par exemple, dans le monocyte.

Comment expliquer ce paradoxe? Le regroupement (clustering) des molécules d’adhérence est indispensable à leur fonction d’adhérence, et le rôle clé de Rho dans ce processus a été proposé [21]. Or, l’ajout de GGPP rétablit le potentiel d’adhérence endothélial à un niveau proche de celui induit par le TNFα seul, et la distribution des molécules d’adhérence en surface, observée en microscopie confocale, est modifiée par la statine [20]. Ainsi, l’hypothèse formulée est que la désorganisation des molécules d’adhérence liée à l’inactivation de Rho par la statine entraînerait une moins bonne reconnaissance du monocyte par la cellule endothéliale, et ce indépendamment du niveau d’expression des molécules d’adhérence à la surface cellulaire (Figure 3). La potentialisation de l’expression de surface des molécules d’adhérence par la statine est le résultat d’une augmentation de leur synthèse (ARNm et protéine), dont les mécanismes sont actuellement à l’étude. Ces résultats soulignent la grande complexité d’action des statines puisqu’elles peuvent moduler à la fois l’expression et la fonction de certaines protéines, ici les molécules d’adhérence.

Statines et stabilité de la plaque d’athérosclérose

La stabilité de la plaque dépend plus de sa composition que de sa taille. Une plaque riche en lipides et pauvre en collagène, donc peu fibreuse, présente des risques importants de fissuration, sans pour autant que l’imagerie ait pu détecter un rétrécissement significatif de la lumière du vaisseau. Parmi les facteurs d’instabilité, l’activité des métalloprotéases matricielles (MMP) joue un rôle certain. Ces enzymes sont libérées par les macrophages et participent au remodelage tissulaire en dégradant la matrice extracellulaire. Produites et activées en excès, elles contribuent à fragiliser la paroi, et c’est effectivement dans les zones de rupture potentielle riches en macrophages que cette activité est la plus importante. Les interventions médicamenteuses visant à stabiliser la plaque sont donc d’un intérêt thérapeutique majeur, et il semble que l’on puisse attribuer aux statines de telles propriétés.

Un traitement de 3 mois par la pravastatine entraîne une baisse du contenu en lipides (et de leur oxydation) des plaques carotidiennes humaines, analysées après endartériectomie, une diminution de l’apoptose et de l’activité MMP-2, ainsi qu’une augmentation du contenu en collagène [22]. Grâce aux progrès importants réalisés dans le domaine de l’imagerie (IRM en particulier), des données concernant la structure de la plaque sont désormais accessibles de façon non invasive, et vont certainement permettre dans les prochaines années une meilleure évaluation des risques. Ainsi, l’IRM a permis de montrer que les statines, seules [23] ou en association avec d’autres hypolipémiants [24], font à long terme régresser la plaque et changent sa composition en faveur d’un meilleur pronostic de stabilité. Ces résultats vont dans le sens de ceux obtenus chez le singe [25] et le lapin [26], chez qui les statines ralentissent sensiblement la progression de la plaque, évaluée par la mesure de différents paramètres tels que l’épaisseur intima-média (EIM), le dépôt de collagène ou la quantité de lipides d’origine macrophagique. Dans l’étude chez le singe, l’indépendance de ce phénomène vis-à-vis du taux de cholestérol circulant est soulignée grâce à l’ajustement de protocoles nutritionnels permettant de normaliser les taux de cholestérol entre les groupes traités ou non par la statine. Les auteurs ont constaté que l’EIM, la calcification de la plaque et l’infiltration macrophagique étaient plus faibles dans les groupes traités par la statine, et s’accompagnaient d’une amélioration de la réactivité vasculaire à l’acétylcholine. De même, l’étude CAIUS (carotid atherosclerosis Italian ultrasound study) [27] montre une stabilisation de l’EIM quelle que soit la baisse du cholestérol en réponse à la pravastatine, suggérant une dissociation entre la baisse du cholestérol et l’amélioration des paramètres de stabilité de la plaque.

Deux domaines au moins peuvent être repérés, dans lesquels des modifications cellulaires et fonctionnelles pourraient rendre compte des effets bénéfiques des statines sur la paroi.

Au niveau des monocytes/macrophages, outre le mécanisme d’inhibition de l’adhérence monocytaire à l’endothélium décrit plus haut, s’ajoute le fait que les statines inhibent la synthèse de la MCP-1. Protéine de l’inflammation, la MCP-1 favorise la migration intimale des monocytes. Chez la souris, l’administration de lovastatine ou de simvastatine diminue considérablement sa production [28]. Il s’agit d’une inhibition de type trans-criptionnel, qui est levée par l’ajout de dérivés du mévalonate. Une action inhibitrice des statines sur la migration intimale des monocytes est donc possible.

Dans les macrophages isolés en culture, la synthèse et l’activité de la MMP-9 sont diminuées par la fluvastatine [29]. Il en est de même in vivo chez le lapin athéroscléreux traité par la cérivastatine [30]. Ce phénomène pourrait contribuer à diminuer l’activité protéolytique, d’autant que la production de PAI-1 par le macrophage n’est pas diminuée par la statine [31]. Une action de stabilisation de la plaque par ce mécanisme est donc envisageable.

Chez l’homme, l’association mise en évidence entre la charge infectieuse et le risque cardiovasculaire suggère un rôle de l’infection dans le développement de l’athérosclérose. Les études en cours nous diront si effectivement la charge infectieuse est ou non un facteur prédisposant ou aggravant l’athérosclérose. Dans ce contexte, Kothe et al. montrent que les statines inhibent la réactivité des macrophages humains à l’infection par Chlamydia pneumoniae, ce qui se traduit par une diminution de la production de MCP-1 et d’IL-8 (interleukine-8), tandis que celle du TNFα reste inchangée [32].

Une autre composante du remodelage vasculaire sur laquelle les statines pourraient avoir un effet positif est la diminution des dépôts extravasculaires de fibrine. Dans un modèle d’athérosclérose induite chez le lapin, la cérivastatine réduit l’expression pariétale du facteur tissulaire [30]. Le facteur sur lequel agit la statine est d’origine macrophagique, ce qui est concordant avec les données obtenues dans des macrophages humains isolés, cellules dans lesquelles l’effet inhibiteur de la statine sur le FT serait lié à une diminution de l’activité du facteur de transcription NF-κB [33].

La cérivastatine diminue quant à elle l’expression, induite par les LDL oxydées, de l’u-PA et de son récepteur, ce qui pourrait moduler les propriétés d’adhérence des monocytes à la matrice protéique [34]. L’inhibition de la farnésylation de Ras et de la translocation de NF-κB rendrait compte de ces effets.

L’influence bénéfique des cellules musculaires lisses (CML) sur la stabilité de la plaque est maintenant bien admise, puisqu’en colonisant la chape fibreuse recouvrant la plaque, elles contribuent à la renforcer grâce en particulier au collagène qu’elles sécrètent. L’action des statines sur les CML est relativement complexe, car elle semble dépendre des propriétés lipophiles ou hydrophiles de la molécule. Cet aspect est illustré dans une étude chez le lapin qui montre que la pravastatine (hydrophile) accroît, dans les zones athéromateuses, la quantité de collagène (ARNm et protéine) par rapport aux animaux non traités [35], inhibant l’apoptose des CML, ce qui assure le maintien de cette population. En revanche, la fluvastatine (lipophile) ne modifie pas le contenu en collagène des plaques chez les animaux traités, et ne semble pas non plus empêcher l’apoptose des CML. Cela est confirmé in vitro dans des cultures de CML de rat. Les sta-tines lipophiles (lovastatine, fluvastatine et atorvasta-tine) provoquent l’apoptose, au contraire de la pravasta-tine [36]. Cette action pro-apoptotique implique la géra-nylgéranylation de la petite protéine G RhoB. L’effet anti-prolifératif des statines lipophiles a été décrit in vitro sur des CML stimulées par le PDGF (platelet derived growth factor) [37]. Or, l’action proliférative du PDGF est due à l’inhibition qu’il exerce sur l’activité de l’inhibiteur des Cdk (cyclin dependent kinase) p27kip1, par un mécanisme impliquant l’activité de Rho. En inhibant la prénylation de Rho, et donc sa translocation membranaire, la statine entraînerait sa perte d’activité et lèverait ainsi son pouvoir inhibiteur sur la p27kip1, ce qui conduirait à l’arrêt du cycle. En effet, le GGPP, mais pas le FPP, est capable d’empêcher l’arrêt de la prolifération des CML induit par la sta-tine. Les mécanismes responsables des différences d’effet entre les statines lipophiles et hydrophiles sur la prolifération des CML ne sont pas encore élucidés, ce qui souligne à nouveau la grande complexité d’action des sta-tines au niveau intracellulaire.

Soulignons également les résultats récents montrant que la synthèse de COX-2 et la production de prostacycline sont augmentées dans les CML aortiques humaines en culture sous l’action de la lovastatine [38]. Cette action contribuerait à l’amélioration de la vasoréactivité observée chez les sujets coronariens traités par les statines.

Statines et néo-vascularisation

Le rôle des progéniteurs de cellules endothéliales CD34+ issus de la moelle osseuse semble majeur dans la survie des zones ischémiées du myocarde. En colonisant les zones ischémiées, ils participent à la formation de néovaisseaux, ce qui rendrait compte de leurs effets positifs sur la fonction contractile et l’inhibition de l’apoptose [39]. Or, des travaux récents montrent que, chez des patients coronariens, l’atorvastatine augmente la quantité circulante de progéniteurs CD34+ acquérant une fonctionnalité migratoire [40]. Le processus facilitant la néo-vascularisation a également été décrit chez la souris avec la simvastatine; il implique la modulation de la voie phosphatidylinositol-3 kinase (PI3K)/Akt [41]. Cette voie, d’une part, module l’angiogenèse, via la production de NO par la NO synthase et, d’autre part, inhibe l’apoptose. La PI3K, par le PI3 qu’elle engendre, permet à la kinase dépendante des phospho-inositides (PDK-1) d’activer la protéine Akt. Or, l’activité de la PI3K est contrôlée négativement par un des métabolites en aval du mévalonate. Ainsi, en inhibant la synthèse de ces métabolites, la statine libère l’activité de la PI3K et permet l’activation d’Akt. Cependant, le mécanisme exact par lequel un des métabolites de la voie de synthèse du cholestérol inhibe la PI3K n’est pas encore élucidé. Il est néanmoins tentant de rapprocher ces données de celles obtenues chez la souris, où le prétraitement par la simvastatine avant induction de l’ischémie myocardique améliore sensiblement les paramètres de la fonction contractile du cœur, en comparaison avec les animaux non traités [42].

Conclusions

Ces quelques exemples montrent que le potentiel thérapeutique des statines s’exerce bien au-delà de la simple diminution du cholestérol LDL circulant, puisqu’elles corrigent le dysfonctionnement de la paroi vasculaire athéroscléreuse en agissant sur les régulations fonctionnelles et sécrétoires de ses principaux constituants cellulaires: cellule endothéliale, cellule musculaire lisse et macrophage (Figure 4).

Les statines sont à l’étude dans d’autres maladies comme l’ostéoporose, certains cancers et aussi l’infection par le VIH. Dans ce dernier cas, certaines régions spécifiques de la membrane, riches en cholestérol, les rafts, seraient des zones de reconnaissance et de pénétration privilégiée du VIH. Les statines, en diminuant les teneurs en cholestérol dans ces régions, pourraient de cette manière moduler négativement la fixation du virus et donc l’infection [43].

Alors, sommes nous en présence d’une classe surprenante de molécules, un peu à la manière de l’aspirine du siècle dernier? L’avenir nous le dira.

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