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Med Sci (Paris). 2002 November; 18(11): 1058–1061.
Published online 2002 November 15. doi: 10.1051/medsci/200218111058.

FANCD1 et BRCA2, un seul et même gène?

Dora Papadopoulo and Ethel Moustacchi

Cnrs UMR 218, Institut Curie, Section de Recherche, 26, rue d’Ulm, 75248 Paris Cedex 05, France
 

L’anémie de Fanconi (AF) est une maladie héréditaire autosomique récessive, caractérisée par des anomalies du développement, une pancytopénie sévère et une prédisposition aux leucémies myéloïdes aiguës. Cette maladie rare résulte de mutations bi-alléliques dans l’un des huit gènes FANC (A, B, C, D1, D2, E, F et G) qui reflètent huit groupes de complémentation déterminés par hybridation somatique (pour revue, voir [1]). À l’exception des gènes B et D1, tous ces gènes ont été clonés. La séquence primaire des protéines correspondantes ne révèle aucun domaine fonctionnel connu et ces protéines n’ont pas d’orthologues chez les procaryotes, les eucaryotes unicellulaires ou, à l’exception de FANCD2, chez les non vertébrés. Il a été démontré que les protéines Fanc A, C, E, F et G interagissent pour former un complexe nucléaire ([2] et Figure 1). Des mutations dans l’un des gènes FANC A, B, C, E, F et G empêchent la formation du complexe, dont la présence dans le noyau est nécessaire pour corriger le phénotype AF d’hypersensibilité aux agents pontant l’ADN, tels que la mitomycine C [2, 3]. Les produits des gènes FANCD1 et FANCD2 ne participent pas au complexe. Cependant, la présence du complexe est nécessaire à l’activation de la protéine FancD2 en une isoforme mono-ubiquitinylée FancD2-L qui, dans les cellules normales, s’accumule dans des foyers nucléaires en réponse à des dommages spécifiques de l’ADN [4]. De plus, il a été démontré que FancD2 est phosphorylée par le produit du gène ATM (ataxia telangiectasia mutated) et cette phosphorylation est nécessaire pour le contrôle de la progression de la phase S du cycle cellulaire en présence de dommages induits par les radiations ionisantes (Figure 1) [5].

Le premier rapprochement entre des gènes FANC et les gènes BRCA1 et BRCA2, impliqués dans la prédisposition familiale au cancer du sein et de l’ovaire, a été rapporté l’an dernier par l’équipe d’Alan D’Andrea. Ces auteurs ont montré que FancD2-L et Brca1 sont co-localisées dans les foyers formés au niveau de l’ADN endommagé et que les deux protéines co-immunoprécipitent. La mono-ubiquitinylation de Fanc D2 semble agir comme un signal pour l’accumulation de FancD2-L dans les foyers [4].

L’interaction de FancD2 et Brca1 suggère que ces deux protéines contrôlent une même voie métabolique de gestion de dommages spécifiques, tels que les cassures double brin et les pontages interbrin de l’ADN. En accord avec cette hypothèse, on observe que les cellules embryonnaires de souris défectueuses dans les gènes essentiels BRCA1 ou BRCA2 (la souris n’est pas viable si l’un de ces deux gènes est inactivé) présentent un phénotype similaire à celui des cellules AF, c’est-à-dire qu’elles sont hypersensibles aux agents pontant l’ADN et aux radiations ionisantes et montrent une augmentation importante des anomalies chromosomiques.

Le gène BRCA1 fait partie d’un complexe multiprotéique, BASC (Brca1 associated genome surveillance complex), qui comporte plusieurs protéines de la réparation de l’ADN. Ainsi, on trouve dans ce complexe le produit du gène ATM, impliqué dans la reconnaissance et/ou la signalisation des cassures de l’ADN, des hélicases telles que BLM, WRN, BACH1, des protéines de réparation des mésappariements, Msh2, Msh6, Mlh1 et les produits des gènes RAD50, MRE11, NBS1 participant à la réparation des cassures double brin de l’ADN [6]. Ce complexe participerait à la détection et/ou à la signalisation des structures anormales de l’ADN et coordonnerait le choix du mécanisme de réparation.

Le gène BRCA2 est localisé sur le chromosome 13q12-13 et comporte 27 exons qui codent pour une protéine de 3418 aa (Figure 2). Celle-ci contient, dans sa partie centrale, dans l’exon 11 qui code pour la moitié de la protéine, 8 répétitions d’environ 40 aa, appelées motifs BRC. Six de ces répétitions s’associent à la protéine Rad51, impliquée dans la recombinaison homologue. Brca2 co-localise avec Brca1 dans les foyers nucléaires en présence de dommages de l’ADN et une interaction directe entre les deux protéines a été mise en évidence [7]. Alors que l’inactivation de BRCA2 dans les cellules embryonnaires de souris conduit, comme on l’a mentionné plus haut, à une mort embryonnaire précoce, une délétion de la partie C-terminale de la protéine permet le développement de l’animal [8]. Or, les souris portant cette délétion présentent un phénotype qui rappelle celui de patients AF.

Cet ensemble d’observations a conduit Howlett et al. [9] à rechercher des mutations dans BRCA1 et BRCA2 dans les cellules AF des groupes de complémentation B et D1 dont les gènes ne sont pas encore clonés. Aucune mutation n’a été décelée dans BRCA1, alors que, fait important, des mutations bi-alléliques ont été trouvées dans BRCA2 (Figure 2). Ainsi, dans les cellules AF-D1 (lignée HSC62), les deux allèles de BRCA2 sont mutés; ils présentent une mutation faux-sens dans le site d’épissage précédant l’exon 20, ce qui résulte en une délétion de 4 aa dans la partie C-terminale de la protéine Brca2. Dans l’étude très complète de cellules provenant d’un autre patient du même groupe génétique de complémentation D1 (EUFA423), il a également été mis en évidence des mutations bi-allèliques dans l’exon 15 et dans l’exon 27 de BRCA2, mutations qui engendrent des délétions dans la partie C-terminale de la protéine. Ces dernières mutations ont été précédemment détectées chez des individus hétérozygotes BRCA2+/- prédisposés ou ayant développé un cancer du sein (banque de données BIC, breast cancer information core). L’étude quantitative, par Western blot, de l’expression de Brca2 dans la lignée EUFA423 révèle la présence de protéines tronquées. De plus, l’analyse au niveau protéique des cellules des parents et de la fratrie non affectée de ce patient, indique également la présence d’une protéine tronquée de provenance paternelle (mutation dans l’exon 15) ou maternelle (mutation dans l’exon 27). Il est également montré que la fréquence d’aberrations chromosomiques, élevée après traitement à la mitomycine C des cellules EUFA423, est diminuée par introduction d’un vecteur d’expression portant le cDNA de BRCA2 et revient à un niveau normal après transfert du chromosome 13 humain.

Dans les cellules d’un patient du groupe de complémentation B (lignée HSC230), une mutation tronquante dans l’exon 11, mutation largement rapportée dans la banque de données BIC, est détectée sur l’un des allèles de BRCA2. L’autre allèle porte une mutation dans l’exon 27 qui aboutit à un codon stop. Cette dernière mutation est présente dans environ 1 % des individus normaux de la population des États-Unis ne présentant pas un risque particulier de cancer du sein (BIC).

Des mutations bi-alléliques de BRCA2 ont également été trouvées dans deux lignées dérivées de patients AF non encore assignés à un groupe de complémentation. Dans l’une des lignées, EUFA579, une mutation est observée dans l’exon 11 (TC > AG) pour l’un des allèles et dans l’exon 13 (G > A) pour l’autre allèle. Dans l’autre lignée, AP37P, ce sont les exons 18 et 20 qui portent les transversions G > T et C > A respectivement. Des cas isolés sont rapportés dans la banque de données BIC pour chacune de ces mutations. À l’exception de la lignée EUFA423 (groupe AF-D1) aucun essai de complémentation ou d’analyse de la protéine Brca2 ne sont rapportés. De même, le statut de la protéine Brca2 n’a pas été examiné dans tous les autres groupes de complémentation de l’AF (A, C, E, F, G et D2). Rappelons que pour ces groupes, les gènes FANC ont été clonés et chacun d’eux est le seul à corriger le phénotype AF correspondant [1]. Autrement dit, pour tous les patients appartenant à ces groupes autres que B et D1, soit plus de 95 % de tous les malades AF, le gène BRCA2 ne serait pas impliqué.

Il faut noter que les groupes B et D1 sont très rares. En effet, moins de 5 % de l’ensemble des familles porteuses de gènes FANC ont été assignés à ces groupes, ce qui représente, compte tenu de la fréquence globale de cette maladie (1/300000), une fréquence de porteurs de ces gènes d’environ 1 pour 10 millions. La fréquence des hétérozygotes pour BRCA2 est estimée à environ 0,068 % de la population [10], ce qui prédit une fréquence d’homozygotes BRCA2 d’environ 5 pour 10 millions, plus élevée que celle observée pour les patients AF de groupes B et D1. Les auteurs suggèrent que les altérations de la région 5’ du gène BRCA2 conduiraient, comme chez la souris, à une létalité embryonnaire, les cinq patients AF examinés présentant en effet des mutations bialléliques dans la région 3’ du gène BRCA2.

Sur la base des données présentées dans l’article de Howlett et al. [9], il n’est pas possible de conclure que le patient AF du groupe B résulte de mutations dans le gène BRCA2, car l’une des mutations rapportée correspond à un polymorphisme répertorié.

De même, pour les deux patients AF de groupe non encore déterminé, il n’y a pas de preuve que les mutations faux sens détectées dans BRCA2 altèrent la fonction de cette protéine.

En conclusion, le travail de Howlett et al. a révélé plusieurs points remarquables: (1) fait exceptionnel, des individus viables homozygotes pour BRCA2 ont été identifiés; (2) chez les hétérozygotes BRCA2+/-, les mutations sont réparties sur la totalité de la protéine alors que les mutations bi-alléliques, détectées chez les patients AF, se localisent dans la partie C-terminale de Brca2; (3) pour les deux patients AF-D1, il semble plausible que le gène FANCD1 soit en fait le gène BRCA ; (4) s’il en est ainsi, un même gène contrôlerait, à l’état hétérozygote, la prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire, alors qu’à l’état homozygote, il conduirait à une pathologie sévère, l’AF, prédisposant aux leucémies.

Il est bien établi que la réponse au stress génotoxique requiert le fonctionnement d’un ensemble de protéines. Ce travail montre que les produits des gènes BRCA1, BRCA2/FANCD1 et tous les autres gènes FANC coopèrent au sein d’un même complexe pour assurer l’intégrité du génome lorsque ce dernier est gravement endommagé par des pontages interbrins ou des cassures double brin de l’ADN.

References
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Garcia-Higuera I, Taniguchi T, Ganesan S, et al. Interaction of the Fanconi anemia proteins and BRCA1 in a common pathway. Mol Cell 2001; 7: 249–62.
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Taniguchi T, Garcia-Higuera I, Xu B, et al. Convergence of the Fanconi anemia and ataxia telangiectasia signaling pathways. Cell 2002; 109: 459–72.
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Chen J, Siver DP, Walpita D, et al. Stable interaction between the products of the BRCA1 and BRCA2 tumor suppressor genes in mitotic and meiotic cells. Mol Cell 1998; 2: 3317–28.
8.
McAllister KA, Benett LM, Houle CD, et al. Cancer susceptibility of mice with a homozygous deletion in the COOH-terminal domain of the BRCA2 gene. Cancer Res 2002; 62: 990–4.
9.
Howlett NG, Taniguchi T, Olson S, et al. Biallelic inactivation of BRCA2 in Fanconi anemia. Science 2002; 297: 606–9.
10.
Antoniou AC, Pharoah PD, McMullan G, et al. A comprehensive model for familial breast cancer incorporating BRCA1, BRCA2 and other genes. Br J Cancer 2002; 86: 76–83.