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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 717–724.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867717.

Métabolisme du précurseur du peptide amyloïde et présénilines

Frédéric Checler,1* Cristine Alves da Costa,1 Cécile Dumanchin-Njock,2 Elvira Lopez-Perez,3 Philippe Marambaud,4 Erwan Paitel,1 Agnès Petit,1 and Bruno Vincent1

1IPMC du Cnrs, UMR 6097, 660, route des Lucioles, 06560 Valbonne, France
2Inserm EPI 9906, 76183 Rouen, France
3Laboratoire GlaxoSmithKline, 78163 Marly-le-Roi, France
4Mount Sinai School of Medicine, New York, NY 10029, États-Unis
Corresponding author.
 

La maladie d’Alzheimer représente l’un des problèmes majeurs de santé publique des pays développés. L’allongement de la durée de vie permet de prédire que ce syndrome lié à l’âge présentera une incidence encore accrue dans les années à venir. La grande majorité des cas de maladie d’Alzheimer est d’origine sporadique, ce qui, en l’état des connaissances, signifie que la symptomatologie de la maladie intervient après 60 ans sans identification d’un quelconque déterminisme génétique. Les formes familiales (FAD pour familial Alzheimer’s disease) se caractérisent par un début beaucoup plus précoce (certains cas ont été décrits chez des patients de moins de 25 ans), une évolution plus rapide et la présence de mutations autosomiques dominantes sur les gènes codant pour une des trois protéines identifiées, la βAPP (pour β-amyloid precursor protein) et les présénilines 1 et 2 (pour revue voir [1]). Qu’elles soient sporadiques ou génétiques, toutes les formes de maladie d’Alzheimer se caractérisent - au stade tardif, et d’un point de vue histopathologique - par des lésions appelées plaques séniles envahissant le cerveau. Les plaques séniles sont des dépôts protéiques extracellulaires qui évoluent d’un point de vue morphologique et biochimique. En effet, les premières lésions correspondent à des dépôts amorphes (plaques diffuses) présents dans les noyaux sous-corticaux et sont essentiellement composées d’un fragment protéique de 42 acides aminés (Aβ42). Ces lésions évoluent vers des dépôts plus compacts appelés plaques mûres (ou plaques séniles) composées principalement d’un peptide amyloïde de 40 résidus (Aβ40). Les plaques séniles envahissent notamment les aires corticales associatives. Ce sont sans doute ces atteintes qui conditionnent l’apparition des premiers symptômes (en général des plaintes mnésiques).

Les formes familiales et sporadiques présentent les mêmes stigmates anatomiques mais se distinguent par la cinétique de leur apparition. Il était donc plus que probable que l’accélération du processus neurodégénératif soit vraisemblablement dû, au moins en partie, à l’exacerbation de la production de peptide amyloïde. Cette hypothèse a été rapidement corroborée par des approches de biologie cellulaire qui ont permis d’établir que toutes les mutations responsables de formes avérées de maladie d’Alzheimer se traduisaient par une modification de la production cellulaire de peptide amyloïde [2]. Le fait que des protéines distinctes (βAPP et présénilines) - qui lorsqu’elles sont mutées conduisent toutes à la maladie - présentent comme dénominateur commun une modification de la production de peptide Aβ, est de toute évidence un argument fort en faveur du rôle central du peptide amyloïde dans l’étiologie de la maladie d’Alzheimer. Le corollaire de cette observation est qu’une approche théorique visant à ralentir le processus pathologique consiste à cibler et à inhiber les sécrétases responsables de la production de peptide Aβ. Nous étudierons dans cet article les diverses voies métaboliques de la βAPP, la nature des sécrétases impliquées et le rôle des présénilines dans la maturation physiopathologique de la βAPP.

Maturation physiopathologique de la βAPP
Préalable
La βAPP est une protéine transmembranaire de 695 à 770 acides aminés codée par un seul gène [3]. Le peptide β-amyloïde résulte de la coupure séquentielle de la (βAPP par la (ou les) β- puis γ-sécrétase(s) qui libèrent respectivement les extrémités N- et C-terminales du peptide Aβ(Figure 1). La γ-sécrétase présente la particularité d’intervenir dans un environnement hydrophobe théoriquement hostile à l’hydrolyse puisque l’extrémité C-terminale du peptide Aβ est « enfouie » dans la membrane (Figure 1). C’est la γ-sécrétase qui conditionne la nature du peptide amyloïde engendré. Cela n’est pas anecdotique puisque les propriétés physicochimiques des peptides Aβ40 et 42 sont sensiblement différentes, le peptide de 42 acides aminés étant beaucoup plus hydrophobe et susceptible de s’agréger [4]. Une coupure alternative engendrée par l’α-sécrétase intervient au milieu de la séquence Aβ et prévient ainsi sa formation. Cette coupure libère un produit sécrété,l’APPα, qui présente une activité cytotrophique et neuroprotectrice (pour revue, voir [5]). Cette coupure correspond à la voie physiologique de maturation de la βAPP alors que les attaques séquentielles de la βAPP par les β-et γ-sécrétases représentent la voie amyloïdogénique de maturation.

Il faut souligner ici que la voie amyloïdogénique n’est pas systématiquement synonyme de pathologie. En effet, tout un chacun produit du peptide amyloïde. C’est le dérèglement de cette production qui est pathogène. Il peut se traduire soit par une augmentation de la concentration de peptide Aβ « normal », c’est-à-dire le peptide Aβ40, soit par l’altération du rapport des formes Aβ40/Aβ42. En effet, le peptide Aβ42 représente en général moins de 10 % de la totalité du peptide Aβ. En tout état de cause, les deux mécanismes conduisent vraisemblablement au passage d’un état « soluble » de ces peptides à un état agrégé, favorisant les dépôts et obérant vraisemblablement les processus de dégradation, d’où l’accumulation observée lors de la maladie.

L’équilibre entre la production et la dégradation du peptide Aβ se stabilise dans les conditions normales à un seuil en dessous duquel le peptide Aβ reste soluble. Le dérèglement de cet équilibre est sans doute très progressif et lent comme l’indiquent les débuts tardifs des formes sporadiques et l’évolution relativement lente du processus dégénératif. Comme cela est décrit au début de cet article, ce dérèglement s’accélère dans le cas des formes familiales. Une observation particulièrement intéressante réside dans le fait que toutes les mutations portées par la βAPP (elles sont maintenant au nombre de 17 – pour plus de détails, voir le site http://www.alzforum.org/) sont localisées soit au milieu de la séquence Aβ, soit bordent les extrémités N-et C-terminales du peptide (Figure 1). Dans les faits, cela se traduit par une production exacerbée de peptide Aβ (mutation suédoise N-terminale KM -> NL) ou par une coupure accrue au niveau 42 pour les mutations localisées près de l’extrémité C-terminale (Figure 1). Ce dernier phénotype est aussi observé pour les mutations portées par les présénilines (voir plus loin).

La voie physiologique de maturation de la βAPP

Il existe deux voies α-sécrétase distinctes : une voie sécrétoire constitutive et une voie de sécrétion réglée. Très brièvement, la voie réglée de production de l’APPα est sous le contrôle de la protéine kinase C (PKC) (pour revue, voir [6]). Elle conduit de manière concomitante à la diminution de la production de peptide Aβ, en accord avec l’hypothèse selon laquelle les productions de peptide Aβ et d’APPα ne seraient pas mutuellement exclusives. Plus récemment, nous avons établi que la voie α-sécrétase pouvait aussi être contrôlée par une activité de type protéine kinase A (PKA) dépendante de l’AMPc [7]. Les cibles de la PKA semblent différentes de celles de la PKC puisque la stimulation de la voie PKA entraîne aussi une augmentation de peptide Aβ, ce qui nous a conduits à proposer que la PKA ciblerait une protéine située en amont des α- et β/γ-sécrétases [7], qui pourrait être impliquée dans les mécanismes de bourgeonnement intervenant très tôt lors des processus sécrétoires.

L’α-sécrétase intervient vraisemblablement dans deux compartiments cellulaires distincts. Une coupure intervient dans les compartiments golgiens, c’est-à-dire assez tôt dans les voies sécrétoires (pour revue, voir [3]). Il apparaît clairement qu’une fraction de la βAPP échappe à cette protéolyse et est intégrée à la membrane plasmique où elle y subit l’attaque protéolytique (Figure 2). La nature des compartiments où la protéolyse s’effectue permettait de supposer, a priori, l’occurrence d’α-sécrétases distinctes puisque le pH des organites (acide dans le Golgi ou neutre au niveau de la membrane plasmique) soustend des propriétés physico-chimiques distinctes des enzymes intracellulaires et membranaires. Ce distingo empirique a été corroboré par l’identification des α-sécrétases membranaires. Celles-ci appartiennent au groupe des désintégrines - des métalloprotéases généralement impliquées dans la coupure de protéines trans-membranaires ou ancrées par une attache de type glycosylphospho-inositide [8]. Il apparaît qu’ADAM10 (A disintegrin and metalloprotease) contribue aux deux voies - constitutive [9, 10] et réglée - alors qu’ADAM17 (aussi appelée TACE pour tumor necrosis (α-converting enzyme) est essentiellement impliquée dans la voie réglée dépendante de la PKC [11] (→). L’α-sécrétase intracellulaire n’a pas été formellement identifiée. Nous avons toutefois établi qu’une protéase intracellulaire de la famille des pro-hormones convertases (PC7) contribue vraisemblablement à la voie α-sécrétase intracellulaire de la βAPP [10, 12] sans pouvoir définitivement écarter la possibilité que PC7 intervienne de manière indirecte sur la maturation d’une α-sécrétase intracellulaire.

(→) m/s 1999, n°1, p. 117

La voie amyloïdogénique de maturation de la βAPP

On peut distinguer deux voies majeures de production de peptide Aβ : une voie sécrétoire constitutive et une voie faisant intervenir un processus d’endocytose (Figure 3). Le peptide Aβ est détectable très tôt dans la voie sécrétoire. En effet, le peptide Aβ, et notamment la forme longue Aβ42, est décelable dans le réticulum endoplasmique, alors que le peptide Aβ40 semble produit dans le compartiment golgien [13]. La distribution subcellulaire distincte des deux peptides n’est pas antinomique de l’hypothèse selon laquelle une seule γ-sécrétase interviendrait. En effet, il a été suggéré que la « spécificité » apparente du type de coupure serait en fait liée à l’épaisseur de la membrane des divers organites cellulaires [14]. Selon cette hypothèse, la γ-sécrétase cliverait toujours exactement au milieu du domaine transmembranaire mais l’épaisseur plus importante du feuillet membranaire du réticulum endoplasmique entraînerait le « décalage » de l’hydrolyse vers l’extrémité C-terminale, plus en amont au niveau de la liaison 42/43 du peptide Aβ [14]. La voie d’endocytose concernerait la fraction de βAPP ayant échappé aux coupures intracellulaires (voir plus haut). Celle-ci serait internalisée (signalons ici qu’une séquence consensus NPTY de réinternalisation est effectivement localisée au niveau de l’extrémité C-terminale de la βAPP) et subirait les diverses coupures protéolytiques dans le compartiment endosomique précoce. Une partie de la βAPP internalisée semble aussi ciblée vers les compartiments lysosomiques pour sa dégradation terminale (Figure 3).

La nature de la β-sécrétase est maintenant consensuelle. Cinq groupes, presque simultanément, ont décrit deux protéines homologues appelées BACE-1 et -2 (pour β-site APP cleaving enzyme) comme nouvelles protéases acides membranaires présentant la spécificité de type β-sécrétase (pour revue, voir [15]). Il a été montré que la contribution majeure est due à BACE-1 alors que BACE-2, peu présente au niveau cérébral, contribuerait de manière anecdotique à la production de peptide Aβ. Cela a été mis en évidence de manière particulièrement convaincante en invalidant le gène codant pour BACE-1 [16, 17]. Il apparaît que les cellules dérivées de ces souris knock-out ne produisent plus de peptide Aβ. Il faut toutefois souligner que le gène codant pour BACE-2 est porté par le chromosome 21 [18]. Il n’est donc pas impossible que dans les cas de trisomie 21 - toujours caractérisés par les stigmates histopathologiques de la maladie d’Alzheimer dus à l’« extra-copie » du gène de la βAPP (codée elle aussi par le chromosome 21) - la « surproduction » de BACE-2 ne puisse contribuer à l’exacerbation de la production de peptide Aβ.

La nature de la γ-sécrétase est actuellement l’objet d’un débat passionné et passionnant autour des deux protéines, les présénilines 1 et 2, responsables de la majorité des formes familiales à début précoce de maladie d’Alzheimer.

Que sont les présénilines ?

Les présénilines 1 et 2 (PS1/PS2) sont deux protéines, respectivement de 467 et 441 acides aminés, qui présentent 67 % d’homologie (Figure 4) (→).

(→) m/s 1999, n°8/9, p. 1043

À l’heure actuelle, plus de 70 mutations ponctuelles ont été identifiées sur la PS1 et six sur la PS2, ces nombres continuant actuellement d’augmenter (pour plus de détails, voir le site http://www.alzforum.org/). Les présénilines sont des protéines de membrane possédant un nombre apparemment pair de segments transmembranaines et une large boucle cytoplasmique (Figure 4). Ce sont des protéines présentes dans le système nerveux central, essentiellement dans les neurones. Au niveau subcellulaire, il apparaît que la majorité des présénilines est localisée au niveau du réticulum endoplasmique et du système golgien même si quelques travaux semblent indiquer leur présence au niveau de la membrane plasmique. Les présénilines ne sont ni acétylées ni sulfatées ni glycosylées, mais subissent des processus de phosphorylation qui modulent vraisemblablement leur fonction de contrôle de mort cellulaire (pour revue, voir [19]). Les présénilines sont la cible de diverses activités protéolytiques. Notamment, il a été bien établi qu’elles subissent une coupure protéolytique par une activité que l’on nommera « présénilinase » qui engendre des fragments N-et C-terminaux de respectivement 28-30 et 18-20 kDa. Cette coupure intervient au niveau de la séquence codée par l’exon 10 puisqu’un mutant de délétion de cet exon est totalement résistant à cette protéolyse. Il faut signaler que les holoprotéines de présénilines sont très peu représentées dans le cerveau et/ou, de manière endogène, dans divers systèmes cellulaires, car la coupure par la présénilinase intervient très tôt dans le réticulum endoplasmique. Il apparaît que les produits N- et C-terminaux de protéolyse des présénilines interagissent et forment des hétéromères stables qui correspondent aux complexes biologiquement actifs des présénilines [20]. Plus récemment, il a été établi que les présénilines subissaient aussi de manière alternative une attaque enzymatique par des activités de type caspase [21, 22] qui libérent des fragments C-terminaux capables d’influencer les processus de mort neuronale [23, 24].

Les présénilines présentent des propriétés remarquables de protéines chaperons (pour revue, voir [25]) (→) capables d’interagir avec de nombreuses protéines, et notamment avec la βAPP et avec la protéine Notch (voir plus loin). Ce sont des protéines multifonctionnelles responsables, entre autres, de la modulation des processus précoces de différenciation lors de l’embryogenèse ou, au contraire, d’événements pouvant intervenir beaucoup plus tardivement dans le contrôle de la réponse apoptotique de divers types cellulaires.

m/s 2000, n°5, p. 630

Les présénilines contribuent à la maturation physiopathologique de la β APP

Le fait que les présénilines interagissent avec la βAPP est sans doute le premier indice indirect d’un contrôle de la maturation de la βAPP par les présénilines. Cela a été étayé par l’observation que les cerveaux de patients affectés par une maladie d’Alzheimer liée à une mutation portée par la PS1 montraient tous une production exacerbée de peptide Aβ et plus particulièrement d’Aβ42. Cette observation valait aussi pour six cas décrits portant la mutation A141I sur la PS2. Cette augmentation d’Aβ42 a aussi été notée dans le plasma, dans le produit de sécrétion des fibroblastes des sujets affectés par ces mutations, ainsi que dans le cerveau de souris transgéniques surexprimant une PS1 mutée. De manière plus générale, une approche de biologie cellulaire a permis d’établir que toute cellule surexprimant une préséniline mutée présentait une production exacerbée de peptide amyloïde, et que cette augmentation semblait sélectivement affecter la production du peptide « pathogène » de 42 résidus (pour revue, voir [26]). De manière intéressante, nous avons montré que les mutations des présénilines menaient aussi à une altération de la voie physiologique α-sécrétase caractérisée par une baisse de l’APPα sécrété [27].

Il semble que la modulation de la maturation de la βAPP par les mutations pathogènes dérègle un processus normal de contrôle par les présénilines sauvages. En effet, nous avons établi que la surexpression de PS1 et de PS2 conduit à une augmentation de la production d’APPα et d’Aβ40 [27, 28]. Il faut rappeler ici que le peptide Aβ40 est un fragment normal, dérivé de la protéolyse physiologique de la βAPP. Sa surproduction n’est donc ici qu’un indice de la surexpression de la PS1 « normale ». Nous avons établi que les produits C-terminaux des PS1 et des PS2 induisent aussi, comme cela est attendu, le même phénotype que PS1 et PS2 [29].

Les présénilines sauvages et mutées sont rapidement dégradées après ubiquitinylation par le protéasome [28, 30, 31]. De manière intéressante, les inhibiteurs du protéasome potentialisent les deux phénotypes induits par les présénilines normales ou mutées (Figure 5). Quand les cellules expriment les présénilines sauvages, ces inhibiteurs augmentent sélectivement les productions d’APPα et d’Aβ40. Quand les présénilines sont mutées, ces mêmes inhibiteurs potentialisent le phénotype pathogène illustré par la baisse d’APPα et l’augmentation sélective d’Aβ42. Ces résultats nous ont conduits à proposer que les présénilines interagissaient avec la βAPP en amont des sécrétases et que leur fonction était sous le contrôle du protéasome (Figure 5).

Les présénilines ne sont pas les γ-sécrétases

Comme cela est évoqué plus haut, la possibilité que les présénilines soient la γ-sécrétase fait l’objet d’un débat majeur dans le domaine de la biologie cellulaire de la maladie d’Alzheimer (pour revues contradictoires, voir [32, 33]). Un des arguments forts en faveur de cette hypothèse consiste notamment en l’observation que l’invalidation des gènes codant pour les présénilines abolit la production de peptide Aβ et la production de NICD (Notch intracellular domain), un produit de la protéolyse d’une autre protéine membranaire appelée Notch [34, 35] (→).

(→) m/s 1999, n°3, p. 414

Ces deux événements catalytiques paraissent bloqués de manière similaire par divers inhibiteurs dont certains, photoréactifs, peuvent apparemment se lier de manière covalente aux présénilines [36, 37]. Enfin, il a été décrit que la mutation de deux résidus aspartyl en position 257 et 385 (séquence de la PS1) conduisait à l’abolition de la production d’Aβ, de NICD et de la coupure endoprotéolytique de type présénilinase des présénilines [38]. Cela a conduit Wolfe et ses collaborateurs à suggérer que les présénilines pourraient être un nouveau type de protéase acide transmembranaire autocatalytiquement activable. Tous ces résultats ont été discutés et parfois totalement contredits dans la littérature. Tout d’abord, il est absolument clair que les événements cataboliques conduisant à la production d’Aβ et de NICD peuvent être pharmacologiquement discriminés. Ainsi, la mutation de l’aspartyl 257 abolit la production de NICD sans affecter la production d’Aβ [39]. Un récent article montre même que les cellules exprimant la PS1 mutée au niveau des deux Asp257/385 produisent autant de peptide Aβ que les présénilines non mutées [40]. Par ailleurs, certaines mutations des présénilines affectent la production de Aβ et de NICD dans des proportions rigoureusement inverses [41]. Nous avons établi que de nouveaux inhibiteurs synthétiques non peptidiques pouvaient bloquer la production de peptide Aβ sans affecter celle de NICD [42]. Nous avons aussi montré récemment que des fibroblastes dans lesquels les gènes de PS1 et PS2 avaient été inactivés produisaient autant de peptides Aβ40 et 42 endogènes sécrétés et intracellulaires que les cellules parentales, alors que la production de NICD était effectivement abolie par l’absence de présénilines [43]. Il faut signaler ici que les études indiquant que la production de peptide Aβ était abolie dans les cellules murines dépourvues de présénilines ont été réalisées après la surexpression de βAPP humaine arborant la mutation suédoise et ne portaient que sur le peptide Aβ total sécrété [34, 35]. Plus troublant encore, un de ces groupes a rapporté que les cellules PSI-/- produisaient des quantités importantes de peptide 2-42 [44]. Il est difficile de concevoir que ces cellules puissent posséder une activité γ-sécrétase spécifiquement impliquée dans la production d’Aβ2-42 mais pas d’Aβ1-42. Puisque la même séquence est ciblée par la γ-sécrétase, il faudrait envisager que la spécificité de coupure soit due à la nature de résidus situés 40 acides aminés en aval ! Il apparaît plus probable que les présénilines modulent la maturation de βAPP via leur activité de type « chaperon ». Il est intéressant, dans cette optique, de noter que Kim et al. ont montré que les mutations des résidus aspartyl des présénilines affectent le ciblage et la stabilité de la βAPP [40].

Le débat concernant la nature de la γ-sécrétase n’est pas uniquement une gymnastique intellectuelle ou une simple querelle de chapelle. Elle conditionne une des stratégies futures visant à ralentir ou à bloquer la production de peptide Aβ. Si la même activité relargue NICD, il apparaît alors probable que cibler la γ-sécrétase via des inhibiteurs spécifiques soit voué à l’échec en regard des effets délétères (notamment sur l’hématopoïèse) attendus d’un blocage de la production de NICD.

Conclusions

Les présénilines font l’objet de toutes les attentions des biologistes qui travaillent sur la maladie d’Alzheimer. Ces protéines multifonctionnelles n’ont pas encore révélé tous leurs secrets mais chaque jour apporte son lot d’éléments nouveaux permettant une meilleure compréhension de leur physiologie. À l’évidence, les présénilines contrôlent la maturation de la βAPP. De manière tout aussi évidente, les mutations de ces protéines accélèrent le processus neurodégénératif lié à la maladie d’Alzheimer. Des stratégies originales comme l’exacerbation de leur dégradation via des activateurs du protéasome, ou des inhibiteurs de l’interaction des présénilines avec la βAPP pourraient être envisagées. Ces pistes volontairement provocatrices et sans doute risquées (le protéasome dégrade de nombreuses protéines et les présénilines interagissent avec des partenaires cellulaires multiples) ne sont sans doute que quelques-unes des options pharmacologiques visant ces protéines et pourraient éventuellement être envisagées comme des approches complémentaires de stratégies thérapeutiques plus classiques visant au blocage des β-et des γ-sécrétases ou à l’activation de l’α-sécrétase.

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