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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 657–659.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867657.

Les inhibiteurs de la protéase virale du VIH affectent le facteur de transcription SREBP-1

Martine Caron, Jean-Philippe Bastard, Corinne Vigouroux, Véronique Jan, Mustapha Maachi, Martine Auclair, and Jacqueline Capeau*

Hôpital Tenon et Hôpital Rothschild, Inserm U.402, Faculté de médecine Saint-Antoine, 27, rue Chaligny, 75571 Paris Cedex 12, France
Corresponding author.
 

Les traitements anti-rétroviraux se compliquent fréquemment d’effets secondaires de type lipodystrophie, ou altération de la répartition du tissu adipeux, et/ou troubles métaboliques [1]. Le tissu adipeux est la cible de ces traitements qui modifient sa répartition et est en partie responsable des altérations métaboliques présentes, insulino-résistance, dyslipidémie et plus rarement troubles de la tolérance au glucose, voire diabète.

Les lipodystrophies ont une origine multifactorielle et impliquent des facteurs liés à l’infection, au patient (âge, sexe, facteurs nutritionnels, sédentarité) et au traitement. Les deux classes de molécules antirétrovirales les plus utilisées ont été incriminées : analogues nucléosidiques (NRTI) et inhibiteurs de la protéase virale (IP) avec un poids important de la durée de traitement et des molécules individuelles [2].

Pour essayer d’analyser le rôle des différentes molécules, plusieurs équipes ont privilégié l’étude de lignées de cellules adipocytaires capables de se différencier in vitro, le plus souvent 3T3-L1 ou 3T3-F442A. Les études à court terme ont montré que les adipocytes différenciés sont sensibles aux IP et en particulier à l’indinavir, qui induit une résistance transitoire en inhibant directement le transporteur de glucose GLUT4, spécifique de l’adipocyte et du muscle [3]. Les études à long terme ont montré, pour la plupart, que les IP empêchent le processus de différenciation adipocytaire [4]. Nous avons ainsi mis en évidence, dans les cellules 3T3-F442A, un blocage par les IP, au niveau de la membrane nucléaire, du facteur de transcription SREBP-1 (sterol regulatory binding protein) qui participe à la différenciation adipocytaire, ce qui aboutit à un défaut de différenciation, à une résistance à l’insuline [5], puis à une mort cellulaire par apoptose [6]. Les différents IP testés affectent de façon variable ces fonctions : l’indinavir a plus d’effet que le nelfinavir, alors que l’amprénavir est, dans ces conditions, quasiment dénué d’effets. En outre, dans certains adipocytes traités par IP, l’enveloppe nucléaire présente une altération de la structure du réseau filamentaire tapissant la membrane nucléaire, la « lamina », formée des deux types de lamines présentes dans les cellules différenciées, la lamine A/C et les lamines B [6]. Il est intéressant de noter que des altérations semblables de la « lamina » sont observées dans les noyaux de cellules fibroblastiques de patients présentant des mutations hétérozygotes du gène codant pour la lamine A/C, atteints de lipodystrophie associée à des troubles métaboliques [7].

(→) m/s 1999, n°10, p. 1191

Le rôle des NRTI a été moins étudié. Si les études in vitro ne montrent pas d’effets majeurs, on note cependant une diminution du contenu en triglycérides. Ces résultats sont en accord avec les hypothèses physiopathologiques proposées actuellement pour expliquer la lipo-atrophie secondaire à l’administration de NRTI seuls, qui, en général, ne s’accompagne pas de troubles métaboliques. Les adipocytes diminueraient leur synthèse de triglycérides pour faire face à une réduction de la synthèse d’ATP due à une toxicité mitochondriale des NRTI (→). Ils perdraient du poids, rendant compte de la lipo-atrophie observée [2].

Une situation particulièrement délétère et pour l’instant peu étudiée in vitro est celle qui associe les deux classes d’agents thérapeutiques, ce qui induit très probablement des effets synergiques qui pourraient rendre compte de la complexité des tableaux cliniques.

En ce qui concerne les études in vivo, une baisse importante de l’ADN mitochondrial des adipocytes a été observée par plusieurs équipes chez les patients traités par l’association IP et NRTI [8]. La présence d’une apoptose a également été rapportée [9].

Pour mieux comprendre les altérations présentes dans le tissu adipeux des patients traités, nous avons entrepris une étude collaborative entre les services de Maladies infectieuses (Willy Rozenbaum, Pierre-Marie Girard), de Chirurgie plastique (Philippe Levan), d’Anatomie pathologique (Jacqueline Luboinski) de l’Hôpital Rothschild, le service de Biochimie de l’hôpital Rothschild et de l’hôpital Tenon/Inserm U.402 et l’équipe d’Hubert Vidal et Martine Laville de l’Inserm U.449 de Lyon [10]. Les patients infectés par le VIH et recevant traitement antirétroviral associant IP et NRTI présentaient tous une lipoatrophie marquée du visage, justifiant une intervention de chirurgie plastique consistant à prélever par lipoaspiration douce du tissu adipeux sous-cutané abdominal et à le réinjecter dans les joues. Ce tissu adipeux abdominal était diminué (lipo-atrophie) mais n’était pas absent. Un échantillon était gardé, avec l’accord des patients, pour des études moléculaires, protéiques et morphologiques. Un groupe de 26 patients (21 hommes, 5 femmes) dont la durée moyenne d’infection connue était de 11 ans a été comparé à un groupe de 18 témoins (10 hommes, 8 femmes), non infectés par le VIH, appariés pour l’âge et l’index de masse corporelle.

L’étude morphologique du tissu adipeux des patients révélait de petits adipocytes groupés suggérant un processus de régénération qui était absent chez les témoins. L’analyse par RT-PCR quantitative des ARNm des facteurs de transcription adipocytaires a montré une diminution globale qui atteignait 54 % pour C/EBPβ, 76 % et 80 % pour PPARγ et C/EBPα, 94 % pour SREBP-1c. Les taux de transcrits sont corrélés, la plus forte corrélation étant observée entre SREBP-1 et C/EBPOC. L’analyse protéique par Western blot confirme la baisse de PPARy, alors que le taux de SREBP-1 est augmenté de 2,6 fois suggérant que cette étape serait altérée en priorité. Les marqueurs des fonctions adipocytaires et de la réponse à l’insuline sont diminués avec en particulier un effondrement de l’ARNm codant pour la leptine et une forte diminution de celui codant pour le transporteur de glucose GLUT4. De même, au niveau protéique, le récepteur de l’insuline et la protéine de signalisation Akt/PKB sont diminués, indiquant que le tissu adipeux des patients est mal différencié et résistant à l’insuline. De plus, la diminution de SREBP-1 est corrélée à la résistance à l’insuline des patients. Enfin, la transcription du gène codant pour le TNF-α, cytokine qui joue probablement un rôle dans la résistance à l’insuline, est triplée et corrélée négativement à celle de SREBP-1. Ainsi, nous retrouvons in vivo une altération majeure du facteur SREBP-1, cible in vitro des IP. Ces données suggèrent que, chez les patients, les IP altèrent les fonctions adipocytaires en jouant sur le même facteur aboutissant à un tissu adipeux mal différencié, résistant à l’insuline et qui, probablement, est éliminé par apoptose. Le rôle des NRTI dans ces processus n’est pour l’instant pas compris. Ce tissu adipeux anormal, en particulier lipo-atrophique en périphérie, serait en partie responsable de la résistance à l’insuline [10]. Le tissu adipeux viscéral hypertrophique pourrait être plutôt impliqué dans la dyslipidémie des patients. Les études se poursuivent pour analyser ces différents points.

References
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6.
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Vigouroux C, Auclair M, Dubosclard E, et al. Nuclear envelope disorganization in fibroblasts from lipodystrophic patients with heterozygous R482Q/W mutations in the lamin A/C gene. J Cell Sci 2001; 114 : 4459–68.
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Shikuma CM, Hu N, Milne C, et al. Mitochondrial DNA decrease in subcutaneous adipose tissue of HIV-infected individuals with peripheral lipoatrophy. AIDS 2001; 15 : 1801–9.
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10.
Bastard JP, Caron M, Vidal H, et al. Association between altered expression of adipogenic factor SREBP1 in lipoatrophic adipose tissue from HIV-1-infected patients and abnormal adipocyte differentiation and insulin resistance. Lancet 2002; 359 : 1026–31.