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Med Sci (Paris). 2002 March; 18(3): 263–264.
Published online 2002 March 15. doi: 10.1051/medsci/2002183263.

L’infection par le virus de l’hépatite C

Michel Kazatchkine

Directeur de l’ANRS, Agence nationale de recherches sur le sida, 101, rue de Tolbiac, 75013 Paris, France
 

L’infection par le virus de l’hépatite C (VHC) apparaît clairement comme un problème majeur de santé publique dans le monde. On estime à près de 170 millions le nombre de personnes infectées, soit 3 % de la population du globe. Aux États-Unis, la prévalence de la séropositivité pour le VHC est de 1,8 % dans la population générale : il y aurait ainsi dans ce pays plus de 2,5 millions de personnes atteintes d’une hépatite chronique active, si l’on considère que le virus se réplique chez trois personnes séropositives sur quatre. En Égypte, le pays le plus touché du monde, la prévalence de l’infection atteint 20 %. En France, 500 à 600 000 personnes seraient infectées.

L’infection par le VHC n’est que récemment reconnue : le virus - un virus à ARN de la famille des Flaviviridae, assez proche des virus de l’hépatite G, de la dengue et de la fièvre jaune - n’a été identifié qu’en 1985. Il s’agit d’une infection dont on a compris trop tardivement combien elle est liée à un risque de transmission iatrogène. En France, la transfusion sanguine et de produits dérivés du sang a été, sans aucun doute, le premier facteur de contamination. La sélection des donneurs de sang, les techniques sensibles de dépistage des anticorps anti-VHC et, dorénavant, le dépistage du virus par PCR, ont réduit le risque transfusionnel résiduel estimé aujourd’hui à 1/700 000. Si, par ailleurs, les risques de transmission du VHC de la mère à l’enfant et par voie sexuelle sont considérés comme très faibles, le principal mode de contamination actuel apparaît être la toxicomanie intraveineuse : plus résistant que le VIH, le VHC peut se transmettre par les seringues et également par le partage de certains matériels annexes utilisés par les usagers de drogues. Il existe néanmoins des infections dont on comprend encore mal le mode de transmission. Ainsi, bien que le nombre de cas incidents ait considérablement diminué au cours de ces dix dernières années dans la population générale, la contagiosité du virus justifie que les campagnes d’information se poursuivent et s’intensifient, en particulier auprès des populations à risque. Ces campagnes resteront l’un des objectifs prioritaires, avec l’incitation au dépistage, du nouveau plan de lutte contre le VHC que le ministère de la Santé annonce en mars 2002. On en mesure l’importance quand on sait qu’environ 200 000 personnes ignorent leur statut virologique pour le VHC et que l’infection non traitée évolue vers une pathologie chronique dans 80 % des cas ; 20 % des personnes chroniquement infectées développeront une cirrhose et 1 à 5 % parmi celles-ci évolueront chaque année vers le cancer du foie. Les mesures prises par les pouvoirs publics sont d’autant plus justifiées que la bi-thérapie par l’interféron α et la ribavirine permettent maintenant d’obtenir une réponse virologique satisfaisante dans près de 50 % des cas.

Le plan national de lutte contre le VHC comporte également un « volet recherche », confiant la responsabilité de l’animation et du financement de la recherche clinique, thérapeutique et en santé publique à l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida). En 2001, à la fin du programme « microbiologie, maladies infectieuses et parasitaires » conduit par le ministère de la Recherche, l’Inserm décidait d’intensifier son engagement dans la recherche sur l’hépatite C, en lançant une « action thématique programmée ».

L’ANRS a engagé la communauté scientifique à définir ses priorités de recherche1 et structuré les activités d’animation et d’évaluation.

En confiant à l’ANRS la responsabilité de coordonner la recherche sur l’hépatite C, le gouvernement a probablement pensé que la recherche clinique sur l’infection par le VHC pourrait rapidement bénéficier de l’expérience acquise et des structures mises en place par l’Agence qui ont permis à celle-ci de promouvoir et réaliser plus d’une centaine d’essais thérapeutiques dans l’infection par le VIH. Je suis convaincu qu’outre ces aspects d’organisation des essais cliniques, les champs d’interactions possibles et souhaitables sont nombreux entre les deux communautés de recherche et devraient enrichir la réflexion scientifique. Parmi ces champs, on peut citer :

  • Les recherches épidémiologiques et socio-comportementales sur la prévention des infections et les prises de risque dans les populations exposées, particulièrement les toxicomanes par voie intraveineuse parmi lesquels 70 % de ceux qui sont infectés par le VIH le sont également par le VHC.
  • La recherche sur les déterminants de la réponse immunitaire cellulaire au cours de la primo-infection. L’infection par le VIH et celle par le VHC présentent un certain nombre d’analogies. Ainsi, la clairance du virus qui survient dans les premières semaines après l’infection est clairement liée à l’intensité et à la qualité de la réponse lymphocytaire cytotoxique CD8. L’élaboration de cette réponse est elle-même dépendante d’une réponse CD4 spécifique antivirale. Enfin, dans les deux infections, la diversité virale est moindre au décours de la primo-infection lorsque la réponse immunitaire est meilleure ; l’évolution vers la chronicité dépend, elle, d’une incapacité de la réponse immunitaire initiale à éradiquer le virus. Ces analogies doivent être cependant discutées en gardant à l’esprit, qu’à la différence de l’infection par le VIH, il est très probable que la réponse immunitaire lors de la primo-infection peut suffire à éradiquer le virus chez un certain nombre de personnes qui s’infectent par le VHC. La recherche dans ce domaine a, bien évidemment, des implications vaccinales, même si l’on peut probablement nourrir des espoirs plus importants d’induire des anticorps neutralisants, outre des réponses lymphocytaires T, dans le cas d’un vaccin contre l’hépatite C que dans celui contre le VIH. On peut voir dans ces exemples combien la recherche clinique, comme nous l’a appris l’histoire de l’acquisition des connaissances dans la maladie VIH, permet de faire se rencontrer des disciplines (cliniciens, virologues, immunologistes) et nourrir ainsi la réflexion sur de nouvelles approches thérapeutiques.
  • L’immunothérapie est explorée dans les deux infections comme une approche complémentaire aux médicaments antiviraux, qu’il s’agisse des cytokines recombinantes ou de la vaccination thérapeutique. Les premiers essais sont en cours dans l’infection par le VIH.
  • La co-infection par le VIH et le VHC dont les conséquences dramatiques se manifestent maintenant chez certains patients ayant bien répondu aux traitements antirétroviraux du VIH. Ainsi, sait-on que la réponse à la bi-thérapie par interféron et ribavirine est significativement plus faible chez les patients coinfectés qu’elle ne l’est chez les patients monoinfectés par le VHC. L’impact clinique et les conséquences thérapeutiques de la co-infection justifient que des programmes de recherche soient rapidement menés.

La richesse de ce numéro de médecine/sciences reflète la vigueur actuelle de la recherche sur l’hépatite C. Le nombre important de personnes infectées, les risques à long terme de cette infection, les insuffisances des traitements dont on dispose actuellement - en particulier pour les patients non répondeurs et ceux les plus gravement atteints -, la difficulté d’élaborer un vaccin préventif, justifient sans aucun doute que cet effort se trouve encore amplifié.

 
Footnotes
1Voir à ce propos, Accroître l’effort de recherche sur l’hépatite C, ANRS-Information n°33, janvier 2001.