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Med Sci (Paris). 2002 March; 18(3): 353–356.
Published online 2002 March 15. doi: 10.1051/medsci/2002183353.

Biopsie du foie contre prise de sang pour le suivi de l’hépatite C ?

Thierry Poynard, Vlad Ratziu, Joseph Moussalli, Corinne Regimbeau, Vincent di Martino, Yves Benhamou, Rob Myers, and Françoise Imbert-Bismut

Service d’hépato-gastroentérologie, Service de Biochimie, Groupe MULTIVIRC, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris Cedex 13, France
 

L’évaluation de l’état histologique du foie est considérée comme une donnée indispensable pour décider du traitement et du suivi des sujets contaminés par le virus de l’hépatite C (VHC) [1]. La biopsie hépatique n’est toutefois pas un examen anodin [2] et, souvent vécue par les sujets contaminés par le VHC comme un examen agressif [3], elle peut se révéler un obstacle à la prise en charge efficace de l’hépatite C. Une enquête récente (Réseau Hépatite C-Auvergne, chez 1 177 généralistes) a révélé que la biopsie hépatique était refusée par 59 % des patients contaminés par le VHC et que 22 % des médecins interrogés partageaient la même crainte de la biopsie [3]. En dehors de ces enquêtes d’opinion, les études portant sur les complications de la biopsie montrent qu’une douleur est signalée chez un tiers des sujets, qu’une complication sévère existe dans 3 cas sur 1 000 et un décès dans 3 cas sur 10 000 [2, 4].

L’utilisation de marqueurs non agressifs de l’état histologique du foie pourrait donc s’avérer très importante pour assurer une prise en charge plus efficace de cette maladie. Dans cet objectif, nous avons mis au point une combinaison de tels marqueurs qui pourrait permettre de diminuer par deux le nombre de biopsies du foie chez les sujets contaminés par le VHC [5].

A quoi sert la biopsie hépatique dans la prise en charge de l’hépatite C ?

La biopsie hépatique permet tout d’abord d’estimer la gravité de l’hépatite C. La mortalité de cette maladie est liée à la survenue des complications de la cirrhose, cancer primitif du foie, hémorragie digestive et insuffisance hépatocellulaire. Plus la cirrhose se développe rapidement, plus le risque de mortalité est élevé. L’estimation de la vitesse de progression des lésions hépatiques vers la cirrhose (ou vitesse de progression de la fibrose) est donc le meilleur indice de gravité de l’infection chronique par le VHC. Une classification simple et reproductible des stades de fibrose est la classification METAVIR (acronyme du groupe de pathologistes français l’ayant validé) qui comprend cinq stades : F0 pas de fibrose, F1 fibrose limitée à l’espace porte, F2 fibrose avec quelques septums, F3 nombreux septums et F4 cirrhose. Quand la durée de l’infection est connue, il est donc possible d’estimer la vitesse moyenne de progression de la fibrose. La biopsie hépatique permet également d’estimer le grade d’activité des lésions, ’c’està-dire l’intensité de la nécrose cellulaire et de l’inflammation locale (A0 pas d’activité, A1 activité minime, A2 activité modérée, A3 activité sévère). Ce paramètre est cependant moins prédictif de la morbidité et de la mortalité que le stade de fibrose car, dans de nombreux cas, un grade d’activité élevé ne s’accompagne pas d’une évolution vers la cirrhose. Ce phénomène de tolérance à la nécrose sans fibrose n’est pas clairement expliqué mais pourrait être dû à l’intervention de facteurs antifibrosants, comme les collagénases.

Un autre intérêt de la biopsie hépatique des patients infectés par le VHC est de préciser s’il existe d’autres facteurs d’agression comme l’alcool, l’infection par le virus de l’hépatite B, la prise de médicaments hépatotoxiques, ou la présence des maladies métaboliques (diabète, hyperlipémie, hémochromatose). L’étude his-tologique peut en effet permettre de mieux faire la part entre la toxicité de ces différents facteurs.

En quoi consistent les marqueurs biochimiques de fibrose ?

Le premier point qu’il paraît important de souligner est qu’aucun test sanguin, pris isolément, ne possède des valeurs prédictives négatives ou positives suffisantes pour se substituer à la biopsie hépatique, en particulier pour le diagnostic de fibrose modérée (F2) [5]. Les tests les moins mauvais sont la détermination du taux de prothrombine et du nombre de plaquettes, et le dosage de l’acide hyaluronique et du propeptide du collagène III [6, 7]. Quant à l’échographie du foie, elle ne permet pas de prédire les stades précoces de fibrose et, même en cas de cirrhose, sa sensibilité ne dépasse pas 50 %.

Afin de déterminer la meilleure combinaison de marqueurs simples, robustes, facilement dosables et automatisables, nous avons procédé de façon prospective avec une première phase d’identification et de combinaison des marqueurs suivie d’une seconde phase de validation. Parmi une quinzaine de marqueurs potentiels de fibrose hépatique, cinq ont été sélectionnés et validés1,. L’index de fibrose combine le dosage dans le sang de l’α2-macroglobuline, l’haptoglobine, l’apolipoprotéine A1, la bilirubine totale, la γ-glutamyl transpeptidase, dont les concentrations sont ajustées selon l’âge et le sexe de la personne (Tableau I) [5].

α2-macroglobuline
L’α2-macroglobuline (α2m) est une protéine synthétisée par le foie (hépatocytes, cellules stellaires, granulomes) au cours des processus inflammatoires [8, 9]. Elle a surtout été étudiée dans les phases aiguës de l’inflammation chez l’animal et peu en situation d’inflammation chronique. Cependant, on sait que sa concentration sérique augmente avec la fibrose [10], une augmentation liée à l’activation des cellules stellaires au cours de la fibrogenèse [11]. L’α2m, inhibe les protéinases et peut donc augmenter la fibrose en inhibant le catabolisme des protéines de la matrice extracellulaire, par exemple en diminuant l’activité des collagénases [12].
Haptoglobine
L’haptoglobine est aussi une protéine synthétisée par le foie. Contrairement à l’α2m, sa concentration diminue en cas de fibrose [1314], et ce de façon indépendante de l’hémolyse ou de l’insuffisance hépatique. Cet effet opposé de la fibrose sur l’α2m et l’haptoglobine pourrait être expliquée par des régulations inverses de l’hepatocyte growth factor (HGF) et du transforming growth factor (TGF) β1 pendant la fibrogenèse et l’inflammation [14, 15]. De façon surprenante, nous avons constaté que la fibrose hépatique est associée à une augmentation de l’HGF et à une diminution du TGFβ1, et non pas à une augmentation comme on pouvait s’y attendre [5]. On peut envisager, comme cela a été montré au cours de la fibrose expérimentale, que ce soit l’HGF qui soit responsable de la diminution de l’expression du TGFβ1 [15]. De même, il a été montré qu’in vitro l’HGF stimule la synthèse d’α2m et diminue la synthèse d’haptoglobine [1517].
Apolipoprotéine A1
L’apolipoprotéine A1 (ApoA1), synthétisée par les hépatocytes, est le composant protéique des particules HDL (high density lipoprotein) dont le rôle est le transport du cholestérol. En cas de fibrose hépatique, il existe d’une part une diminution de la transcription de l’ApoA1 et, d’autre part, une rétention de la protéine sécrétée par les composants de la matrice extracellulaire déposés en excès, en particulier la fibronectine. [18]. Ceci est probablement la cause de la diminution de la concentration sérique d’ApoA1.
Bilirubine totale
La bilirubine est un pigment protéique provenant de la dégradation de l’hémoglobine. Elle est normalement épurée du sang par le foie qui l’évacue dans la bile. En cas de fibrose, la concentration plasmatique de bilirubine augmente.
γ-glutamyl transpeptidase
La γ-glutamyl transpeptidase (γGT) est une enzyme synthétisée par les hépatocytes. Sa concentration augmente en cas de fibrose, mais les mécanismes impliqués sont inconnus. Dans notre expérience, cette augmentation est associée à celle de l’HGF mais est indépendante de celle des transaminases et de la bilirubine. Une hypothèse serait, qu’en dehors même de toute cholestase, cet effet soit dû à une stimulation de la synthèse de l’epidermal growth factor au cours de la fibrogenèse [19].
Interprétation et limites des marqueurs biochimiques de fibrose

La combinaison de ces cinq marqueurs a permis de définir, par une régression logistique, un index de fibrose compris entre 0,00 et 1,00. Quand cet index reste très bas (de 0,00 à 0,10), la probabilité d’avoir une fibrose significative dans le foie est très faible, proche de zéro. Quand l’index est compris entre 0,60 et 1,00, la probabilité de fibrose est supérieure à 90 %. Entre 0,10 et 0,60, les valeurs prédictives sont inférieures à 90 % et il est conseillé de pratiquer une biopsie (Figure 1).

Validation dans d’autres populations de patients contaminés par le VHC
Afin de vérifier la reproductibilité de cette combinaison de marqueurs, nous avons analysé de façon rétrospective le sérum de 165 patients inclus dans un essai randomisé multicentrique visant à évaluer l’efficacité d’un traitement par l’interféron. Dans cette étude, deux biopsies hépatiques ont été effectuées, avant et après le traitement, et la valeur du test de fibrose a été comparée à celle de l’acide hyaluronique à partir de prélèvements sanguins effectués au même moment que les biopsies [20]. Les résultats montrent que l’index de fibrose produit les mêmes valeurs prédictives pour la fibrose et l’activité en comparaison avec l’étude précédente. De plus, il existe une très bonne corrélation entre la réponse virologique et les marqueurs biochimiques de fibrose (Figure 2). La valeur diagnostique de la combinaison des cinq marqueurs biochimiques se révèle supérieure à celle de l’acide hyaluronique que ce soit avant, pendant, ou après le traitement.

Pour l’instant, ce test biochimique de fibrose fait encore partie du domaine de la recherche clinique et il apparaît indispensable de poursuivre des études prospectives afin de déterminer dans quelles conditions il pourra se substituer à la biopsie hépatique. Les résultats obtenus indiquent que ce test pourrait déjà permettre de simplifier l’abord initial et le suivi des patients après leur traitement. Des résultats préliminaires suggèrent également son utilité dans d’autres maladies fibrosantes comme l’hépatite B ou les hépatopathies alcooliques. La simplification de l’estimation de la gravité des atteintes histologiques du foie est un impératif compte tenu de la disponibilité de traitements maintenant très efficaces.

 
Footnotes
1 Des détails et des exemples sont disponibles sur le site www.fibrotest.com
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