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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 689–696.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867689.

Maladie d’Alzheimer : vision d’ensemble, aspects cliniques, facteurs de risque et prévention

Anne-Sophie Rigaud* and Françoise Forette

Hôpital Broca, CHU Cochin Port-Royal, Université René Descartes, Paris V, Service de gérontologie clinique, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris, France
Corresponding author.
 

La maladie d’Alzheimer se définit par l’association d’un syndrome démentiel et de lésions histologiques caractéristiques, les plaques séniles et la dégénérescence neurofibrillaire. Elle est maintenant considérée comme une démence amnésique progressive et comporte des perturbations cognitives et non cognitives s’accompagnant d’un retentissement sur les activités de la vie quotidienne.

Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer

Les aspects cliniques de la maladie d’Alzheimer sont essentiels pour porter le diagnostic. Il s’agit d’une démence dégénérative qui se caractérise par un début graduel, un déclin progressif de la mémoire associé au moins à un facteur (aphasie, apraxie, agnosie, troubles des fonctions exécutives) appartenant à un autre domaine cognitif et ne pouvant être expliqué par d’autres signes neurologiques ou généraux.

Un déclin progressif de la mémoire…
Les troubles de la mémoire sont les symptômes qui conduisent le plus souvent le patient à venir consulter, sans que la plainte mnésique soit proportionnelle au déficit. Cependant, la première consultation est souvent provoquée par la famille, inquiète, car le patient est anosognosique, il méconnaît ou nie ses troubles. L’anosognosie peut être partielle au début de la maladie, le malade perçoit ses difficultés mais les minimise ou nie leur retentissement. Parfois, le niveau de tolérance de la famille aux troubles est important et la première consultation a lieu à un stade tardif de la maladie lors de la survenue de troubles du comportement. Les manifestations les plus précoces et les plus fréquentes sont des troubles de mémoire portant sur les faits récents (détails de la vie quotidienne, emplacement d’objets, nom de personnes peu familières), puis les faits anciens (personnages connus, dates historiques, dates d’anniversaires, etc.). L’entretien avec l’entourage permet d’évaluer le retentissement dans la vie quotidienne. Par ailleurs, des questionnaires évaluant la mémoire et remplis par le patient et l’entourage permettent également de qualifier et de quantifier la plainte mnésique.
… associé à d’autres manifestations cognitives et neurologiques
Les perturbations des fonctions exécutives comportent une altération de la capacité de penser de façon abstraite, de planifier, de mettre en route, d’organiser dans le temps, de contrôler et d’arrêter un comportement complexe.

Les troubles du langage - ou aphasie - peuvent retentir sur le comportement du patient : réduction de la communication verbale avec les proches, abandon d’activités telles que la lecture du journal. Dans un premier temps, il s’agit d’une altération de la facilité de parole, qui correspond au nombre de mots énoncés dans un temps limité. Le « manque » du mot est associé à des paraphasie verbales sémantiques ou emploi erroné d’un mot pour un autre avec un lien conceptuel, par exemple montre pour heure. Il faut le distinguer de la difficulté à se remémorer des noms propres qui, elle, relève du trouble de la mémoire. Le tableau est celui d’une aphasie amnésique. Dans un second temps, les symptômes s’aggravent avec production de paraphasies verbales formelles (emploi erroné d’un mot pour un autre avec un lien de consonance) et de néologismes (mots qui n’existent pas dans la langue) tandis que les troubles de la compréhension apparaissent. La répétition reste satisfaisante. Le tableau est celui d’une aphasie sensorielle transcorticale. Lors du dernier stade, le tableau évolue vers une aphasie globale avec préservation des capacités de répétition et, parfois, écholalie (le sujet répète les paroles de l’examinateur). Il faut souligner que le langage écrit est souvent plus précocement atteint que le langage oral, avec une dysorthographie (fautes d’orthographe inhabituelles).

L’apraxie est une incapacité à faire des gestes malgré des fonctions sensorielles intactes. À un stade précoce, on peut observer une apraxie réflexive ou incapacité à imiter des gestes arbitraires réalisés par l’examinateur, une apraxie visuo-constructive ou difficulté à reproduire la perspective, et une incapacité à dessiner sur ordre ou sur copie. Une apraxie idéomotrice, ou incapacité à réaliser des gestes symboliques ou des mimes d’utilisation d’objets, peut également être associée. La survenue d’une apraxie idéatoire, c’est-à-dire la perte d’utilisation des objets en capacité réelle, est souvent plus tardive et fréquemment rapportée par l’entourage. Elle retentit fortement sur la vie quotidienne (conduite automobile, bricolage, utilisation du téléphone, des appareils ménagers…). Enfin, l’apraxie de l’habillage est constante à un stade avancé de la maladie.

L’agnosie est une incapacité à reconnaître ou à identifier des objets malgré des fonctions sensorielles intactes. Elle peut se manifester par des difficultés à reconnaître des symboles abstraits tels que des logos ou des panneaux routiers. Elle est classiquement plus tardive dans l’évolution de la maladie et peut être associée à une aprosognosie, ou difficulté à reconnaître les visages, qui peut concerner le propre visage du patient qui ne se reconnaît plus dans la glace.

Enfin, les signes neurologiques somatiques apparaissent généralement à un stade tardif de la maladie et sont marqués par des troubles de la marche, une rétropulsion, des pas raccourcis et traînants. Les chutes peuvent devenir fréquentes. Des troubles moteurs dominés par la bradykinésie et l’akinésie sont également possibles. Des crises d’épilepsie isolées, de type généralisé, peuvent être observées.

Symptômes comportementaux et psychologiques des démences
Au cours de la maladie d’Alzheimer, les troubles du comportement sont précoces et fréquents. Ils aggravent les troubles cognitifs des patients et diminuent la tolérance de l’entourage [1].

À un stade précoce de la maladie, les symptômes « négatifs » sont les plus constants. Ils comportent une apathie, une indifférence affective, un apragmatisme avec défaut d’initiative, un désintérêt, une absence de plaisir et d’émotion, un repli. Les manifestations de dépression ou de dysphorie (forme atténuée de la dépression) sont également fréquentes, souvent transitoires et fluctuantes, volontiers associées à des manifestations anxieuses. Il peut exister des idées délirantes à thèmes de préjudice, de persécution et de jalousie, parfois accompagnées d’hallucinations essentiellement visuelles, parfois auditives ou cénesthésiques (perception pénible de sensations anormales au niveau du corps).

À un stade plus tardif de la maladie, l’agitation (verbale, vocale ou motrice) peut parfois s’accompagner d’agressivité verbale et plus rarement physique. L’instabilité psychomotrice se caractérise par une déambulation au cours de laquelle le patient explore les lieux, une tasikinésie qui est une incapacité à rester en place, ou un syndrome de Godot qui consiste à suivre l’aidant dans ses déplacements. Les comportements moteurs aberrants peuvent évoquer des mécanismes compulsifs comme des comptages à voix haute, des répétitions gestuelles ou verbales (faire les cent pas, ouvrir les placards et les tiroirs). Les troubles du sommeil et du rythme circadien se manifestent par une fragmentation du rythme veillesommeil, parfois une agitation en fin d’après-midi. Les troubles des conduites alimentaires sont souvent sur le mode d’une anorexie pouvant conduire à une dénutrition.

Un diagnostic clinique
Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est porté sur un ensemble decritères répondant à une standardisation internationale [2, 3] (Tableaux I et II) et identifiés à partir d’un examen clinique et neuropsychologique, et par imagerie (examen tomodensitométrique ou imagerie par résonance magnétique cérébrale). Le bilan biologique (numération formule sanguine, CRP [C reactive protein], ionogramme sanguin, bilan hépatique, dosages de TSH [thyroid stimulating hormone], de vitamine B12 et des folates) permet de vérifier l’absence de facteurs somatiques, en particulier un trouble thyroïdien, ou un déficit vitaminique, susceptibles de participer aux troubles cognitifs.

L’utilisation des critères définis par le National Institute of Neurological Disorders and Stroke (NINCDS) et l’Alzheimer Disease Related Disorders Association (ADRDA) permet de retenir le diagnostic de maladie d’Alzheimer possible ou probable avec une probabilité comprise entre 90 et 95 %. Ils permettent en outre d’éliminer un certain nombre de diagnostics différentiels [4].

De nombreux travaux de recherche clinique portent actuellement sur les troubles cognitifs légers et les phases pré-démentielles. Cependant, à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus sur les critères permettant de faire le diagnostic des phases pré-démentielles de la maladie d’Alzheimer.

Stades, évolution et facteurs de pronostic
Différents outils validés permettent d’apprécier le statut cognitif, les activités de la vie quotidienne, le stade de la démence et les symptômes comportementaux, les difficultés rencontrées par l’accompagnant et la qualité de vie [510]. Ils permettent également d’évaluer l’amélioration symptomatique sous traitement [11, 12] (Tableau III).

Pour la plupart des auteurs, la durée d’évolution moyenne de la maladie est de 5 à 9 ans. Elle pourrait cependant être plus courte (3 ans) comme le suggère l’étude récente de Wolfson et al. [13]. Le pronostic et l’évolution de la maladie pourraient également être liés à la présentation clinique bien que les données répertoriées soient controversées. Différents symptômes et signes pourraient être associés à un déclin cognitif plus rapide. Ce sont des troubles sévères du langage, des symptômes extra-pyramidaux ou psychotiques, des myoclonies, des crises d’épilepsie, une implication précoce des lobes frontaux (altération sévère des fonctions exécutives, hypométabolisme frontal sur les études d’imagerie fonctionnelle). La présence d’une apraxie ne semble pas influencer la rapidité d’évolution. La sensibilité accrue aux infections, en particulier pulmonaires et urinaires, qui peut avoir des conséquences sur le cours de la maladie, est probablement liée à une baisse des fonctions immunitaires survenant au cours de la maladie.

Le traitement de la maladie d’Alzheimer

Les anticholinestérasiques (tacrine1, donépézil, rivastigmine, galantamine) sont actuellement les seuls médicaments commercialisés en France pour le traitement de la maladie d’Alzheimer. Leur action est uniquement symptomatique, ils empêchent la dégradation de l’acétylcholine et améliorent la transmission cholinergique, système dont l’atteinte est en partie responsable des troubles mnésiques [1417]. Leurs effets bénéfiques sur les fonctions cognitives ont été prouvés par des études contre placebo. Ils réduisent le coût global de la maladie en retardant l’évolution clinique et la prise en charge des malades par une institution spécialisée. Les anticholinestérasiques peuvent être prescrits chez des patients à des stades légers à modérément sévères de la maladie d’Alzheimer. Le bénéfice du traitement dans les démences sévères et les stades prédémentiels est encore en cours d’évaluation. Les facteurs prédictifs d’une réponse positive aux anticholinestérasiques ne sont pas connus.

Seuls les neurologues, les psychiatres et les médecins ayant une compétence en gérontologie peuvent débuter le traitement et le reconduire chaque année. Le médecin généraliste peut renouveler le traitement dans l’intervalle. L’objectif est d’atteindre la dose la plus élevée possible avec le minimum d’effets secondaires.

Le bénéfice attendu du traitement est d’améliorer les fonctions cognitives ou de retarder leur déclin, et de réduire la perte d’autonomie dans la vie quotidienne et la détérioration du fonctionnement global.

Une évaluation spécialisée, complète, est pratiquée avant de débuter le traitement, puis au moins une fois par an. Elle comporte un examen physique et une évaluation de l’état nutritionnel. D’autres paramètres sont également pris en compte et permettent d’apprécier le statut cognitif, les activités de la vie quotidienne, le stade de la démence, la réponse clinique globale, les symptômes comportementaux, la charge que représente le patient pour l’accompagnant et la qualité de vie. Il n’existe pas de critère d’arrêt du traitement, qui est poursuivi tant que le malade semble en bénéficier.

Enfin, la mise en route du traitement doit s’accompagner d’un certain nombre de mesures d’accompagnement sociales et familiales liées à la nature même de la maladie et à la perte progressive d’autonomie des patients. Enfin, il paraît essentiel d’insister sur la prise en charge non pharmacologique, en particulier la stimulation cognitive dont le bénéfice sur les fonctions cognitives pourrait être similaire à celui des médicaments anticholinestérasiques

D’autres approches préventives ou thérapeutiques

Les approches thérapeutiques potentielles de la maladie d’Alzheimer découlent directement de ce que l’on connaît de sa pathogénie et de l’identification de ses facteurs de risque. Plusieurs facteurs de risque, à la fois individuels et environnementaux, ont été identifiés et sont décrits dans l’article de J.F. Dartigues (p. 737 de ce numéro). Leur connaissance est essentielle, d’une part pour avoir une meilleure compréhension des mécanismes de la maladie, d’autre part dans un but de prévention. C’est notamment le cas de l’utilisation potentielle des anti-inflammatoires non stéroïdiens, des composés visant à limiter la production de radicaux libres et de la prévention des facteurs vasculaires. D’autres approches, plus ciblées, ont pour objectif d’intervenir sur les processus qui aboutissent, au cours de cette maladie, à la production et au dépôt du peptide β-amyloïde toxique. Toutes ces approches physiopathologiques ne sont pas exclusives et seront probablement associées dans les prochaines années.

Maladie d’Alzheimer et radicaux libres
Les radicaux libres pourraient jouer un rôle dans le développement de la neurotoxicité de la protéine amyloïde, la formation des dégénérescences neurofibrillaires et la mort cellulaire. Le stress oxydatif pourrait agir à tous les stades du développement de la maladie, d’où l’idée d’une protection possible du cerveau par l’utilisation d’anti-oxydants comme l’α-tocophérol, une isoforme de la vitamine E, ou le L-déprényl (Sélégiline®), un inhibiteur de la monoamine oxydase B. Plusieurs études ont montré que l’administration de ces anti-oxydants s’oppose à la progression de la maladie, évaluée par une perte d’activités de la vie quotidienne, l’aggravation de la démence, l’institutionnalisation ou le décès. L’effet n’a cependant pas été jugé suffisant pour justifier une autorisation de mise sur le marché (AMM) [18]. Plusieurs autres inhibiteurs de la monoamine oxydase B, ainsi qu’un extrait du gingko biloba ayant des propriétés antioxydantes, sont actuellement testés.
Maladie d’Alzheimer et syndrome inflammatoire
Plusieurs observations sont en faveur de la participation d’une réaction inflammatoire au cours de la maladie d’Alzheimer. Il a en effet été noté que des cellules microgliales activées étaient présentes autour de la plaque sénile, et qu’il existait une production de cytokines inflammatoires dont certaines (interleukine-1 et interleukine-6) augmenteraient la synthèse du précurseur de la protéine amyloïde [19]. Une relation inverse entre la survenue d’une maladie d’Alzheimer ou de détérioration cognitive et la prise d’anti-inflammatoires a été suggérée. Un essai thérapeutique utilisant l’indométacine est en faveur de cette hypothèse [20]. Les nouveaux anti-inflammatoires non stéroïdiens inhibiteurs de la cyclo-oxygénase 2, mieux tolérés, pourraient être indiqués. En revanche, l’efficacité des glucocorticoïdes (prednisone, 20 mg pendant 4 semaines puis 10 mg pendant 1 an) n’est pas supérieure à celle du placebo [21].
Maladie d’Alzheimer et hormones
L’hypothèse d’un effet favorable des œstrogènes repose sur leur effet bénéfique sur la mémoire chez les femmes ménopausée ou âgées, sur le risque accru de maladie d’Alzheimer chez les femmes carencées en œstrogènes, et sur une meilleure réponse aux traitements anticholinergiques des femmes qui reçoivent un traitement substitutif œstrogénique. Certains travaux montrent que les œstrogènes pourraient favoriser la croissance des neurones cholinergiques et contrôler le métabolisme du précurseur du peptide amyloïde en favorisant les voies non amyloïdogènes et en s’opposant à l’action des radicaux libres. Ces actions pourraient contribuer à retarder ou à prévenir l’apparition de la maladie d’Alzheimer. L’étude longitudinale - mais non randomisée - de Kawas et al. [22] a montré que l’incidence de la maladie d’Alzheimer était plus faible chez les femmes soumises au traitement substitutif. De grands essais randomisés (Women Health Initiative [23]) sont en cours pour vérifier ces hypothèses. En revanche, si la maladie d’Alzheimer est constituée (avérée), deux essais randomisés, l’un de 16 semaines [24] et l’autre d’un an [25], ont montré que l’efficacité des œstrogènes n’était pas supérieure à celle du placebo.

Sur la base d’études montrant un effet bénéfique de la déhydroépiandrostérone (DHEA) sur la mémoire chez l’animal, il a été suggéré que cette hormone pourrait aussi avoir un tel effet chez l’homme. L’étude DHEAGE a montré que l’administration d’une dose de DHEA de 50 mg/jour pendant un an ne permettait pas d’améliorer les fonctions cognitives de sujets âgés en bonne santé, alors même qu’elle entraîne une augmentation significative des concentrations sanguines de DHEA, testostérone et œstradiol, qui atteignent les valeurs observées chez l’adulte jeune. Cependant, l’intérêt théorique de la DHEA sur les fonctions cognitives justifie de tester son éventuel bénéfice dans la prévention des démences au cours d’essais prospectifs randomisés contre placebo.

Maladie d’Alzheimer et facteurs vasculaires
Les facteurs vasculaires semblent jouer un rôle important non seulement dans le développement des démences vasculaires mais aussi dans celui de la maladie d’Alzheimer.

Ainsi, les sujets diabétiques ont un risque de développer une maladie d’Alzheimer multiplié par 1,9 [26]. En ce qui concerne la consommation tabagique, les premières études qui avaient suggéré son effet protecteur n’ont pas été confirmées dans des études prospectives ultérieures, qui démontrent au contraire le risque qu’elle présente de développer une maladie d’Alzheimer [27].

Le lien entre marqueurs biologiques du métabolisme lipidique et risque de maladie d’Alzheimer est également controversé. Différentes études récentes ont montré que le traitement par les statines, molécules utilisées comme hypolipémiants, pourrait avoir un effet protecteur vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer [2830]. Cependant, il s’agit d’études cas-témoins comportant de nombreux biais de sélection.

L’hypertension artérielle est un des facteurs de risque majeur des démences vasculaires. Plusieurs essais thérapeutiques ont évalué l’impact d’un traitement antihypertenseur sur les fonctions cognitives. L’étude Syst-Eur [31] a démontré que le traitement de l’hypertension systolique isolée du sujet de plus de 60 ans par un inhibiteur calcique réduisait de 55 % (p < 0,05) l’incidence des démences, qu’il s’agisse de maladie d’Alzheimer, de démences vasculaires ou mixtes (de 7,7 à 3,8 cas pour 1 000 patient-années) dans le groupe tiré au sort pour être traité (intention de traiter), et de 60 % (p < 0,03) chez les patients ayant effectivement reçu le traitement (analyse per-protocole).

En revanche, dans l’étude SHEP (systolic hypertension in the elderly program), l’incidence de la démence n’était pas statistiquement différente dans le groupe traité par diurétique (1,6 %) comparé au groupe recevant le placebo (1,9 %). Si l’on considère les résultats négatifs sur la démence observés dans l’étude SHEP [32] où l’hypertension artérielle était traitée avec des diurétiques, on peut proposer l’hypothèse selon laquelle les inhibiteurs calciques (nitrendipine) utilisés dans l’étude Syst-Eur en première intention ont eu un rôle propre de neuroprotection.

Par ailleurs, les patients ayant fait un accident vasculaire cérébral ont un risque accru de développer une maladie d’Alzheimer. Dans l’étude de population de Rochester, il existe une augmentation de 50 % de l’incidence de la maladie d’Alzheimer, un an après un infarctus cérébral comparativement aux témoins [33]. De nombreuses démences survenant après un accident vasculaire cérébral sont probablement la conséquence de la sommation des lésions cérébro-vasculaires, de celles de type Alzheimer et d’anomalies de la substance blanche. L’étude PROGRESS, menée chez les patients ayant des antécédents d’accidents vasculaires cérébraux, a montré que le traitement combiné par un diurétique associé à un inhibiteur de l’enzyme de conversion permettait de réduire de façon significative non seulement les récidives d’accident vasculaire cérébral mais également l’incidence des démences [34].

Ces résultats prometteurs justifient la mise en place d’études prospectives randomisées visant à comparer le bénéfice des différentes classes d’anti-hypertenseurs, en particulier des inhibiteurs calciques, et d’évaluer le rôle des statines dans la réduction de l’incidence de la maladie d’Alzheimer.

Les facteurs neuroprotecteurs et neurotrophiques
Outre leurs effets bénéfiques via la réduction de l’hypertension artérielle, les inhibiteurs calciques pourraient jouer un rôle neuroprotecteur en s’opposant au flux entrant de calcium dans la cellule. En effet, les lésions ischémiques cérébrales s’accompagnent d’une entrée cellulaire de calcium libérant à son tour le calcium des mitochondries et du réticulum endoplasmique. Le blocage de ces réactions en cascade pourrait éviter la mort neuronale liée à l’apport massif de calcium. Des travaux conduits avec la nimodipine, inhibiteur calcique utilisé dans le traitement du spasme artériel au cours de l’hémorragie méningée, ont montré une amélioration (non significative) des performances cognitives évaluées par des batteries de tests chez les sujets traités [35].

Le nerve growth factor (NGF) a un effet trophique sur les neurones, en particulier cholinergiques. Il n’est pas sûr, cependant, qu’il puisse être utilisé en thérapeutique en raison d’une possible toxicité à long terme, de doutes sur son efficacité et des difficultés d’administration, le NGF ne traversant pas la barrière hémato-encéphalique. En outre, les greffes neuronales sont encore au stade expérimental. Les recherches profiteront des progrès réalisés dans la chorée de Huntington.

Les agents agissant sur le peptide amyloïde
L’approche thérapeutique la plus logique est de tenter d’intervenir sur la production, le dépôt ou la neurotoxicité du peptide Pamyloïde à un stade précoce de la maladie ou chez les sujets à risque. Le précurseur du peptide β-amyloïde peut être clivé par l’α-sécrétase au sein de la séquence du peptide Aβ, ce qui constitue la voie non amyloïdogénique. Cette activité enzymatique prévient donc l’amyloïdogenèse(→). La production du peptide Aβ nécessite le clivage de ce même précurseur par deux activités enzymatiques, β-et γ-sécrétases. Leur inhibition ou la stimulation de l’α-sécrétase pourraient donc avoir un effet thérapeutique.

(→) m/s 1995, n°9, p. 1251 et 1999, n°2, p. 246

L’immunisation contre le peptide Aβ42 est en cours d’expérimentation. Il a été montré que l’injection répétée d’une protéine, appelée AN-1792, à des souris, à des cochons d’Inde, à des lapins et à des singes induisait la synthèse d’anticorps anti-peptide Aβ42. L’utilisation de modèles murins transgéniques de maladie d’Alzheimer a révélé que la production de ces anticorps réduisait la quantité des plaques amyloïdes et prévenait leur accumulation. Cependant, l’apparition d’un nombre significatif de cas d’encéphalites chez des patients traités avec le produit actif a conduit à l’arrêt de l’administration du traitement.

Conclusions

La maladie d’Alzheimer se caractérise par un début graduel, un déclin progressif de la mémoire et au moins un facteur appartenant à un autre domaine cognitif et qui ne peut être expliqué par d’autres signes neurologiques ou généraux. Le diagnostic est fait sur un ensemble decritères répondant à une standardisation internationale à partir d’un examen clinique, neuropsychologique, biogique et par imagerie (examen tomodensitométrique ou imagerie par résonance magnétique cérébrale). Le diagnostic doit être fait à un stade précoce de la maladie afin que la prise en charge ait le plus de chances de retarder son évolution. La maladie d’Alzheimer a une origine multi-factorielle. Des facteurs non modifiables, notamment génétiques, sont probablement influencés par de nombreux facteurs individuels et environnementaux. En attendant la découverte de marqueurs biologiques prédictifs de la survenue de la maladie, une meilleure connaissance de ces facteurs permet de mieux identifier les sujets à risque qui, dès lors, pourront bénéficier plus précocement des investigations diagnostiques et de la mise en route d’un traitement symptomatique.

 
Footnotes
1 La tacrine n’est plus utilisée du fait de sa toxicité hépatique.
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