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Med Sci (Paris). 2003 May; 19(5): 527–528.
Published online 2003 May 15. doi: 10.1051/medsci/2003195527.

Comment localiser un gène morbide sans étude de liaison génétique ?

Pascale de Lonlay

Inserm U.393, Hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France

MeSH keywords: Animaux, Cartographie chromosomique, Chromosomes, Cricetinae, Gènes, Test de complémentation, Maladies génétiques congénitales, Liaison génétique, Humains, Cellules hybrides, Souris, Cartographie par hybrides de radiation

 

Cette question se pose de plus en plus souvent pour les maladies génétiques dites orphelines car les études de liaison génétique sont souvent très limitées ou impossibles du fait de la petite taille des familles ou de l’hétérogénéité génétique. C’est le cas des maladies mitochondriales, qui, bien que relativement fréquentes (1/10000 naissances environ) [ 1], sont extrêmement hétérogènes tant sur le plan clinique que génétique. On ne connaît pas encore tous les gènes codant pour des protéines mitochondriales chez l’homme, mais on peut estimer qu’il en existe plusieurs centaines. On ne s’étonne donc pas alors de rencontrer des maladies mitochondriales dues à des gènes « privés » [ 2]. Cette caractéristique rend l’identification des gènes responsables de ces maladies par liaison génétique extrêmement difficile et réalisable uniquement dans les familles de grande taille.

Complémentation fonctionnelle par transfert de chromosome

Pour contourner cette difficulté, le groupe d’A. Munnich a élaboré une approche de complémentation fonctionnelle par transfert de chromosome [ 3]. Le principe de cette approche est d’introduire, dans des cellules issues de patients et mises en culture, en l’occurrence des fibroblastes, les différents chromosomes humains et d’observer les conséquences de ce transfert sur le phénotype des cellules. Les chromosomes humains sont porteurs d’un gène de sélection, le plus souvent codant pour une protéine de résistance à un antibiotique. Une correction du déficit enzymatique de la chaîne respiratoire dans les clones obtenus montrera que le chromosome introduit porte le gène qui est muté chez le patient. Les chromosomes humains sont obtenus par fragmentation de cellules hybrides stables homme-rongeur ne contenant qu’un seul chromosome humain. Les microcells contenant ce chromosome sont ensuite fusionnées avec les fibroblastes de patients présentant un déficit de la chaîne respiratoire (Figure 1). Cette technique n’avait été utilisée auparavant qu’une seule fois avec succès dans le domaine des maladies mitochondriales [ 4] et a été très améliorée par l’utilisation d’un milieu sélectif dans lequel les cellules déficitaires meurent en quelques jours (→). Ce milieu, dépourvu de sucres, impose aux cellules de ne vivre que sur ce qui est produit par leur chaîne respiratoire et permet une discrimination rapide de l’efficacité de la complémentation sur la fonction mitochondriale. Ainsi, seules survivront les cellules qui auront intégré le chromosome normal portant le gène dont l’anomalie est, dans les cellules du patient, responsable du déficit, sans qu’il y ait besoin d’appliquer une sélection par un antibiotique. La seule présence d’un clone permet d’identifier le chromosome en cause et l’étude biochimique de ce clone ne fait que confirmer qu’il y a bien eu correction du déficit.

(→) m/s 1999, n° 3, p. 409

Complémentation fonctionnelle par transfert de fragments de chromosomes

Une fois qu’un chromosome a été identifié, on est malheureusement encore assez loin d’avoir trouvé le gène responsable de la maladie. Les lignées Genebridge 4 (GB4) du Généthon, qui ont permis le séquençage du génome humain, ont ensuite été utilisées pour identifier de petites régions chromosomiques. Le panel GB4 est constitué de 93 lignées homme-rongeur qui sont des hybrides d’irradiation, chacune contenant environ un tiers du génome humain [ 5]. Pour chaque patient, une vingtaine de ces lignées a été utilisée. Dans chaque analyse, ces lignées ont été fragmentées pour donner des microcells contenant des morceaux de chromosomes humains, et ces fragments ont été ensuite fusionnés avec les fibroblastes des patients. Là encore, l’utilisation du même milieu sans sucres permet une sélection directe des cellules dans lesquelles une chaîne respiratoire fonctionnelle a été restaurée. La comparaison du contenu génétique des différentes lignées qui ont survécu et abouti à la production d’un clone permet alors de définir la région commune minimale qui contient le gène en cause. Si cette approche de complémentation fonctionnelle par transfert de chromosome ou de fragments de chromosome est relativement séduisante, elle n’en demeure pas moins extrêmement lourde. Il faut en effet effectuer le transfert des 23 chromosomes humains (22 autosomes et le chromosome X) puis celui d’une vingtaine de lignées GB4. Par ailleurs, le temps requis pour l’apparition de clones est souvent supérieur à un mois. La lourdeur de ce travail a conduit à n’étudier que deux patients et, pour chacun d’entre eux, il a été possible d’identifier un locus, l’un en 12 p13 et l’autre en 7p21. La taille des régions chromosomiques identifiées est tout à fait comparable à ce que l’on pourrait obtenir par des études de liaison génétique puisqu’elle représente respectivement 4 et 12 Mb. À l’heure actuelle, aucun gène candidat évident n’est présent dans cette région et une étude systématique des gènes de la région devra être envisagée.

Cette approche représente donc une alternative de choix pour localiser un gène morbide associé à une maladie récessive dans des cas sporadiques ou de très petites familles. Il y a cependant plusieurs contraintes et limites à son utilisation. La première condition est que les cellules du patient doivent exprimer le déficit enzymatique et l’on sait que les déficits de la chaîne respiratoire ne s’expriment dans les fibroblastes que chez la moitié des patients seulement. Ces cellules doivent, par ailleurs, être très rapidement contresélectionnées dans le milieu sélectif et là encore une mortalité rapide n’a pu être montrée que pour la moitié des cellules étudiées. Enfin, les lignées GB4 ont une stabilité qui n’est pas parfaite et il est toujours possible qu’une partie du matériel génétique humain contenu dans ces lignées soit perdu en cours d’expérience. Seules les lignées donnant un résultat positif seront donc retenues. Pour améliorer le niveau d’information qui résulte de cette approche et réduire une région chromosomique, il faudra alors augmenter le nombre de lignées utilisées.

Quoi qu’il en soit, les résultats de ce travail sont assez prometteurs et permettent d’envisager une application plus large pour localiser les gènes atteints dans les maladies mitochondriales. Enfin, dans la mesure où un phénotype cellulaire est facilement analysable et où une sélection des cellules corrigées pour ce déficit est possible, il sera alors envisageable d’utiliser cette approche dans d’autres maladies génétiques.

References
1.
Von Kleist-Retzow JC, Cormier-Daire V, de Lonlay P, et al. A high rate (20%- 30%) of parental consanguinity in cytochrome-oxidase deficiency. Am J Hum Genet 1998; 63: 28–35.
2.
Shoubridge EA. Nuclear genetic defects of oxidative phosphorylation. Hum Mol Genet 2001; 10: 2277–84.
3.
De Lonlay P, Mugnier C, Sanlaville D, et al. Cell complementation using Genebridge 4 human: rodent hybrids for physical mapping of novel mitochondrial respiratory chain deficiency genes. Hum Mol Genet 2002; 11: 3273–81.
4.
Zhu Z, Yao J, Johns T, et al. SURF1, encoding a factor involved in the biogenesis of cytochrome c oxidase, is mutated in Leigh syndrome. Nat Genet 1998; 20: 337–43.
5.
Gyapay G, Schmitt K, Fizames C, et al. Radiation hybrid map of the human genome. Hum Mol Genet 1996; 5: 339–46.