Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2003 March; 19(3): 265–267.
Published online 2003 March 15. doi: 10.1051/medsci/2003193265.

Cellules souches endogènes : une vraie perspective thérapeutique pour les accidents vasculaires cérébraux?

Brigitte Onténiente* and Sowmyalakshmi Rasika

Inserm U.421, Faculté de Médecine, 8, rue du Général Sarrail, 94010 Créteil Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Différenciation cellulaire, Humains, Plasticité neuronale, Transplantation de cellules souches, Accident vasculaire cérébral

 

En 1921, Santiago Ramón y Cajal décrit les cellules immatures observées dans le cerveau comme des « cellules neuro-épithéliales transformées déplacées ». Le concept de l’existence de cellules susceptibles de se diviser et de renouveler des populations neuronales dans le cerveau adulte s’oppose depuis quelque temps au principe de base de la neurogenèse qui est de s’achever avec la période développementale. Ce principe était, il est vrai, déjà bien malmené par les observations accumulées depuis deux décennies, des capacités de remodelage liées à l’activité physiologique ou aux réponses post-lésionnelles. Quelques démonstrations de l’existence de précurseurs neuraux étaient pourtant parues à deux reprises, au début des années 1960 [ 1] et dans le milieu des années 1980 [ 2], donnant les prémices de ce qui est devenu une aventure scientifique enthousiasmante, couplée à des perspectives thérapeutiques sans précédent [ 35].

Contrairement aux autres vertébrés, notamment les oiseaux [5], la neurogenèse dans le système nerveux central (SNC) des mammifères adultes est restreinte à deux régions, la zone sous-ventriculaire (ZSV) des ventricules latéraux et la couche sous-granulaire du gyrus dentelé (GD) dans l’hippocampe. Les précurseurs qui naissent dans la ZSV migrent le long du trajet rostral jusqu’au bulbe olfactif où ils se différencient en interneurones dans les couches granulaire et glomérulaire (voir Figure 1 de la Nouvelle de N. Picard-Riera et al., p. 264 de ce numéro). Au niveau de l’hippocampe, les neurones nouvellement formés s’intègrent dans le circuit de la couche granulaire du GD. Dans les deux cas, il s’agit de neurones, mais leur phénotype neurochimique diffère: ceux du bulbe olfactif sont GABAergiques, il s’agit d’interneurones inhibiteurs, ceux du GD sont glutamatergiques, excitateurs, et ont des projections longues, bien que non myélinisées. Le cerveau adulte contient donc des progéniteurs susceptibles de donner naissance à des neurones fonctionnellement très différents. Ce potentiel s’étend à d’autres structures, comme le striatum, et est fortement exacerbé par une situation lésionnelle expérimentale. Toujours contrairement aux oiseaux, chez lesquels les neurones nouvellement formés sont indispensables à l’adaptation saisonnière du chant, on ignore la finalité de cette « neurogenèse adulte » chez les mammifères, pourtant présente chez toutes les espèces étudiées, y compris chez l’homme [ 6].

L’engouement pour les cellules souches s’explique par le fait que la neurogenèse chez l’adulte est très exacerbée par les situations expérimentalement pathologiques, ce qui ouvre des perspectives thérapeutiques importantes pour les maladies neurodégénératives. On sait que l’épilepsie, l’ischémie cérébrale, ou la lésion du système nigro-strié, accroissent considérablement la neurogenèse observée spontanément dans la ZSV et le GD [ 7]. Le cerveau dispose donc d’un potentiel latent d’auto-réparation. Cependant, l’étendue des déficits fonctionnels dans ces trois situations indique que ce potentiel, s’il existe, reste inefficace. Cet échec peut s’expliquer de différentes façons: soit les précurseurs produisent un nombre insuffisant de neurones, soit ceux-ci ne sont pas viables, soit ils sont incapables de restaurer les fonctions affectées en raison d’un défaut de différenciation. Ce défaut peut correspondre à l’acquisition d’un phénotype inadéquat en termes morpho-fonctionnels, ou encore à un défaut d’axogenèse ou de synaptogenèse, étapes ultimes de la différenciation qui conditionnent leur intégration dans le circuit lésé. Si les premières conditions étaient envisageables, voire démontrées dans certains cas, la troisième restait bien lointaine. Deux articles viennent de repousser les limites du possible.

Augmenter le nombre de neurones

Accentuer la prolifération des précurseurs neuraux ne signifie pas augmenter le nombre de neurones. Les progéniteurs peuvent donner naissance à différents types de cellules, neurones, astroglie et oligodendrocytes en particulier [ 8]. Leur prolifération est contrôlée par une combinatoire de facteurs activés par l’état lésionnel. Bien que ces facteurs ne soient pas, ou encore très peu, connus -les analyses in vitro ont permis d’en définir un certain nombre - on sait qu’ils dépendent de la localisation de la lésion, de son étendue et de sa durée.

Deux heures d’ischémie focale par occlusion de l’artère cérébrale moyenne (OACM) chez le rat entraînent la disparition quasi complète des neurones dans les cadrans latéro-caudaux du striatum. Les régions plus médianes et frontales sont préservées. Cinq semaines après l’occlusion, les régions déplétées contiennent des neurones nouvellement formés. Dans son dernier article, l’équipe d’Olle Lindvall [ 9] évalue l’augmentation de neurones néo-formés après ischémie à un facteur 30 par rapport à la neurogenèse spontanée dans cette région. Les nouvelles cellules migrent séparément ou en chaînes et sont distribuées selon un gradient décroissant de la ZSV aux cadrans lésés du striatum. Elles n’atteignent pas le cortex, qui est lui aussi le siège d’une dégénérescence secondaire après OACM, ce qui indique, soit qu’il existe des facteurs mécaniques ou moléculaires qui les empêchent de traverser le corps calleux, soit que la lésion est de nature différente. La lésion corticale est en effet retardée, secondaire à la lésion striatale dans ce modèle et procède par des mécanismes différents. La neurogenèse semble donc déterminée à la fois par le type de tissu atteint et par l’intensité de l’atteinte. Il se peut également qu’elle ne soit possible que dans certaines structures cérébrales.

Le deuxième article [ 10] ajoute au premier un fait important. L’augmentation de la prolifération induite par l’ischémie peut être encore accentuée in vivo par l’ajout de facteurs trophiques. Il s’agit cette fois d’un modèle d’ischémie globale provoquée par l’arrêt général de la circulation cérébrale pendant quelques minutes. Cette occlusion entraîne en quelques jours la perte des neurones pyramidaux du champ CA1 de l’hippocampe. Un petit pourcentage de neurones pyramidaux réapparaît dans la couche détruite à plus long terme. On ignorait jusqu’à présent s’il s’agissait de neurones nouvellement formés ou de neurones atrophiés qui auraient repris une morphologie normale. L’équipe de Masato Nakafuku vient de valider la première hypothèse. Ils montrent également que cette neurogenèse est accentuée d’un facteur 4 et 6 par l’administration intra-cérébroventriculaire de fibroblast growth factor-2 (FGF-2) et d’epidermal growth factor (EGF), respectivement. Ces deux facteurs sont utilisés in vitro et in vivo pour leur effet mitogène sur les progéniteurs et sont dépourvus d’effet neuroprotecteur dans cette situation expérimentale, ce qui élimine l’hypothèse d’une action trophique sur des neurones pyramidaux atrophiés.

Ces deux articles confirment que les capacités de neurogenèse sont stimulées dans le SNC adulte par une lésion, et montrent qu’il est possible d’accentuer de façon conséquente la prolifération des précurseurs grâce à des facteurs exogènes. Les neuroblastes produits sont viables pendant plusieurs semaines et capables de migration vers les territoires dépeuplés. Ces résultats importants déplacent maintenant les recherches vers deux points majeurs, celui de l’administration intracérébrale de facteurs polypeptidiques, et celui de la caractérisation des mécanismes qui gouvernent la multiplication des précurseurs neuraux chez l’adulte.

Orienter la différenciation

Les progéniteurs de la couche sous-granulaire du GD se différencient en temps normal en neurones et en astrocytes. Les neurones sont d’un seul type, granulaire et glutamatergique, comme le sont ceux du GD. Les astrocytes colonisent la région du hile. À l’inverse, les précurseurs de la ZSV donnent naissance aux interneurones GABAergiques du bulbe olfactif. Se pose alors la question de modifier leur devenir afin de répondre à la demande imposée par la lésion. Dans l’idéal, ces progéniteurs devraient être capables de fournir l’ensemble des populations neuronales, voire cellulaires, du SNC. Les travaux de Nakatomi et al. [10] montrent effectivement que les neurones nouvellement formés dans la couche pyramidale du champ CA1 ont acquis le phénotype neurochimique de leurs prédécesseurs. Les précurseurs sont donc capables de suivre une voie de différenciation totalement différente (neurones glutamatergiques pyramidaux de grande taille) de la voie habituelle (interneurones GABAergiques de petite taille), sous l’influence de l’environnement lésionnel. Cela confère un rôle déterminant aux acteurs exogènes. On retrouve ici l’importance de caractériser ces facteurs afin de pouvoir les modifier.

Permettre la reconnexion

Le dernier problème est certainement le plus difficile à résoudre. Une fois mis en place dans les bonnes structures et avec le phénotype requis, comment les nouveaux neurones vont-il pouvoir recréer les connexions perdues? L’environnement adulte a longtemps été défini comme non permissif à une repousse axonale. Les nombreux travaux effectués depuis vingt ans dans le domaine de la plasticité neuronale ont cependant brisé ce dogme et montré que le SNC adulte possède d’étonnantes capacités d’adaptation physiologique ou post-lésionnelle. Qu’en est-il des neuroblastes endogènes? Les nouveaux neurones du bulbe olfactif et du GD s’intègrent effectivement dans le circuit de leur hôte. La neurogenèse intrinsèque semble donc bénéficier d’un statut privilégié. Cependant, les projections de ces deux types de neurones sont relativement courtes, quelques dizaines de micromètres pour le bulbe olfactif, quelques centaines pour le GD. En revanche, les neurones striataux, détruits par exemple dans la maladie de Huntington, s’inscrivent dans le circuit moteur des ganglions de la base, et leurs projections se chiffrent en millimètres. Il en est de même pour les neurones pyramidaux de l’hippocampe et du cortex. Ici encore, les articles de Lindvall et Nakafuku élargissent le champ des possibles en montrant que le degré de maturation des neurones néo-formés était suffisant, dans les deux paradigmes expérimentaux, pour leur conférer une activité fonctionnelle. Les neurones du champ CA1 reçoivent des connexions synaptiques des afférences restées en place, se projettent dans le subiculum et ont des propriétés électrophysiologiques réminiscentes des neurones pyramidaux en développement. De plus, les animaux chez lesquels la neurogenèse est accentuée par l’administration de facteurs trophiques récupèrent une capacité mnésique normale dans le test de la piscine de Morris (→).

(→) m/s 1995, n° 6, p. 922

Cela démontre pour la première fois que des progéniteurs endogènes de la ZSV sont capables de donner naissance à des neurones de phénotype adéquat, très différents de leur destinée naturelle, et de plus correctement inscrits dans un circuit détruit par une lésion cérébrale. Le fait que le SNC adulte possède une capacité d’auto-réparation latente remplit depuis longtemps une part de rêve qui apparaissait à beaucoup comme inaccessible. Une étape majeure vient d’être franchie, qui ouvre la porte à de nouvelles stratégies réparatrices dans les maladies neurodégénératives. Il reste cependant deux défis, et non des moindres, avant que le pas ne soit franchi de la paillasse au lit du malade: caractériser les clés de la différenciation et de l’intégration des nouvelles cellules, et définir les moyens d’utiliser ces clés à des fins thérapeutiques.

References
1.
Altman J. Are new neurons formed in the brain of adult mammalians? Science 1962; 135: 1127–8.
2.
Gage FH. Neurogenesis in the adult brain. J Neurosci 2002; 22: 612–3.
3.
Alvarez-Buylla A, Seri B, Doetsch F. Identification of neural stem cells in the adult vertebrate brain. Brain Res Bull 2002; 57: 751–8.
4.
Kempermann G. Why new neurons? Possible functions for adult hippocampal neurogenesis. J Neurosci 2002; 22: 635–8.
5.
Nottebohm F. Why are some neurons replaced in adult brain? J Neurosci 2002; 222: 624–8.
6.
Temple S. Stem cell plasticity-building the brain of our dreams. Nat Rev Neurosci 2001; 2: 513–20.
7.
Parent JM, Valentin VV, Lowenstein DH. Prolonged seizures increase proliferating neuroblasts in the adult rat subventricular zone-olfactory bulb pathway. J Neurosci 2002; 22: 3174–88.
8.
Reynolds BA, Weiss S. Generation of neurons and astrocytes from isolated cells of the adult mammalian central nervous system. Science 1992; 255: 1707–10.
9.
Arvidsson A, Collin T, Kirik D, et al. Neuronal replacement from endogenous precursors in the adult brain after stroke. Nat Med 2002; 8: 963–70.
10.
Nakatomi H, Kuriu T, Okabe S, et al. Regeneration of hippocampal pyramidal neurons after ischemic brain injury by recruitment of endogenous neural progenitors. Cell 2002; 110: 429–41.