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Med Sci (Paris). 2002 August; 18(8-9): 808–809.
Published online 2002 August 15. doi: 10.1051/medsci/20021889808.

Mort cellulaire des protistes amitochondriaux : une mort programmée ?

Olivier Chose,1 Christophe Noël,2 Delphine Gerbod,2 Claude-Olivier Sarde,1 Catherine Brenner,1 Eric Viscogliosi,2 and Alberto Roseto1*

Laboratoire génie enzymatique et cellulaire, Cnrs UMR 6022, Université de Technologie de Compiègne, 1, rue Personne de Roberval, BP 20529, 60205 Compiègne Cedex, Fran
Institut Pasteur de Lille, Inserm U.167, BP 245, 59019 Lille Cedex, France
Corresponding author.
 

Depuis 1995, l’abondante littérature scientifique a confirmé une implication directe ou indirecte de la mitochondrie dans la mort cellulaire programmée. Cette implication a été particulièrement bien étudiée pour le processus apoptotique, au cours duquel deux grandes voies ont été décrites. L’une, dépendante des caspases, fait intervenir le cytochrome c, une protéine mitochondriale libérée à cet effet vers le cytosol. L’autre, indépendante des caspases, implique la protéine mitochondriale AIF (apoptosis inhibiting factor) [1, 2].

Tout laisse donc penser que la mitochondrie joue un rôle majeur, sinon primordial, dans la mise en place de la mort cellulaire programmée. Qu’en est-il alors de la mort cellulaire programmée chez les organismes unicellulaires dépourvus de mitochondries ? Est-il possible qu’une ou plusieurs voies alternatives non mitochondriales puissent aboutir au même résultat dans ces organismes ?

Nous avons récemment pu démontrer [3] qu’il est possible de déclencher, chez le protiste1 Trichomonas vaginalis dépourvu de mitochondries, une forme de mort cellulaire morphologiquement distincte de la nécrose. Curieusement, certaines de ses caractéristiques ressemblent très nettement à celles du processus apoptotique et d’autres en sont totalement distinctes (Tableau I).

L’analyse des cellules en épifluorescence permet d’observer chez T. vaginalis les différentes formes de condensation chromatinienne décrites au cours de la mort cellulaire programmée des organismes unicellulaires et multicellulaires mitochondriaux. Ces formes sont communes aux processus d’apoptose et de para-apoptose, une variante de mort cellulaire programmée récemment décrite [4] (Tableau I) (→). Le gonflement de la membrane cellulaire et la partition finale du contenu génomique (décrit dans l’apoptose comme « corps apoptotiques ») sont également présents. L’exposition des groupements phosphatidyl-sérine liés à l’annexine V à la surface externe de la membrane constitue un point commun supplémentaire. Tous ces éléments sont observables de manière reproductible aussi bien dans les cellules traitées par des drogues pro-apoptotiques (étoposide, staurosporine, doxorubicine), que dans celles exposées au métronidazole (agent thérapeutique utilisé dans les infections à T. vaginalis) ou à un stress nutritif. Sur un plan génomique, l’apoptose dépendante des caspases aboutit à une fragmentation de l’ADN par des coupures récurrentes tous les 180 nucléotides (fragmentation oligonucléosomique).

(→) m/s 2001, n°4, p. 481

L’analyse par électrophorèse de cet ADN montre un profil de migration caractéristique « en échelle ». Dans le cas de l’apoptose indépendante des caspases, on observe un profil similaire décalé vers les hauts poids moléculaires (50 kilobases) [5]. La même analyse chez T. vaginalis ne met en évidence aucun de ces deux profils. Toutefois, ainsi que le démontre la technique TUNEL, la fragmentation est bien réelle et suggère l’existence d’un mécanisme sousjacent d’un type différent.

L’existence d’une mort cellulaire programmée au sein d’organismes unicellulaires comportant des mitochondries est de découverte assez récente [6]. Celle-ci ressemble beaucoup au processus décrit dans les organismes multicellulaires. Sur le plan moléculaire, un certain nombre de différences se font jour. Ainsi, l’absence de caspases semble pouvoir être suppléée par des molécules apparentées mais distinctes (caspases-like) [7]. Si T. vaginalis est, quant à lui, dépourvu de mitochondries stricto sensu, il renferme néanmoins un organite dépourvu d’ADN, l’«hydrogénosome» [8], qui héberge plusieurs protéines présentant des similitudes avec des protéines d’origine mitochondriale [9]. À ce titre, T. vaginalis est donc un intermédiaire entre, d’une part, les organismes unicellulaires mitochondriaux et, d’autre part, les organismes sans mitochondries, mais aussi sans hydrogénosomes, comme Giardia intestinalis. À l’instar des organismes unicellulaires mitochondriaux, il n’est pas exclu qu’une voie mettant en jeu des molécules proches des caspases puisse agir en liaison avec les hydrogénosomes chez T. vaginalis.

Par ailleurs, on sait que l’absence de caspases n’empêche pas le déclenchement de la mort cellulaire programmée, laquelle peut alors présenter des caractéristiques d’apoptose, de para-apoptose ou de nécrose [4]. L’identification récente d’un homologue de la protéine AIF et de son rôle dans la mort cellulaire programmée chez l’amibe Dictyostelium discoideum va dans le sens de cette observation [10]. Ces deux résultats permettent d’envisager l’émergence de la voie indépendante des caspases comme un événement potentiellement antérieur à l’appartition de la voie dépendante des caspases au cours de l’établissement du processus de mort cellulaire programmée.

Dans une première approche par PCR (polymerase chain reaction), nous avons, sans succès, tenté d’identifier un équivalent du gène codant pour l’AIF chez T. vaginalis. S’il est possible qu’une voie indépendante des caspases ne soit pas active dans cet organisme en raison de l’absence de mitochondries, la présence d’un tel gène est cependant loin d’être définitivement exclue. Que cette absence soit confirmée ou non, le résultat soulèvera la question du rôle évolutif central de la mitochondrie dans l’émergence de la mort cellulaire programmée des organismes multicellulaires. En effet, nos observations chez T. vaginalis suggèrent fortement l’existence, soit d’une voie « indépendante de le mitochondrie » équivalente à celles qui sont déjà connues, soit d’une voie plus primitive faisant intervenir des éléments moléculaires nouveaux. La comparaison des caractéristiques morphologiques et moléculaires des organismes possédant des mitochondries et de ceux qui n’en possèdent pas (ces derniers étant, comme T. vaginalis, ou non, comme G. intestinalis, pourvus d’hydrogénosomes) devrait s’avérer très fructueuse. Elle ouvre en effet d’excitantes perspectives quant à l’origine et à l’évolution des voies moléculaires impliquées dans la mort cellulaire programmée de l’ensemble des organismes vivants.

 
Footnotes
1Les protistes sont des organismes eucaryotes qui sont classés en dehors des règnes animal ou végétal. Généralement unicellulaires (mais certains représentants peuvent être pluricellulaires), un protiste n’est donc ni une plante, ni un champignon, ni un animal. Ce règne hétérogène inclut les protozoaires, certains champignons possédant des stades flagellés, des algues et tous les eucaryotes ne pouvant être classés ailleurs.
References
1.
Brenner C, Kroemer G. Apoptosis. Mitochondria : the death signal integrators. Science 2000; 289 : 1150–1.
2.
Green DR, Reed JC. Mitochondria and apoptosis. Science 1998; 281 : 1309–12.
3.
Chose O, Noël C, Gerbod D, Brenner C, Viscogliosi E, Roseto A. A form of cell death with some features resembling apoptosis in the amitochondrial unicellular organism Trichomonas vaginalis. Exp Cell Res 2002; 276 : 32–9.
4.
Sperandio S, de Belle I, Bredesen DE, et al. An alternative, nonapoptotic form of programmed cell death. Proc Natl Acad Sci USA 2000; 97 : 14376–81.
5.
Susin SA, Daugas E, Ravagnan L, et al. Two distinct pathways leading to nuclear apoptosis. J Exp Med 2000; 192 : 571–80.
6.
Ameisen JC. The origin of programmed cell death. Science 1996; 272 : 1278–9.
7.
Wyllie AH, Golstein P. More than one way to go. Proc Natl Acad Sci USA 2001; 98 : 11–3.
8.
Muller M. The hydrogenosome. J Gen Microbiol 1993; 139 : 2879–89.
9.
Dyall SD, Johnson PJ. Origins of hydrogenosomes and mitochondria: evolution and organelle biogenesis. Curr Opin Microbiol 2000; 3 : 404–11.
10.
Arnoult D, Tatischeff I, Estaquier J, et al. On the evolutionary conservation of the cell death pathway: mitochondrial release of an apoptosis-inducing factor during Dictyostelium discoideum cell death. Mol Biol Cell 2001; 12 : 3016–30.