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Med Sci (Paris). 2002 October; 18(10): 1012–1016.
Published online 2002 October 15. doi: 10.1051/medsci/200218101012.

Contrôle de l’assemblage des manteaux protéiques COP par les petites protéines G Arf et Sar

Bruno Antonny*

Cnrs-Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire, 660, route des Lucioles, 06560 Valbonne, France
Corresponding author.
 

Le lieu de synthèse d’une protéine dans une cellule ne correspond pas nécessairement à son lieu d’action. Les protéines membranaires et les protéines sécrétées hors de la cellule sont synthétisées dans le réticulum endoplasmique, au sein duquel une machinerie sophistiquée contrôle le repliement de la protéine en cours de synthèse et sa topologie vis-à-vis de la membrane lipidique. La protéine néo-synthétisée est ensuite transportée de compartiment en compartiment, chacun délimité par une membrane lipidique. Le transport se déroule sans aucun changement d’exposition de la protéine vis-à-vis de la membrane. Ainsi, une protéine synthétisée dans la lumière du réticulum ne sera jamais en regard du cytosol. Ce transport étanche repose en partie sur des processus de fission et de fusion de vésicules [1, 2]. D’un compartiment de départ, une vésicule bourgeonne et se détache pour ensuite fusionner avec un compartiment accepteur et y délivrer son contenu.

Comment déformer une membrane en une vésicule ? C’est le rôle des manteaux protéiques [1, 2], de larges édifices moléculaires, sortes de polymères de surface, qui s’assemblent sur la face cytosolique des membranes intracellulaires. Ils imposent à la membrane une forte courbure et donnent ainsi naissance à un bourgeon d’un diamètre de moins de 100 nm, précurseur d’une vésicule de transport individualisée ou d’intermédiaires de transport encore mal connus tels que les tubules. Il semble que les manteaux concentrent également des protéines destinées à être transportées. Pour des protéines membranaires, cette sélection peut s’effectuer par contact direct avec le manteau. Pour des protéines situées à l’intérieur de la vésicule, la sélection doit faire intervenir des protéines transmembranaires assurant le lien entre le contenant (le manteau) et le contenu.

L’assemblage de la quasi-totalité des manteaux protéiques est contrôlé par un groupe de petites protéines G, aux remarquables propriétés d’interaction avec les membranes : les protéines Arf et Sar. Des protéines G classiques, Arf et Sar ont conservé la propriété essentielle de bascule de leur conformation. Toute protéine G adopte deux conformations, l’une liée au GDP et l’autre liée au GTP, et seule cette dernière est capable d’interagir avec des protéines cibles [3]. Dans le cas d’Arf et de Sar, la transition GDP/GTP contrôle également l’avidité de la protéine pour les membranes lipidiques. Arf-GDP et Sar-GDP sont essentiellement solubles et sans interaction avec les protéines des manteaux. Arf-GTP et Sar-GTP sont au contraire fortement attachées aux membranes lipidiques et servent de point d’ancrage aux manteaux [1, 2]. Le cycle d’assemblage et de désassemblage des manteaux protéiques est donc directement contrôlé par le cycle GDP et GTP des protéines Arf ou Sar. Ce cycle, décrit dans la Figure 1, a été établi au milieu des années 1990 pour deux manteaux : COPI, contrôlé par Arf et assurant le transport rétrograde et antérograde depuis l’appareil de Golgi, et COPII, contrôlé par Sar et assurant le transport depuis le réticulum endoplasmique. Depuis lors, de nombreux progrès ont été accomplis dans notre connaissance des bases structurales de la bascule GDP/GTP d’Arf et de Sar. Moins spectaculaires et parfois plus confus ont été les progrès concernant le lien entre le cycle GDP/GTP d’Arf, l’assemblage des manteaux et la collecte des protéines transportées.

Bascule GDP/GTP d’Arf et de Sar

Les protéines G fournissent un bel exemple de variations sur un même thème. Une protéine G est un kit minimal, comprenant 6 brins β et 5 hélices α avec, en surface, un site de liaison des nucléotides à guanine composé de quelques acides aminés conservés [3]. Parmi ces résidus, une thréonine et une glycine jouent un rôle particulier. Ces deux résidus forment des liaisons avec le troisième phosphate du GTP, liaisons qui provoquent, lors de l’échange GDP/GTP, un changement de conformation sur des régions plus ou moins étendues appelées switchs. Arf et Sar sont bâties sur ce modèle élémentaire, mais possèdent une région supplémentaire, une hélice amphiphile amino-terminale prolongée, dans le cas d’Arf, par une modification lipidique, un acide gras de 14 carbones. Des études structurales ont montré que, dans la forme GDP, la face hydrophobe de l’hélice est plaquée contre une gorge de la protéine. Sous forme GTP, l’hélice interagit au contraire avec les membranes lipidiques car un changement de conformation spectaculaire du cœur de la protéine G obture la gorge [4, 5]. La bascule GDP/GTP d’Arf et de Sar est donc une réaction particulièrement complexe, qui couple une substitution de nucléotides à un changement de conformation traversant toute la protéine et libérant un élément essentiellement hydrophobe. Cette réaction spontanément très lente est catalysée par des facteurs d’échange [6]. Indiquons brièvement ici que les facteurs d’échange d’Arf et Sar sont liés aux membranes lipidiques et que cette liaison est essentielle pour leur activité. En effet, même si ces facteurs interagissent non pas avec l’hélice amino-terminale d’Arf ou de Sar mais avec le cœur de la protéine, ils ne peuvent provoquer l’échange GDP/GTP, sans qu’une membrane lipidique n’autorise la libération de cette hélice amino-terminale amphiphile [7]. Dès lors, la formation d’Arf-GTP ou de Sar-GTP sur une membrane est conditionnée par la présence d’un facteur d’échange sur cette même membrane.

Assemblage d’un manteau et sélection de protéines

Considérons maintenant une membrane lipidique couverte d’Arf-GTP ou de Sar-GTP. Est-ce une condition suffisante pour provoquer l’assemblage d’un manteau ? La question revient à connaître le degré d’interdépendance entre cet assemblage et la capture de protéines dans les vésicules. Dans une première configuration, le manteau se forme qu’il y ait ou non des protéines à transporter. C’est le modèle de l’autobus qui part à heure fixe avec ou sans passagers. Dans la seconde configuration, l’assemblage du manteau sur une membrane requiert, outre la présence d’Arf-GTP ou de Sar-GTP, des interactions avec l’extrémité cytoplasmique de protéines membranaires. C’est le modèle du taxi, qui ne part qu’avec des clients.

Les travaux du groupe de Randy Schekman ont montré que, sur des liposomes artificiels incubés en présence des petites protéines G Arf ou Sar, d’un analogue non hydrolysable du GTP et des éléments purifiés des manteaux COPI ou COPII, on observe l’apparition d’un manteau dense, visible au microscope électronique, qui couvre les liposomes et provoque le bourgeonnement de petites vésicules [8, 9]. L’importance de ces résultats réside dans le fait qu’ils suggèrent que l’assemblage des manteaux COP n’est pas strictement dépendant de la présence de protéines membranaires. Il est cependant établi que certaines protéines sont concentrées dans les vésicules de transport et qu’il doit exister dans leur domaine cytoplasmique, ou dans celui de leur récepteur, un motif reconnu par le manteau protéique. On sait peu de chose sur cette reconnaissance. De courts motifs tels que la juxtaposition de deux résidus basiques (Lys-Lys en position -4 et -3) ou la séquence Asp-X-Glu semblent reconnus respectivement par les manteaux COPI et COPII. Le motif Asp-X-Glu est ainsi décisif pour le transport de certains canaux potassiques après leur synthèse dans le réticulum [10].

La membrane de vésicules COP isolées à partir du réticulum endoplasmique ou de l’appareil de Golgi est enrichie de quelques protéines membranaires qui sont sans cesse recyclées entre ces compartiments [11]. Le rôle de ces protéines reste obscur. Dans la levure, leur délétion n’a généralement que des effets mineurs sur le transport global des protéines [12]. L’idée la plus simple est que ces protéines, sans être nécessaires à la formation des vésicules, servent de récepteurs pour enrichir quelques protéines de la lumière dans les vésicules, assurant ainsi un transport efficace. C’est le rôle qui semble par exemple dévolu à la protéine de levure Erv29p. Lorsque cette protéine à 6 segments transmembranaires est supprimée, l’incorporation dans les vésicules COPII d’une phéromone, le facteur α, est très fortement réduite, alors que d’autres protéines sont transportées normalement [13].

Le problème de la réaction de GTPase

Pour le moment, nous n’avons considéré que la réaction a priori la plus noble du cycle d’Arf ou de Sar, celle de l’activation qui aboutit à une forme GTP attachée à la membrane sur laquelle s’assemble un manteau. La réaction d’hydrolyse du GTP semble moins intéressante : revenant à un état GDP, Arf ou Sar se dissocient des membranes, ce qui provoque le désassemblage du manteau. Certes, cette réaction est cruciale parce que la vésicule ne peut fusionner avec un compartiment accepteur tant qu’elle est recouverte d’un manteau [1, 2]. Mais pour le problème qui nous intéresse, celui de la formation d’une vésicule, les jeux semblent faits dès la formation d’Arf-GTP et de Sar-GTP : le manteau s’assemble, déforme la membrane et concentre des protéines. Pourtant, sans que l’on comprenne pourquoi, la réaction de GTPase pourrait avoir un rôle déterminant dès ces premières étapes.

La réaction d’hydrolyse du GTP dans un manteau est problématique pour deux raisons : le caractère polymérique du manteau et le fait que la réaction de GTPase dans Arf ou Sar est fortement stimulée par le manteau. Ainsi, si la protéine GAP qui stimule l’hydrolyse du GTP couplé à Arf n’est pas un élément du manteau COPI, son activité est fortement augmentée par le coatomer, le large complexe protéique qui forme ce manteau [14]. Dans le cas du manteau COPII, la protéine GAP de Sar est l’une des sous-unités du manteau (Sec23p) et son activité est décuplée lorsque les autres éléments de ce manteau s’assemblent [15]. Bref, le ver est dans le fruit et l’on peut se demander comment un manteau d’une taille suffisante peut se former si, pendant que des unités élémentaires s’assemblent, d’autres plus anciennes se dissocient en raison de leur activité GAP.

Faut-il alors freiner cette réaction de GTPase ? L’idée est séduisante : une protéine transportée, ou son récepteur, réduirait l’effet du manteau sur la réaction de GTPase, ce qui, en retour, stabiliserait le manteau et augmenterait la probabilité de capture de la protéine dans une vésicule (Figure 2A). Reste qu’il s’agit d’une hypothèse qui n’a été testée que dans un système purement soluble ne mimant pas la situation d’un manteau s’assemblant sur une membrane [16].

À l’opposé de ce modèle, certaines expériences suggèrent que la réaction d’hydrolyse du GTP a un rôle positif pour la capture d’une protéine dans une vésicule [17, 18]. Les vésicules COPI produites dans des conditions où la GTPase est bloquée semblent particulièrement pauvres en contenu, c’est-à-dire en protéines transportées, par rapport à des vésicules où la réaction de GTPase est permise. On se retrouve donc devant le dilemme suivant : le modèle classique prédit que le ralentissement voire le blocage de la GTPase, avantage l’incorporation de protéines cargos, alors que des expériences suggèrent que la GTPase est nécessaire à cette incorporation.

La clé du problème pourrait résider dans la distribution spatiale et temporelle de la réaction de GTPase (Figure 2B). Les manteaux protéiques ne sont pas les seuls polymères fonctionnant à partir d’unités élémentaires oscillant entre deux conformations GTP et GDP. L’exemple le mieux connu est la tubuline qui se polymérise en microtubule. Le paradoxe apparent de ce polymère est que, si seule la forme GTP de la tubuline se polymérise, un microtubule est en fait essentiellement composé de tubuline sous forme GDP [19]. Chaque sous-unité de tubuline GTP qui s’assemble à l’extrémité d’un microtubule agit en effet comme GAP sur la sous-unité précédente. Grâce à ce mécanisme où la réaction de GTPase est distribuée dans l’espace, on obtient un polymère métastable : le dernier anneau de tubuline GTP contraint les autres sous-unités sous forme GDP à rester dans le microtubule. Cet exemple suggère que, dans un manteau, l’hydrolyse du GTP n’est pas nécessairement synonyme de désassemblage immédiat (Figure 2B). Il resterait ensuite à montrer pourquoi, dans un manteau où coexisteraient les formes GTP et GDP d’Arf ou de Sar, la sélection de protéines membranaires serait plus efficace que dans un manteau comprenant uniquement la forme GTP. La découverte toute récente d’une interaction préférentielle entre une protéine membranaire, p23, caractéristique des vésicules COP et la forme GDP d’Arf est, à cet égard, particulièrement troublante [20].

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