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Med Sci (Paris). 2003 December; 19(12): 1209–1217.
Published online 2003 December 15. doi: 10.1051/medsci/200319121209.

Une vie de ver

Jonathan J. Ewbank* and Nathalie Pujol

1Centre d’Immunologie de Marseille Luminy, Cnrs UMR 6102, Inserm U. 136, Université de la Méditerranée, Case 906, 13288 Marseille Cedex 09, France
Corresponding author.
 

Dans cet article qui ne se veut pas exhaustif, nous présentons certains aspects de la vie et de la physiologie du nématode Caenorhabditis elegans (C. elegans). Ainsi, nous ne traiterons pas des mécanismes d’apoptose, ou de la reproduction. La monographie « C. elegans II », très complète sur l’ensemble des divers aspects de la vie du nématode, est un bon point de départ [ 1]. Elle est maintenant en libre accès sur Internet (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/), de même qu’un atlas interactif décrivant l’anatomie du ver (http://www.wormatlas.org/).

À la recherche de nourriture

Comme toutes les espèces, pour vivre et se reproduire, le ver doit manger. Les vers vivent dans le sol où ils puisent les bactéries dont ils se nourrissent, grâce à un système de reconnaissance chimiosensorielle. Ce comportement est relayé par des circuits neuronaux simples. Ces relais électriques ont d’ailleurs permis de modéliser le déplacement dans l’espace d’un robot qui mime le comportement du ver [ 2]. Concernant la perception des substances chimiques, le nématode peut détecter une gamme très large de molécules inorganiques et organiques solubles, telles que les ions (Cl-, Na+, K+), les acides aminés, les nucléotides cycliques, et des substances odorantes volatiles telles que les alcools, les pyrazines et les thiazoles. On imagine que certaines combinaisons de ces molécules permettent la reconnaissance de divers micro-organismes. Sur les 302 neurones du nématode, une trentaine est impliquée dans la reconnaissance olfactive de composés chimiques. Certains neurones sont nécessaires au nématode pour sentir des composés attractifs, comme la paire de neurones AWA, d’autres pour sentir des composés répulsifs, comme la paire AWB. Les gènes codant pour plus de 700 récepteurs olfactifs présomptifs ont été identifiés dans le génome et, contrairement aux mammifères, où chaque neurone olfactif exprime majoritairement un seul récepteur, chez le ver plusieurs récepteurs sont présents sur chaque neurone chimiosensoriel [ 3]. La réponse d’attraction ou de répulsion du ver en direction d’un stimulus chimique n’est pas strictement liée à l’identité du récepteur. En effet, le récepteur ODR-10, qui est nécessaire à l’attraction vers le diacétyl, est normalement exprimé dans les neurones « d’attraction » AWA. Mais quand ODR-10 est exprimé de façon ectopique dans les neurones « de répulsion » AWB, le diacétyl devient un composé répulsif, suggérant un rôle clé du contexte cellulaire (Figure 1A) [ 4].

Par ailleurs, des tests comportementaux montrent que les vers sont capables de distinguer différents odorants. Les deux neurones AWC, qui sont structurellement similaires, peuvent détecter simultanément au moins cinq odorants attractifs, et la capacité de détecter et de reconnaître deux de ces odorants est associée avec l’expression d’au moins un récepteur olfactif, STR-2 (seven transmembrane receptor) dans un seul des neurones AWC, expression dite asymétrique (Figure 1B). Quand cette expression asymétrique est perdue, les vers ne peuvent plus distinguer le pentanedione du butanone. Cela montre que la discrimination des odeurs passe par la ségrégation de la détection dans des neurones distincts. L’expression asymétrique de STR-2 requiert l’activité d’une cascade de signalisation de type MAP kinase (mitogen activated protein kinase) impliquant SEK-1 et NSY-1. SEK-1 est une MAP2K homologue de MKK3/MKK6 chez les mammifères, alors que NSY-1 est une MAP3K homologue de ASK1. Chez les mutants sek-1 ou nsy-1, STR-2 est exprimé dans les deux neurones de la paire AWC [ 5, 6]. Mais même en l’absence d’une expression asymétrique de STR-2, les vers ne perdent pas la capacité de reconnaître toutes les odeurs. L’équipe de C. Bargmann a proposé que la discrimination puisse être traduite par des combinaisons uniques de différents récepteurs dans les neurones olfactifs spécifiques [7].

Depuis plusieurs années, l’existence d’une communication entre des vers par des phéromones produites constitutivement a été démontrée. En l’absence de nourriture ou lorsque la densité de population est élevée, de jeunes vers répondent aux phéromones en entrant dans un état de diapause (arrêt du développement) qui leur permet d’attendre des conditions meilleures [ 8]. Plus récemment, l’existence d’une phéromone produite exclusivement par des hermaphrodites pour l’attraction des mâles a été proposée [ 9]. Ces comportements sensoriels d’attraction sont relayés par les organes chimiosensoriels de la tête, les amphides. Concernant la répulsion, les organes chimiosensoriels de la queue, les phasmides, jouent un rôle modulateur négatif [ 10]. Cette perception sensorielle en deux points diamétralement opposés permet au nématode d’établir des repères stéréotypiques de son environnement chimique pour naviguer dans la complexité de son habitat.

Ajouté au fait d’être capable de détecter chimiquement des bactéries, les vers peuvent aussi les sentir physiquement : arrivés dans une région riche en bactéries, les vers ralentissent leur allure, via un processus mécanosensoriel dépendant de la dopamine. À ce système s’ajoute une voie sérotoninergique qui module la réponse en fonction de l’expérience précédente du ver, qu’il ait été en carence ou bien nourri [ 11]. Dans la nature, ces deux ajustements du comportement pourraient permettre à un ver d’ingérer des bactéries d’une façon efficace en fonction de ses besoins. Les expériences de carence alimentaire modulent également l’expression des récepteurs chimiosensoriels et par conséquent le comportement olfactif du ver [ 12]. Même avec 302 neurones, il est possible d’apprendre !

Ingestion-Digestion

Quand le ver a trouvé sa pitance, il l’ingère via le pharynx, qui est un organe composé de neurones, de muscles et de cellules épithéliales, et d’une structure terminale appelée broyeur permettant de casser les bactéries (Figures 2A et 2B). Les bases électrophysiologiques du mécanisme de pompage par le pharynx sont connues grâce aux travaux remarquables d’Avery et al. qui ont combiné des approches génétiques et le développement de méthodes de microdissection permettant d’obtenir des pharynx isolés et d’enregistrer des « électropharyngéogrammes » [ 13]. De récents résultats, utilisant la technique de FRET (fluorescence resonance energy transfer) avec une protéine dite « caméléon », ont permis de révéler les flux calciques associés aux contractions musculaires (Figure 2D) [ 14]. Les fibres musculaires du pharynx étant orientées de façon radiale, leur contraction ouvre le lumen, permettant ainsi une aspiration du liquide extérieur. La contraction des muscles du bulbe terminal ferme les trois lobes du broyeur et provoque la destruction mécanique des bactéries. Alors que les débris solides sont filtrés dans l’intestin, le liquide restant est expulsé avant le prochain cycle de contractions (Figure 2C).

Le broyeur n’est pas indispensable à la survie de C. elegans, car l’intestin est le site de la synthèse d’enzymes qui contribuent à la dégradation des bactéries, telles que les protéases aspartiques et cystéiniques, des lipases et des lysozymes [ 15]. Le tube digestif est anatomiquement simple (Figure 3A), mais montre une spécialisation en terme de régionalisation de l’expression de gènes [ 16]. Le transit des aliments se fait passivement du pharynx à l’anus. Comme le contenu de l’intestin est entièrement vidé chaque minute grâce à la défécation, les processus d’absorption de nutriments, ainsi que les activités digestives, doivent être extrêmement rapides.

Chaque cycle de défécation est constitué de trois mouvements musculaires (Figure 3B). Une première contraction des muscles postérieurs du corps envoie le contenu de l’intestin vers la tête. Elle est suivie d’une contraction des muscles antérieurs, puis, immédiatement après, de la contraction simultanée des muscles postérieurs de l’intestin, du sphincter anal et du dépresseur anal permettant la sortie des déchets. Ce cycle est contrôlé de façon non autonome par un récepteur inositol triphosphate, qui règle le relargage de calcium dans les cellules intestinales de façon cyclique [ 17]. Ce modèle simple a donc donné l’une des premières indications de la nature moléculaire d’une horloge biologique.

Les cycles

À l’instar de la fréquence de défécation, plusieurs autres comportements sont très réguliers : le pompage, à raison de trois cycles par seconde, ou la ponte, de six œufs par heure (à 20 °C). Même si leur gamme de fréquences est variée, ces cycles comportementaux sont tous contrôlés d’une façon coordonnée chez les vers de type sauvage. Ces rythmes varient tous en fonction de la température : plus celle-ci diminue, plus les rythmes sont lents. Inversement, plus la température augmente, plus les rythmes sont rapides, jusqu’à une température seuil entre 22 °C et 25 °C à laquelle les cycles n’augmentent plus. Cette absence de compensation de la température ces cycles, appelés ultradiens, contraste avec l’indépendance de la température des cycles circadiens. Ces derniers sont connus depuis plusieurs années chez de multiples espèces mais n’ont été mis en évidence chez le ver que récemment [ 18, 19]. Comme pour la plupart des espèces, on imagine que la lumière est le stimulus qui entraîne le cycle circadien chez C. elegans. Mais si le travail de A.H. Burr en 1985 avait montré que le ver est réceptif à la lumière [ 20], les bases moléculaires et physiologiques de la perception de la lumière n’ont pas encore été établies.

Une classe de mutants « clk » (clock) présente un ralentissement des comportements rythmiques ultradiens. À ce jour, le mutant clk-1 qui se développe également plus lentement, est le mieux caractérisé. Chez le ver sauvage, la durée du développement embryonnaire est respectivement de 13,3 heures et 23,6 heures à 20 °C et à 15 °C. Or, pour le mutant clk-1(qm30) les durées correspondantes sont de 22,8 et 46,1 heures. Divers phénotypes mutants clk-1 semblent être connectés. Ainsi, les individus clk-1 ayant le développement embryonnaire le plus lent ont un cycle de défécation relativement plus rapide que les individus mutants qui se développent plus rapidement, et inversement. En outre, contrairement au ver sauvage, les mutants clk-1 ont perdu la capacité d’adapter rapidement la vitesse de développement ou de comportement lors d’une variation abrupte de température (Figure 4). Ces résultats ont conduit l’équipe d’Hekimi à proposer un mécanisme de contrôle temporel général chez le ver (pour revue, voir [ 21]) (‹) qui a été confirmé par des études plus récentes [ 22].

(‹) m/s 1997, n° 4, p. 474

Le gène clk-1 code pour l’enzyme qui catalyse l’avant- dernière étape de la synthèse d’ubiquinone [ 23, 24]. L’ubiquinone, aussi appelé co-enzyme Q, ou simplement ‘Q’, est un co-facteur lipidique présent dans toutes les membranes cellulaires jouant un rôle dans de nombreuses réactions d’oxydo-réduction, y compris dans la production d’ATP par la chaîne respiratoire des mitochondries. Les mutants clk-1 ne synthétisent pas Q mais accumulent la déméthoxyubiquinone (DMQ), un précurseur bio-synthétique, qui peut se substituer à Q dans les mitochondries. Hors des mitochondries, Q est indispensable durant le développement, rôle qui ne peut être rempli par DMQ. Dans les conditions normales de culture, les mutants clk-1 peuvent se développer en assimilant Q des bactéries. En l’absence totale de Q, il n’y a pas de développement [ 25]. Chez C. elegans, le rôle précis de Q hors des mitochondries n’est pas connu, ni le lien entre le changement du niveau de Q, la vitesse du développement et les phénotypes comportementaux des mutants clk-1 [ 26].

Durée de vie

Les mutants clk-1 vivent également 25 % plus longtemps que les vers sauvages, qui ont une durée de vie moyenne de 20 jours à 20° C. Un facteur limitant la durée de vie est l’accumulation de dommages oxydatifs dus aux dérivés réactifs de l’oxygène (reactive oxygen species ou ROS). Un des sites principaux de la production des ROS est la mitochondrie, et cette production varie en fonction de la vitesse et de l’efficacité du transport des électrons. Dans le cas des mutants clk-1, l’augmentation de la durée de vie pourrait être due à l’altération du transport des électrons provoquant une diminution de la production de ROS (Figure 5). De façon significative, un mutant dans le gène isp-1 qui code pour la protéine fer-sulfure Rieske du complexe III mitochondrial a un transport d’électrons réduit [ 27] et une durée de vie de 50 % plus longue que celle des vers sauvages.

Une deuxième classe de vers mutants, appelée daf à durée de vie augmentée, implique une voie de signalisation analogue à la voie insuline/IGF (insulin-like growth factor) chez les vertébrés. Ainsi, le gène daf-2 code pour un récepteur de l’insuline. Si les mutants daf-2 ont une durée de vie moyenne de 34 jours, les doubles mutants daf-2 clk-1 vivent 5 fois plus longtemps que les vers sauvages, suggérant que les deux gènes fonctionnent dans des voies différentes. De plus, l’activité du facteur de transcription DAF-16, qui est contrôlée par la voie daf-2, est indépendante de clk-1 [ 28]. Deux hypothèses non exclusives sont avancées pour expliquer le rôle de la voie insuline dans la longévité : soit les vers seraient plus résistants aux stress oxydatifs, soit ils présenteraient une altération métabolique réduisant la production de ROS. Dans le dernier cas, les voies daf et clk-1 convergeraient au niveau des mitochondries.

L’équipe de C. Kenyon a récemment montré que des mutants dans le gène mes-1, qui code pour un récepteur impliqué dans une voie Src, où la lignée germinale est absente, vivent plus longtemps [ 29]. De même pour des mutants dans le gène glp-1, qui code pour un récepteur Notch nécessaire à la prolifération de la lignée germinale. La durée de vie des mutants glp-1 thermosensibles, chez lesquels l’ensemble des cellules souches de la lignée germinale est dirigé vers la méiose, est aussi rallongée. À l’inverse, des mutants chez lesquels la lignée germinale prolifère de façon excessive vivent moins longtemps, suggérant que l’augmentation de la durée de vie est liée à l’absence de prolifération et non à la différenciation de la lignée germinale. De plus, l’augmentation de la longévité des mutants sans lignée germinale est dépendante de daf-16, suggérant une contribution de la voie insuline/IGF [29] et, inversement, l’augmentation de la longévité des mutants clk-1 est dépendante de la présence de la gonade [22], liant Q et la lignée germinale. Pour une discussion plus détaillée à propos de ces interactions et d’autres facteurs contrôlant la longévité chez C. elegans, comme les phénomènes de silencing [ 30] et le maintien de la longueur des télomères [ 31], les lecteurs peuvent consulter des revues spécialisées [ 3234], ainsi que des articles récents sur des études systématiques par l’interférence par ARN double brin (ARN) sur la longévité [22, 35].

Maladies et mécanismes de défense

Dans la nature, les vers ne vivent probablement pas jusqu’à leur limite physiologique car les conditions environnementales sont loin d’être idéales, les vers étant notamment confrontés à de multiples pathogènes potentiels [15]. Certains, comme le champignon Drechmeria coniospora [ 36] ou la bactérie à Gram positif Microbacterium nematophilum [ 37], semblent être spécifiques des nématodes. Mais les vers sont également sensibles à de nombreuses bactéries normalement présentes dans le sol, comme certaines espèces d’Agrobacterium, d’Erwininia [ 38], de Pseudomonas [ 39] et de Serratia [ 40]. Ces pathogènes ont des modes d’infection différents et provoquent des symptômes distincts. Dans le cas du champignon D. coniospora, des spores adhèrent à la cuticule et envoient des hyphes à l’intérieur du ver via toutes les ouvertures (amphides, vulve, anus…). Certaines bactéries comme M. nematophilum provoquent une infection cuticulaire, tout en restant à l’extérieur du ver. D’autres, comme S. marcescens, sont capables de forcer leur passage jusqu’à l’intestin. À ce jour, l’interaction la mieux caractérisée est celle entre C. elegans et P. aeruginosa. Selon la souche ou les conditions de culture, cette bactérie peut tuer le ver, soit par empoisonnement au cyanide [ 41], soit par production d’autres toxines agissant via la production de radicaux libres, soit encore par un processus infectieux [39].

Nous avons évoqué ci-dessus la capacité qu’ont les vers de distinguer différents produits chimiques volatils ou solubles. Dans la nature, cette capacité est probablement essentielle à leur survie. Les vers sont en effet capables de discriminer différents micro-organismes et même d’éviter certains d’entre eux. La capacité des vers d’éviter S. marcescens est dépendante de l’homologue de la protéine Toll [ 42]. Cette famille de récepteurs trans-membranaires est associée à la reconnaissance de pathogènes, à la fois chez la drosophile et les vertébrés où les protéines Toll sont responsables du déclenchement des défenses anti-microbiennes (‹).

(‹) m/s 2000, n° 12, p. 1439

Leur activation conduit à la translocation nucléaire d’un facteur de transcription de la famille NF-kB, et à l’induction d’expression de gènes de défense [ 43]. Chez le ver, Toll ne semble pas être impliquée dans des défenses inductibles, et aucun homologue de NF-kB n’a pu être identifié dans la séquence génomique du ver [42].

Des défenses inductibles existent néanmoins chez le ver. En effet, des analyses différentielles par puces à ADN ont montré que plusieurs gènes sont induits de façon spécifique au cours de l’infection de C. elegans par S. marcescens. Outre les gènes spécifiques du ver sans fonction connue, plusieurs lectines sont induites, et l’on sait que certaines lectines jouent des rôles clés dans l’immunité innée chez les vertébrés et les invertébrés [ 44, 45]. L’expression de certains lysozymes est également induite après infection, et la surexpression de l’un d’entre eux augmente la survie du ver infecté par une souche de S. marcescens. Certains des gènes induits sont sous le contrôle de la voie TGFb et, de façon significative, le mutant dbl-1/TGFb est lui-même plus sensible aux infections bactériennes [16].

L’équipe de F. M. Ausubel a complété ces études par une approche génétique en identifiant des mutants de C. elegans hypersensibles à l’infection par P. aeruginosa. Cette équipe a non seulement montré que plusieurs mutants de la voie dbl-1/TGFb sont plus sensibles à cette bactérie [ 46], mais aussi qu’une voie MAP kinase est également impliquée dans les défenses anti-bactériennes [ 47]. En effet, après criblage, deux mutants hypersensibles à l’infection, sek-1 et nsy-1, codant (comme cela est décrit ci-dessus) respectivement pour une MAP2K et une MAP3K, ont été identifiés. Il est curieux que ces deux gènes soient impliqués à la fois dans la spécification d’une identité cellulaire dans une paire de neurones chimiosensoriels et dans les défenses anti-microbiennes. Dans le contexte de la résistance à l’infection, une nouvelle cible de cette voie a été identifiée par inactivation par ARN, la MAPK PMK-1 de la famille p38. La même voie MAPK (NSY-1/SEK-1/PMK-1) est aussi requise pour la résistance de C. elegans à l’arsenic, suggérant qu’elle puisse faire partie d’un système plus général de résistance au stress.

L’équipe de F. M. Ausubel a également montré l’implication de l’apoptose dans les défenses de C. elegans contre la bactérie Salmonella typhimurium [ 48]. Plus récemment, cette équipe a pu démontrer un lien fonctionnel entre la voie NSY-1/SEK-1/PMK-1 et l’apoptose [ 49]. L’ensemble de ces données indique que l’immunité innée du ver présente une complexité moléculaire qui reste encore à élucider [ 50].

Nouvelles technologies

L’achèvement du séquençage du génome du ver il y a 4 ans [ 51] a marqué le départ de nouvelles investigations, permettant par exemple la fabrication de puces à ADN contenant 18 000 gènes, soit 95 % du génome de C. elegans. À l’heure actuelle, plus de 500 expériences ont été effectuées à Stanford (États-Unis) avec ces puces à ADN dans diverses conditions : par exemple des vers sauvages ou mutants, pris à différents stades de développement, ou élevés dans des conditions différentes (stress, irradiation…). En corrélant toutes ces expériences, les gènes présentant une même variation d’expression dans l’ensemble des conditions testées se retrouvent ainsi groupés et sont visualisés sur une carte topographique en montagnes d’expression (Figure 6).

(‹) m/s 2002, n° 1, p. 97

Quarante-quatre montagnes ont été identifiées, et l’ensemble de ces données est en libre accès dans la base de donnée Wormbase. Plusieurs groupes de gènes dans différentes montagnes ont été analysés par les auteurs, confirmant une corrélation de fonction ou de localisation tissulaire. Cette carte d’expression peut permettre de prédire, dans une certaine mesure, une fonction pour un gène ou un groupe de gènes inconnus [ 52].

L’obtention de la séquence génomique offre la possibilité d’entreprendre d’autres approches à grande échelle. Le projet ORFéome a cloné plus de 60 % des ADNc complets du nématode sur les quelque 19 000 gènes prédits dans des vecteurs navettes à sorties multiples, permettant notamment des expériences de double hybride à grande échelle [ 53, 54]. Par la technique d’ARNi, des cribles systématiques ont déjà produit des résultats [ 55, 56] (‹).

(‹) m/s 2001, n° 3, p. 355

Actuellement, plusieurs groupes conduisent des cribles par ARN pour identifier des gènes présentant des phénotypes synthétiques*, c’est-à-dire seulement dans le contexte d’un fond génétique mutant spécifique, pour révéler des redondances fonctionnelles ou gènes qui agissent dans une même voie ou un même processus biologique. Mais l’ARN présente certains inconvénients, comme la variabilité des phénotypes d’un individu à l’autre et l’absence de transmission héréditaire. D’où l’intérêt de développer des méthodes de recombinaison homologue chez le ver. Un premier pas a été fait avec la mise au point d’une méthode de mutagenèse par transposition hétérologue. Décrite pour la première fois par J.L. Bessereau et al., cette méthode est rapidement devenue un outil de choix, en raison de la rapidité de clonage des gènes à l’issue de la mutagenèse [ 57]. Mais l’inconvénient de cette méthode est l’inefficacité relative de la mutagenèse, qui nécessite de réaliser des cribles à grande échellle. L’existence d’un trieur automatique de ver, similaire à celui décrit pour la drosophile [ 58] pourrait pallier cet inconvénient. Un tel trieur vient d’être installé au Génopole de Marseille(http: //www.ciml.univ-mrs.fr/EWBANK_jonathan/Genopole.html) et va être utilisé en tant que plate-forme d’analyse pour la communauté scientifique française travaillant sur C. elegans. L’utilisation de ces outils fait de C. elegans un modèle de choix pour la génomique fonctionnelle et contribuera à élargir nos connaissances concernant les bases cellulaires et moléculaires de la physiopathologie.

 
Footnotes
* * Phénotype d’un double mutant lorsque les simples mutations sont silencieuses.
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