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Med Sci (Paris). 2002 August; 18(8-9): 814–816.
Published online 2002 August 15. doi: 10.1051/medsci/20021889814.

Mammographie : on dépiste… on ne dépiste pas… on dépiste ?

Claire Julian-Reynier and François Eisinger

Inserm U.379, Institut Paoli-Calmettes, 232, boulevard Sainte-Marguerite, 13009 Marseille, France
 

Le cancer du sein est l’un des seuls cancers pour lequel plusieurs essais randomisés ont montré dans les années 1980 une réduction de la mortalité liée à l’implémentation du dépistage. À la suite de ces résultats, les essais randomisés apportant un niveau de preuve des plus convaincants dans le cadre de l’evidence-based-medicine, la plupart des pays industrialisés dont la France ont ainsi mis en place des programmes de dépistage systématisés du cancer du sein par mammographie pour les femmes d’un certain groupe d’âge. L’objectif annoncé de ces programmes est donc de dépister précocement les cancers du sein afin d’améliorer de manière notable la survie des patientes. De manière périodique cependant, l’intérêt du dépistage par mammographie est rediscuté, surtout lorsque l’on parle d’étendre ses indications à certains groupes d’âge, les femmes de moins de 50 ans, et celles de plus de 65 ans notamment. La polémique la plus récente porte en revanche sur une question essentielle : celle de « l’efficacité » du dépistage par mammographie tel qu’il était présenté dans les essais initiaux, c’est-à-dire pour les groupes d’âge pour lesquels il était estimé que cette intervention était efficace. Nous présentons ici les fondements et l’analyse de cette polémique.

Remise en question de l’impact du dépistage par mammographie sur la mortalité

Le point de départ de ce débat scientifique provient de la publication, par un journal médical renommé, de résultats d’une méta-analyse effectuée dans le cadre de la prestigieuse institution The Cochrane Library. Les résultats que publient les auteurs de cette étude [1] remettent complètement en question l’intérêt du dépistage mammographique. Un débat d’éditeurs, que nous n’aborderons pas ici, a attisé l’aspect polémique de ce travail [2, 3].

Une première raison expliquant la divergence des conclusions de cette méta-analyse de celles des études initiales provient de ce qu’elle crée une stratification en classant les essais selon leur rigueur scientifique. Deux essais ont été considérés de « qualité moyenne », les cinq autres étant considérés de qualité « faible ou mauvaise ».

Une deuxième raison provient du choix de l’indicateur principal de résultat : dans les sept essais randomisés, il s’agissait de la mortalité liée aux cancers du sein et non pas de la mortalité « totale ». Ce point est contesté par les auteurs qui utilisent la mortalité totale dans leur méta-analyse.

Les auteurs montrent ainsi que les deux essais de meilleure qualité (Malmö et Canada) ne montrent pas de diminution de la mortalité consécutive aux cancers (toutes causes confondues de mortalité dont celles qui sont liées directement au cancer du sein) dans le groupe ayant bénéficié d’un dépistage, et que la même conclusion émerge des essais de qualité faible. Lorsque la mortalité globale est prise en compte, aucun effet bénéfique du dépistage n’est démontré par les 2 essais de meilleure qualité ni par les essais suédois. C’est seulement à partir des résultats des essais de qualité faible (en excluant ceux de mauvaise qualité) que l’efficacité du dépistage sur la mortalité spécifique par cancer du sein devient significative d’un point de vue statistique.

L’argumentation développée par les auteurs au vu de ces résultats reposait sur le fait que les patients ayant bénéficié d’un dépistage subissaient des interventions secondaires agressives (une radiothérapie par exemple) qui provoquaient d’autres maladies (cardiovasculaire ou autre). De ce fait, la mortalité totale était affectée, alors que celle qui est directement liée au cancer était soit non affectée, soit diminuée.

Que peut-on penser de ces résultats ?

Il semblerait que les auteurs [1] aient cependant fait le choix de présenter uniquement certains indicateurs globaux de résultats en omettant notamment de considérer la variable « temps » dans leur analyse. Miettinen et al. [4] montrent ainsi que pour le seul essai de Malmö, considéré comme un des meilleurs, la mortalité par cancer du sein des femmes soumises à un dépistage ne diminue significativement par rapport au groupe sans dépistage qu’à partir de la 7e année de suivi. L’indicateur « global » de mortalité doit donc être complété par un indicateur spécifique de la longueur du suivi. Il semble ainsi que la mortalité par cancer du sein soit diminuée de 55 % (intervalle de confiance à 95 % entre 16 % et 76 %) pour les femmes suivies pendant au moins 8 ans (et jusqu’à 11 ans).

Et maintenant…

Les polémiques scientifiques sont toujours passionnantes pour le monde scientifique dans la mesure où elles permettent une « mise à plat » des argumentations et des pratiques professionnelles. Elles montrent à quel point la prudence et la compétence sont nécessaires dans l’interprétation des résultats et comment hypothèses et a priori sont susceptibles d’influencer le message final. Si ces polémiques passionnent les scientifiques, elles n’en sont pas moins déstabilisantes. Reprenons les deux arguments avancés comme perturbateurs, énoncés au début de ce texte.

L’argument selon lequel la mortalité globale devrait être le seul indicateur retenu a été présenté à nouveau pour l’ensemble des essais de prévention des cancers [5]. Soulignant les difficultés qu’ont les médecins à définir les causes de décès (cause immédiate, cause primitive, maladies concurrentes présentes), et celles de leur enregistrement systématique, facteurs pouvant introduire un biais en faveur de, ou contre, les groupes soumis à un dépistage, Black et al démontrent que le seul indicateur fiable et non contestable dans la comparaison des études est bien celui de la mortalité globale [5]. Si l’indicateur de mortalité attribuable au cancer du sein doit en pratique être retenu comme un indicateur intermédiaire d’efficacité de ces essais, c’est bien la mortalité globale qui devrait en être l’indicateur final. Néanmoins cet indicateur est extrêmement difficile à obtenir et l’indicateur intermédiaire, plus facilement accessible, est donc utilisé comme justification aux campagnes de dépistage.

Le deuxième argument concernait l’analyse des résultats en fonction de la rigueur scientifique des essais. Le principe des méta-analyses est de regrouper différents essais randomisés afin d’augmenter la puissance des résultats. Olsen et Gostzke ont montré l’hétérogénéité des différentes études sur les critères d’inclusion, les caractéristiques du dépistage, les caractéristiques des populations et le recul par rapport au suivi. L’actualisation des effets à long terme du dépistage par mammographie (médiane de suivi : 16 ans) dans le cadre de la synthèse des 4 essais suédois est donc tout à fait bienvenue [6]. Elle montre une réduction de la mortalité attribuable au cancer du sein de l’ordre de 21 % (intervalle de confiance à 95 % entre 11 et 30 %) pour des femmes dont l’âge à l’entrée dans l’essai se situait entre 55 et 69 ans. Il semble bien, d’après ces derniers résultats et d’autres modélisations faites précédemment à partir des campagnes de dépistage du cancer du sein par mammographie au Royaume-Uni [7, 8], que celui-ci ait un effet réel, bien que modeste, sur la diminution de la mortalité attribuable au cancer du sein, et que cet effet soit variable en fonction de l’âge au début du suivi. La faisabilité de nouveaux essais randomisés concernant l’efficacité de la mammographie paraissant impensable pour des raisons éthiques et budgétaires, l’analyse des données collectées constitue donc la seule source d’information pour la décision individuelle et collective.

Dans les années 2000, plus de la moitié des femmes de 50 à 69 ans, population cible du dépistage en France, avait un suivi mammographique tous les deux ans témoignant ainsi d’une nette amélioration par rapport aux données précédentes [9]. Malgré les incertitudes présentées, tenant compte aussi du fait que les techniques d’imagerie ont évolué depuis la mise en place des premiers essais, il ne semble pas légitime d’interrompre une organisation rationnelle d’un dépistage mammographique standardisé dans la mesure où celui-ci semble avoir un effet significatif sur la mortalité spécifique par cancer du sein malgré les réserves que l’on peut faire sur cet indicateur. Les recommandations de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé vont dans ce sens [10]. Il serait cependant très bénéfique, dans le cadre d’enquêtes parallèles, de se doter de stratégies de surveillance de ’impact de ces mesures de dépistage sur la santé des femmes concernées.

References
1.
Olsen O, Gotzsche PC. Cochrane review on screening for breast cancer with mammography. Lancet 2001; 358 : 1340–2.
2.
Screening mammography : setting the record straight. Lancet 2002; 359 : 439-40 ; discussion : 440–2.
3.
Horton R. Screening mammography-an overview revisited. Lancet 2001; 358 : 1284–5.
4.
Miettinen OS, Henschke CI, Pasmantier MW, Smith J P, Libby DM, Yankelevitz DF. Mammographic screening : no reliable supporting evidence? Lancet 2002; 359 : 404–5.
5.
Black W, Haggstrom D, Welch H. All cause mortality in randomised trials of cancer screening. J Natl Cancer Inst 2002; 94 : 156–7.
6.
Nystrom L, Andersson I, Bjurstam N, Frisell J, Nordenskjold B, Rutqvist LE : Long-term effects of mammography screening : updated overview of the Swedish randomised trials. Lancet 2002; 359 : 909–19.
7.
Chu K, Tarone R, Kessler L, et al. Recend trends in US breast cancer incidence, survival and mortality rates. J Natl Cancer Inst 1996; 88 : 1571–9.
8.
Brown D. UK death rates from breast cancer fall by a third. Br Med J 2000; 321 : 849–55.
9.
Eisinger F, Guagliardo V, Julian-Reynier C, Moatti J P. Dépistage des cancers. In : Guilbert PBF, Gautier A, eds. Baromètre Santé 2000. Paris : CFES, 2001 : 329–55.
10.
ANAES. Dépistage du cancer du sein par mammographie : évaluation de la méta-analyse de Gotzsche et Olsen. Paris : Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), 2002 : 17.