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Med Sci (Paris). 2003 August; 19(8-9): 783–785.
Published online 2003 August 15. doi: 10.1051/medsci/20031989783.

Protéine cellulaire du prion : au-delà des encéphalopathies spongiformes

Luc Dupuis and Jean-Philippe Loeffler*

EA 3433, Laboratoire de signalizations moléculaires et neurodégénérescence, Faculté de médecine, 4, rue Blaise-Pascal, 67000 Strasbourg, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Maladie de Creutzfeldt-Jakob, Humains, Maladies neurodégénératives, Protéines PrPC, Maladies à prions

 

Les maladies à prion, ou encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST), sont à la lisière des maladies génétiques et des maladies infectieuses. Le développement d’une maladie à prion nécessite l’expression d’une protéine normale de la cellule, appelée protéine du prion (PrPC, C pour cellulaire), l’invalidation chez la souris du gène codant pour PrPC entraînant en effet une résistance des animaux aux prions [ 1]. Quel est le rôle de PrPC au cours des ESST ? PrPC est progressivement convertie au cours de la maladie en une forme anormale, PrPSc (Sc pour scrapie), insoluble et résistante aux protéases, dont de nombreux indices expérimentaux suggèrent qu’elle constitue à elle seule la particule infectieuse prionique [ 2]. De plus, l’existence, dans des cas de maladies à prion familiales, de mutations dans le gène codant la protéine PrPC renforce encore le lien entre PrPC et maladies à prion.

L’implication de PrPC dans les ESST suggère qu’elle pourrait intervenir lors d’autres pathologies neurodégénératives. Plusieurs groupes ont ainsi étudié systématiquement les niveaux de PrPC chez des patients atteints de maladies d’Alzheimer ou de Parkinson (Tableau I). De façon générale, il semble que ces maladies neurodégénératives soient caractérisées par une augmentation générale des niveaux de PrPC [ 3]. On observe ainsi un enrichissement en PrPC dans les plaques séniles de patients atteints de maladie d’Alzheimer [ 4], ainsi que dans les neurites dystrophiques de ces mêmes patients, ces deux types de structure étant caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Cette observation semble relativement spécifique, aucune immunoréactivité de PrPC n’étant retrouvée dans d’autres types d’inclusions cellulaires comme les corps de Lewy ou de Bunina.

Quelle est la fonction de cette augmentation d’expression de PrPC dans ce contexte de neurodégénérescence ? La réponse à cette question ne peut encore être définitive. En effet, la fonction cellulaire de PrPC reste encore largement débattue, bien que son extrême conservation évolutive atteste de son importance (→). Ainsi, les souris invalidées pour PrPC ne présentent pas de phénotype majeur [1]. PrPC est une protéine essentiellement exprimée dans le système nerveux central et particulièrement au niveau des terminaisons synaptiques [ 5]. Il semble acquis qu’elle lie le cuivre [ 6], ce qui lui conférerait une activité antioxydante ou un rôle dans les mouvements cellulaires du cuivre [ 7]. Par ailleurs, un rôle lui a été attribué dans le contrôle de la survie neuronale, peut-être par l’activation de voies de transduction neuroprotectrices [ 810]. D’autres auteurs montrent que PrPC pourrait dans certaines conditions être au contraire proapoptotique [ 11]. Quelle que soit la fonction exacte de PrPC, l’augmentation de son expression au cours des maladies neurodégénératives apparaît comme une réponse physiologique (neuroprotectrice ?) possible à une situation de stress cellulaire.

(→) m/s 2002, n°12, p.1267

Parmi l’ensemble des pathologies neurodégénératives étudiées, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) fait exception en présentant une régulation de l’expression de PrPC opposée aux autres maladies neurodégénératives. Deux études indépendantes arrivent en effet à cette conclusion. Notre équipe a montré que les niveaux d’expression de PrPC sont diminués, tant en ce qui concerne l’ARNm que la protéine, dans un modèle de souris porteuses d’une mutation de la SOD (superoxyde dismutase-1) identique à celle retrouvée dans certaines formes de SLA. Cette réduction de PrPC ne s’accompagne pas d’une accumulation de PrP résistante aux protéases. Elle est spécifique de la mutation SOD1, car elle n’est pas retrouvée chez des souris surexprimant la forme sauvage de la SOD1 [ 12]. Enfin, la répression de PrPC n’est pas dépendante de phénomènes de dénervation: en effet, elle n’est pas retrouvée dans la moelle lombaire de souris dont le nerf sciatique a été sectionné [ 13]. L’équipe de Budka a récemment confirmé nos observations réalisées chez la souris auprès de patients atteints de SLA [3]: il existe, par rapport à des témoins, une diminution significative des niveaux de PrPC dans 9 cas. La SLA est donc un cas particulier parmi les maladies neurodégénératives.

La diminution d’expression de PrPC contribue- t-elle à la neurodégénérescence au cours de la SLA ? Une manière de répondre à cette question serait de croiser des modèles animaux de SLA porteurs de mutations SOD1 avec des animaux issus de lignées transgéniques exprimant des niveaux variés de PrPC. Ces études devraient permettre de déterminer directement si la protéine PrPC possède un rôle neuroprotecteur in vivo. L’observation inattendue d’une régulation négative de PrPC dans la SLA suggère que la protéine PrPC est susceptible de jouer un rôle dans la physiopathologie de maladies neurodégénératives autres que les formes génétiques ou transmissibles des maladies à prion. L’expression de cette protéine n’est cependant pas restreinte au système nerveux central; la protéine PrPC est retrouvée dans de nombreux tissus, et en particulier dans le muscle squelettique.

Des études récentes suggèrent d’ailleurs que cette protéine PrPC pourrait également jouer un rôle dans différentes maladies neuromusculaires. Ainsi, les niveaux de PrPC sont nettement augmentés dans certains cas sporadiques de myosites à inclusion, de polymyosites et de dénervations neurogènes [ 14, 15]. Ces résultats sont parfaitement cohérents avec nos propres données montrant que l’expression de PrPC est nettement augmentée dans le muscle gastrocnémien de souris après section du nerf sciatique, montrant que le gène codant pour la PrPC est un gène de réponse à la dénervation. Une telle augmentation de PrPC dans le tissu musculaire est susceptible d’être délétère: en effet, les premières lignées de souris transgéniques surexprimant PrPC présentaient un phénotype neuromusculaire très accentué, caractérisé notamment par une nécrose du tissu musculaire et une neuropathie démyélinisante [ 16]. De plus, la surexpression d’un mutant insertionnel de PrPC associé à des formes familiales d’ESST produit une myopathie primaire [ 17], montrant ainsi que les fonctions potentielles de PrPC ne sont pas restreintes au système nerveux central.

La protéine PrPC, initialement reconnue comme un déterminant des maladies à prion, est donc vraisemblablement beaucoup plus que le vecteur ou le support endogène de ces pathologies. Elle semble aussi être un acteur majeur de voies de transduction potentiellement importantes dans la survie neuronale, ce qui explique son implication générale dans de nombreuses pathologies neurodégénératives, mais aussi musculaires. Il reste cependant à élucider quelles pourraient être la (ou les) fonction(s) cellulaire(s) contrôlée (s) par PrPC. Parmi celles-ci, on peut évoquer une fonction mitochondriale. La contribution de la mitochondrie aux pathologies neurodégénératives est maintenant bien établie dans les maladies d’Azheimer et de Parkinson, ainsi que dans la SLA, et il est intéressant de noter que l’un des principaux effets de l’invalidation du gène de la PrPC est une altération du nombre et de la morphologie des mitochondries [ 18]. La protéine PrPC pourrait donc être l’un des chaînons manquants de la régulation extracellulaire de la biogenèse et du fonctionnement mitochondrial. On comprend dès lors les conséquences d’une modification même minime de sa structure ou de son expression.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient le GIS pour son soutien financier.

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